lundi 23 juillet 2012

Le discours de Moché - Parashat Devarim

Alors que le peuple d'Israël est sur le point d'entrer en Terre d'Israël, Moché prend la parole devant tout le peuple et, contre ses habitudes, fait un long monologue où il retrace le parcours des Bnei Israël pendant les quarante années dans le désert.
Ce discours est étonnant à bien des égards. D'une part, il contient des éléments d'histoire que nous aurions considérés comme moins importants que d'autres non mentionnés. D'autre part, il a parfois l'air d'être en contradiction avec d'autres passages de la Torah.
En analysant méthodiquement ce discours, nous arriverons à éclairer d'un certain angle la question suivante: Pourquoi Moché n'a-t-il pas pu entrer en Terre Sainte? Nous avions déjà abordé cette question sous un autre angle dans un article précédent. Nous ferons une synthèse à la fin de l'exposé.

1.  Eikha  et les deux Midrashim


Nous allons à présent étudier la structure du texte du discours de Moché au début du Sefer Devarim (Deutéronome 1:1-38). Il y a là une sorte de résumé des quarante années passées dans le désert.

Il est d’ores et déjà intéressant de relever le verset 12 où Moché dit au peuple :

יב אֵיכָה אֶשָּׂא, לְבַדִּי, טָרְחֲכֶם וּמַשַּׂאֲכֶם, וְרִיבְכֶם. 
12 Comment donc supporterais-je seul votre labeur, et votre fardeau, et vos contestations!
Moché explique au peuple d’Israël ce qui l’a poussé à instituer les Juges Intermédiaires dans le désert afin qu’ils traitent tous les sujets courants et que seuls les cas compliqués ne lui parviennent. Le terme « אֵיכָה »  qui signifie « comment » n’est pas un terme très courant. C’est d’ailleurs la première fois qu’il apparaît dans la Torah.

Le terme « אֵיכָה » rappelle à chacun d’entre nous un texte du Tanakh que nous lisons à Tich’a Béav : la Méguilat Eikha qui a été écrite par le prophète Jérémie. Ce qui est notable, c’est que la Paracha de Devarim – de laquelle est issu le texte que nous étudions ici – est lue systématiquement le Shabbat précédent le jour de Tich’a Béav. Certaines communautés marquent ce lien dans la cantillation qu’ils font de ce verset, en le lisant avec le même air que celui de la Méguilat Eikha le jour de Tich’a Béav.

Ceci est étonnant. Car à première vue, ce verset n’est absolument pas triste ! Moché dit aux Bnei Israël que Hachem les a faits nombreux – Baroukh Hachem ! – tellement nombreux qu’il n’arrive pas à en assumer la charge tout seul.

Deux Midrashim tissent encore ce lien. Nous nous contenterons de les citer maintenant, et tâcherons de les expliquer plus tard :

1)      Midrash Rabbah, Genèse 19:9 – De Eikha de Adam à Eikha de Jérémie

Le premier homme, Adam: Je l'ai amené dans le Jardin d'Eden, et je lui ai donné un commandement, et il a transgressé mon commandement, et par conséquent, je lui ai imposé l'exil, et jai déploré son départ avec Ayekah / Eikha. (..) Ainsi en a-t-il été avec ses enfants: je les ai fait entrer dans la Terre d’israël, et je leur ai donné un commandement, et ils ont transgressé mon commandement, et je leur ai imposé l’exil, et je déplore leur départ avec Eikha ...

2)      Eikha Rabba, 1: 1 - Trois « Eikha» : De Moïse à Jérémie, en passant par Isaïe

Il y a eu trois personnes qui ont prophétisé avec le langage « Eikha »: Moïse, Isaïe et Jérémie. Moïse dit [à propos de la nation, car il était seul pour les juger]: [Eikha] Comment pourrais-je porter le fardeau [de les juger] moi-même. Esaïe a dit [au sujet du peuple d’Israël]: [Eikha] Comment pouvait-elle être comme une prostituée? Et Jérémie dit [à propos de Jérusalem]: [Eikha] Regardez comment elle est assise dans la solitude. Rabbi Lévi dit: Ceci est comparable à une noble femme qui avait trois dames d'honneur, [chacune la vit à une époque différente]. L’une l’a vue dans une période de tranquillité, une autre l’a vue comme elle perdait sa stature, et une autre l’a vue quand elle a été dégradée. De même, Moïse vit Israël dans leur temps de gloire et de tranquillité, et il a dit: Eikha / comment pourrais-je supporter leur fardeau tout seul. Isaïe les ai vus quand ils perdaient leur stature, et Jérémie les a vus dans leur dégradation, en disant: Eikha / Regarde comment elle se situe dans la solitude.
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Tout ceci est joli. Mais quel est le sens profond de ces comparaisons? On a l’impression que c’est un simple jeu de mots entre Eikha et Ayekah (le premier Midrash a en effet l’air de jouer sur l’orthographe identique de ces deux mots, Ayekah ayant été prononcé pour Adam (« Où es-tu / Ayekah ? ») et Eikha à propos des Bnei Israël). Les comparaisons n’ont même pas l’air logique. Moché n’est pas triste lorsqu’il parle : Les Bnei Israël sont nombreux, Baroukh Hachem. Quelle analogie avec les deux autres Eikha qui sont, eux, bien tristes ?

2.  Le discours de Moché


Analysons maintenant le discours de Moché (Deutéronome 1:1-38).

     Introduction du discours

Le discours commence par une succession de noms d’endroits :

א אֵלֶּה הַדְּבָרִים, אֲשֶׁר דִּבֶּר מֹשֶׁה אֶל-כָּל-יִשְׂרָאֵל, בְּעֵבֶר  הַיַּרְדֵּןבַּמִּדְבָּר בָּעֲרָבָה מוֹל סוּף בֵּין-פָּארָן וּבֵין-תֹּפֶל, וְלָבָן וַחֲצֵרֹת--וְדִי זָהָב
1 Ce sont là les paroles que Moïse adressa à tout Israël en deçà du Jourdain, dans le désert, dans la plaine en face de Souf, entre Pharan et Tofel, Labân, Hacéroth et Di-Zahab.
ב אַחַד עָשָׂר יוֹם מֵחֹרֵב, דֶּרֶךְ הַר-שֵׂעִיר, עַד, קָדֵשׁ בַּרְנֵעַ
2 Il y a onze journées depuis le Horeb, en passant par le mont Séir, jusqu'à Kadéch-Barnéa.
ג וַיְהִי בְּאַרְבָּעִים שָׁנָה, בְּעַשְׁתֵּי-עָשָׂר חֹדֶשׁ בְּאֶחָד לַחֹדֶשׁ; דִּבֶּר מֹשֶׁה, אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, כְּכֹל אֲשֶׁר צִוָּה ה׳ אֹתוֹ, אֲלֵהֶם. 
3 Or, ce fut dans la quarantième année, le onzième mois, le premier jour du mois, que Moïse redit aux enfants d'Israël tout ce que l'Éternel lui avait ordonné à leur égard.
Y-a-t-il un des nombreux endroits cités par Moché qui soit traité différemment ?

Eh bien, un seul de ces endroits est rattaché à une notion de temps. Il s’agit de « חֹרֵב ». Il est donc rappelé, à l’instant présent où Moché s’apprête à faire son discours, que la distance à parcourire jusqu’à Kadash Barnéa’[1] est de 11 jours de marche du lieu nommé חֹרֵב. Il faut savoir que חֹרֵב n’est autre que le Mont Sinaï où le peuple d’Israël a reçu la Torah peu de temps après la sortie d’Egypte.

Le verset suivant, prend le temps de nous préciser que cela fait quarante ans que le peuple d’Israël est dans le désert alors qu’il est maintenant prêt à entrer en Terre d’Israël.

La déduction directe que nous pouvons faire est : le peuple d’Israël a mis quarante ans pour arriver à un résultat (entrée en Terre d’Israël) qu’il aurait pu finalement atteindre en onze jours seulement!
Mais qu’ont-ils fait pendant quarante ans ? Pourquoi ont-ils erré autant de temps alors qu’ils étaient si proches de la Terre d’israël ?

La réponse, on la connaît. Elle est même explicite dans la Torah. C’est à cause de la faute des Explorateurs - מרגלים. Hachem a puni les Explorateurs qui avaient dit du mal de la Terre d’israël et ainsi découragé le reste du peuple d’y entrer. Les Explorateurs étant restés quarante jours en Terre d’israël, Hachem a puni le peuple d’Israël à l’errance dans le désert pendant quarante ans – «לשנה  יום » - « Un jour contre une année ».

On s’attend donc à ce que Moché parle des Explorateurs afin de répondre à la question évidente posée par le texte. Mais non, il n’en parle pas. Ou plutôt, il n’en parle pas tout de suite. Il va d’abord faire ce qu’on pourrait penser être une digression en parlant de l’histoire des Juges Intermédiaires.

C’est étonnant. Il y a tellement de sujets passionnants desquels Moché aurait pu parler.  Pourquoi avoir choisi de parler des Juges Intermédiaires ? Il aurait pu choisir l’histoire de Kora’h, ou bien celle de la Manne ou bien encore celle du Puits de Myriam etc. 

     Structure du discours


Quels sont les composants du discours (Deutéronome 1:1-38) de Moché ? Si l’on essayait de le découper en plusieurs morceaux cohérents, quelle structure de texte se dégagerait ?

Voici ce qu’il ressort assez clairement d’une analyse rapide. Le plan du discours apparait comme suit :

A.     Introduction (1:1-5)
B.     Transition #1 (1:6-8) : Hachem nous a parlé à Horeb en disant: « Allez à la montagne des Amorites et allez conquérir la Terre »
C.      L’histoire des Juges Intermédiaires (1:9-18)
D.     Transition #2 (1:19-21): « Nous somme arrives à la montagne des Amorites, allons conquérir la Terre »
E.       L’histoire des Explorateurs (1:22-33)
F.       Réaction d’Hachem (1 :34-38) : « Et Hachem s’est aussi irrité contre moi »

La première réflexion que l’on est en droit, voire dans le devoir de se faire, c’est que les deux passages dits de Transition sont plutôt ressemblants. Examinons cela de plus près.

     Transitions


Comparons les deux Transitions, et nous verrons qu’elles possèdent de nombreux éléments pouvant être mis en parallèle.
1)    « חֹרֵב » - Nous étions à Horeb dans les deux Transitions
2)     « וָאֹמַר אֲלֵכֶם » - « Et je vous parlai ».  La même expression se retrouve dans les deux passages.
3)     « הַר הָאֱמֹרִי » - « le mont des amorréens ». Cette référence géographique est présente dans chacune des transitions.
4)     « רְאֵה נָתַתִּי לִפְנֵיכֶם, אֶת-הָאָרֶץ » - « רְאֵה נָתַן ה׳ אֱלֹקֶיךָ, לְפָנֶיךָ--אֶת-הָאָרֶץ ». Voyez, Hachem vous livre le pays qu’il place devant vous.
5)     « בֹּאוּ, וּרְשׁוּ אֶת-הָאָרֶץ » - « עֲלֵה רֵשׁ ». Allez conquérir le pays !
6)     « אֲשֶׁר נִשְׁבַּע ה׳ לַאֲבֹתֵיכֶם » - « כַּאֲשֶׁר דִּבֶּר ה׳ אֱלֹקֵי אֲבֹתֶיךָ לָךְ ». Comme D.ieu l’a promis à vos pères.

Les deux passages dits par Moché sont similaires, presque mot pour mot.

Transition #1 (Deutéronome 1:6-8)

ו ה׳ אֱלֹקֵינוּ דִּבֶּר אֵלֵינוּ, בְּחֹרֵב לֵאמֹר:  רַב-לָכֶם שֶׁבֶת, בָּהָר הַזֶּה. 
6 "L'Éternel notre D.ieu nous avait parlé au Horeb en ces termes: "Assez longtemps vous avez demeuré dans cette montagne.
ז פְּנוּ וּסְעוּ לָכֶם, וּבֹאוּ הַר הָאֱמֹרִי וְאֶל-כָּל-שְׁכֵנָיו, בָּעֲרָבָה בָהָר וּבַשְּׁפֵלָה וּבַנֶּגֶב, וּבְחוֹף הַיָּם--אֶרֶץ הַכְּנַעֲנִי וְהַלְּבָנוֹן, עַד-הַנָּהָר הַגָּדֹל נְהַר-פְּרָת. 
7 Partez, poursuivez votre marche, dirigez-vous vers les monts amorréens et les contrées voisines, vers la plaine, la montagne, la vallée, la région méridionale, les côtes de la mer, le pays des Cananéens et le Liban, jusqu'au grand fleuve, le fleuve d'Euphrate.
ח רְאֵה נָתַתִּי לִפְנֵיכֶם, אֶת-הָאָרֶץ; בֹּאוּ, וּרְשׁוּ אֶת-הָאָרֶץ, אֲשֶׁר נִשְׁבַּע ה׳ לַאֲבֹתֵיכֶם לְאַבְרָהָם לְיִצְחָק וּלְיַעֲקֹב לָתֵת לָהֶם, וּלְזַרְעָם אַחֲרֵיהֶם. 
8 Voyez, je vous livre ce pays! Allez prendre possession du pays que l'Éternel a juré à vos pères, Abraham, Isaac et Jacob, de donner à eux et à leur postérité après eux."
ט וָאֹמַר אֲלֵכֶם, (...) 
9 Et je vous parlai ainsi (…)
Transition #2 (Deutéronome 1:19-21)

יט וַנִּסַּע מֵחֹרֵב, וַנֵּלֶךְ אֵת כָּל-הַמִּדְבָּר הַגָּדוֹל וְהַנּוֹרָא הַהוּא אֲשֶׁר רְאִיתֶם דֶּרֶךְ הַר הָאֱמֹרִי, כַּאֲשֶׁר צִוָּה ה׳ אֱלֹקֵינוּ, אֹתָנוּ; וַנָּבֹא, עַד קָדֵשׁ בַּרְנֵעַ. 
19 Nous partîmes du Horeb, nous traversâmes tout ce long et redoutable désert que vous savez, nous dirigeant vers les monts amorréens, comme l'Éternel notre D.ieu nous l'avait prescrit, et nous atteignîmes Kadêch-Barnéa.
כ וָאֹמַר, אֲלֵכֶם:  בָּאתֶם עַד-הַר הָאֱמֹרִי, אֲשֶׁר-ה׳ אֱלֹקֵינוּ נֹתֵן לָנוּ. 
20 Et je vous dis: "Vous voici arrivés au pied des monts amorréens, que l'Éternel, notre D.ieu, nous donne.
כא רְאֵה נָתַן ה׳ אֱלֹהֶיךָ, לְפָנֶיךָ--אֶת-הָאָרֶץעֲלֵה רֵשׁ, כַּאֲשֶׁר דִּבֶּר ה׳ אֱלֹהֵי אֲבֹתֶיךָ לָךְ--אַל-תִּירָא, וְאַל-תֵּחָת
21 Regarde! L'Éternel, ton D.ieu, t'a livré ce pays; va, prends-en possession, comme te l'a dit l'Éternel, D.ieu de tes pères; sois sans peur et sans faiblesse!"
Mais y-a-t-il une différence entre ces deux morceaux du discours de Moché ?

Si l’on trouve une différence, elle a forcément une importance particulière. Car elle concentrera le contraste entre deux passages quasi identiques.

Il y a effectivement une différence entre les deux transitions. Ce n’est que dans la 2nde transition que Moché rassure le peuple et leur demande de ne pas avoir peur : « אַל-תִּירָא, וְאַל-תֵּחָת » - « Sois sans peur et sans faiblesse! ».
Il y quelque chose qui a changé entre la transition #1 et la transition #2. Pourquoi Moché sent-il le besoin de rassurer le peuple d’Israël après l’histoire des Juges Intermédiaires ?

Cela paraît même étonnant car lorsque les histoires sont racontées dans leur version originale, c’est après l’histoire des Explorateurs que le peuple d’Israël a eu peur. Moché ne s’y trompe d’ailleurs pas et rappelle cet élément dans son résumé (Deutéronome 1:29) « לֹא-תַעַרְצוּן וְלֹא-תִירְאוּן, מֵהֶם » - « Vous n’avez pas à les craindre » en parlant des habitants de la Terre d’israël perçus comme des géants par les Explorateurs. Mais pourquoi introduit-il ce concept avant, alors qu’il est totalement absent de la version originale relatée dans l’Exode ?

Ici, l’impression est donnée que c’est après l’histoire des Juges Intermédiaires qu’aurait germé un sentiment de peur au sein du peuple, sentiment que Moché tente de calmer : « אַל-תִּירָא, וְאַל-תֵּחָת ».

     Histoires


A première vue les deux histoires racontées par Moché (celle des Juges Intermédiaires et celle des Explorateurs) n’ont aucun rapport entre elles ; mais une étrange série de parallèles dans les versets du Deutéronome semble vouloir les relier et nous contraindre ainsi à y trouver un sens caché.

1)      De qui était l’idée ?

Les Juges Intermédiaires
Les Explorateurs
L’histoire des Juges Intermédiaires est racontée en premier dans l’Exode.
L’histoire des Explorateurs est racontée en premier dans les Nombres.
Mais ici, elle est racontée différemment que dans sa version originale.
Mais ici, elle est racontée différemment que dans sa version originale.
Dans sa version d’origine, l’histoire raconte que l’idée des Juges Intermédiaires semble venir de Yitro.
Dans sa version d’origine, l’histoire raconte que l’idée des Explorateurs semble venir de Hachem.
Dans la version de Moché, l’idée semble venir de Moché lui-même.
Dans la version de Moché, l’idée semble venir du peuple.

2)      Une bonne suggestion

Les Juges Intermédiaires
Les Explorateurs
Moché propose l’idée des Juges Intermédiaires au peuple.
Le peuple propose l’idée des Explorateurs à Moché.
Le peuple approuve : « טוֹב-הַדָּבָר אֲשֶׁר-דִּבַּרְתָּ ».
Moché approuve : « וַיִּיטַב בְּעֵינַי, הַדָּבָר ».

Dans les deux cas, l’acquiescement est formulé avec les termes de « טוֹב » et « הַדָּבָר ».

3)      Un représentant par tribu

Les Juges Intermédiaires
Les Explorateurs
Moché raconte au peuple d’Israël qu’il avait sélectionné les Juges :
« les chefs des tribus » - « רָאשֵׁי שִׁבְטֵיכֶם ».
Moché raconte au peuple d’Israël qu’il avait sélectionné les Explorateurs :
« un homme par tribu » - «  אִישׁ אֶחָד לַשָּׁבֶט ».

4)      Et vous êtes venus vers moi – « וַתִּקְרְבוּן אֵלַי »

Les Juges Intermédiaires
Les Explorateurs
Moché dit aux Juges que si un cas trop difficile se présente à eux, ils peuvent toujours « la lui déférer » afin qu’il écoute le cas.
Le peuple s’approche de Moché de lui proposer l’idée des Explorateurs.
En hébreu, le terme est (1 :17): « תַּקְרִבוּן אֵלַי ».
En hébreu, le terme est (1 :22): « וַתִּקְרְבוּן אֵלַי ».

Il est d’ailleurs intéressant de noter que « תַּקְרִבוּן אֵלַי » est employé dans les derniers mots de l’histoire des Juges et que « וַתִּקְרְבוּן אֵלַי » est le premier mot de l’histoire des Explorateurs. Comme si Moché cherchait à créer un lien et à poser un contexte à cette deuxième histoire.

5)      Ne faites pas de différence entre les Grands et les Petits

Les Juges Intermédiaires
Les Explorateurs
Moché demande aux Juges de ne pas faire de différence de traitement entre les « grandes » personnes et les « petites » personnes.
C’est-à-dire que les Juges doivent écouter et traiter à égal aussi bien les gens modestes que ceux de stature imposante, ou jouissant d’un statut important.
Le peuple, après avoir reçu le rapport des Explorateurs, se plaint. Il affirme ne pas être en mesure de conquérir la Terre d’israël car (V.28) « le peuple est plus grand et plus fort que nous »  -     « עַם גָּדוֹל וָרָם מִמֶּנּוּ » et « nous y avons vu des géants » - « וְגַם-בְּנֵי עֲנָקִים, רָאִינוּ שָׁם » (1 :28).
La phrase utilisée par Moché est (1:17) : « Vous écouterez les petits comme les grands »
Dans leur propre vision, ils sont petits et leurs ennemis sont grands.

6)      Ne soyez pas effrayés face à eux…

Les Juges Intermédiaires
Les Explorateurs
Moché demande aux Juges de n’être effrayés par aucun homme, quelle que soit sa puissance.
Moché demande au peuple de ne pas être effrayé par les habitants, quelle que soit leur puissance supposée.

7)     …Car D.ieu est derrière vous

Les Juges Intermédiaires
Les Explorateurs
Moché justifie cette demande par le fait que, en fin de compte, la justice est rendue par D.ieu.
Moché justifie cette demande par le fait que, en fin de compte, la guerre est faite par D.ieu.

8)      Porter

Les Juges Intermédiaires
Les Explorateurs
Moché explique qu’il ne peut plus porter le peuple devenu trop important :
« אֵיכָה אֶשָּׂא, לְבַדִּי ».
Moché implore les Bnei Israël de mettre leur confiance en D.ieu, Lui qui les a portés dans le désert, comme un père porte son enfant :
« אֲשֶׁר נְשָׂאֲךָ ה׳ אֱלֹקֶיךָ, כַּאֲשֶׁר יִשָּׂא-אִישׁ אֶת-בְּנוֹ »

9)     Le 9 Av

Les Juges Intermédiaires
Les Explorateurs
Le 1er mot de l’histoire est « אֵיכָה » à mettre en relation avec la lecture de Tich’a Béav (cf. §1.Eikha et les deux Midrashim)
Le Talmud nous apprend que le rapport des Explorateurs a été donné au peuple le jour de Tich’a Béav.

     Expliquer les liens


Il parait maintenant clair que ces deux histoires (celle des Juges et celle des Explorateurs), telles que racontées par Moché, sont intimement liées.

Comment exploiter ces liens ? Comment les comprendre ? A quoi servent-ils ?

Les liens jouent le rôle d’indices. Ils permettent de donner un éclairage nouveau sur un texte en appelant le lecteur attentif à y projeter des idées, des notions, présentes dans un texte qui lui est relié. La présence de tels liens permet en quelque sorte à la Torah de se commenter elle-même.

Ceci nous donne une nouvelle grille de lecture.
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« וַתִּקְרְבוּן אֵלַי » - « Vous êtes venus vers moi » pour me demander d’envoyer des Explorateurs. Moché utilise cette même expression « תַּקְרִבוּן אֵלַי » pour indiquer aux nouveaus Juges Intermédiaires nommés de s’en référer à lui pour les cas difficiles qu’ils pourraient rencontrer. Comme si Moché voulait donner une raison, un contexte, pour expliquer ce qui s’est passé avec les Explorateurs. Vraisemblablement, les Bnei Israël se sont rendus chez Moché pour demander d’envoyer des Explorateurs justement parce que ‘le cas qui se présentait à eux était trop difficile’.

Conclusion #1 : Le peuple d’Israël veut des Explorateurs car il se sent confronté à une chose « trop difficile » pour lui.
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« וַיִּיטַב בְּעֵינַי, הַדָּבָר » - « Et la chose était bonne à mes yeux ». Moché répond favorablement à la crainte du peuple d’Israël en utilisant la même terminologie que ce même peuple d’Israël lors de sa réponse à la proposition de Moché de mettre en place des Juges Intermédiaires « טוֹב-הַדָּבָר ». Lors de l’histoire des Juges, quelque chose était difficile pour Moché et le peuple a répondu favorablement à sa proposition. Plus tard, dans l’histoire des Explorateurs, Moché à son tour répond favorablement à la proposition du peuple d’Israël à qui quelque chose apparaît difficile.

Conclusion #2 : Réciprocité. C’est presque comme si Moché avait accepté l’idée des Explorateurs parce qu’il se sentait redevable vis-à-vis du peuple d’Israël qui lui avait fait une ‘faveur’ dans l’histoire des Juges…
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« עַם גָּדוֹל וָרָם מִמֶּנּוּ » - « un peuple plus grand et plus fort que nous ». Le peuple d’Israël a peur de l’occupant de la Terre Promise. Il le croit plus grand et plus fort. Pourtant, Moché avait tout fait pour les éduquer à ne pas avoir peur, déjà à l’époque des Juges. Il leur avait dit de traiter équitablement les grands et les petits, de ne pas avoir peur des puissants, car D.ieu est derrière nous. Au moment des Explorateurs, la leçon n’a pas été retenue par les Bnei Israël. Il leur reproche de se sentir plus faible, en d’autres termes de ne pas traiter équitablement les grands et les petits. Puis il leur reproche d’être effrayés, et donc d’avoir peur des puissants. Car en effet, c’est D.ieu qui fera la guerre pour nous, D.ieu est bien derrière nous. Il leur reproche d’ailleurs ce manque de foi (1:32-33):

לב וּבַדָּבָר, הַזֶּה--אֵינְכֶם, מַאֲמִינִם, בַּה׳, אֱלֹקֵיכֶם 
32 Et dans cette circonstance vous ne vous confieriez pas en l'Éternel, votre D.ieu!

Et quel D.ieu ?! Celui qui précède votre marche afin de (1:33) « לָתוּר לָכֶם ». Il s’agit d’un jeu de mots évident de Moché. Car « לָתוּר » signifie aussi « Explorer ». Comme si Moché leur disait : « vous n’avez pas besoin d’Explorateurs, D.ieu, lui-même, est votre Explorateur ! ».

Conclusion #3 : Malgré les efforts de Moché pour éduquer le peuple d’Israël à ne pas avoir peur, quelque chose, dans l’histoire des Juges, fait que la leçon ne passe pas. De quoi s’agit-il ?
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« אֲשֶׁר נְשָׂאֲךָ ה׳ אֱלֹקֶיךָ, כַּאֲשֶׁר יִשָּׂא-אִישׁ אֶת-בְּנוֹ » - Moché implore le peuple de mettre leur confiance en D.ieu qui les a portés dans le désert, comme un père porte son enfant. Pourtant, le peuple n’écoute pas Moché. Pourquoi ?  D.ieu les a toujours soutenus, pourquoi cesserait-il de les « porter » ?
La Torah semble donner la réponse : « אֵיכָה אֶשָּׂא, לְבַדִּי » avait dit Moché pour justifier la mise en place des Juges Intermédiaires : « Comment pourrai-je continuer à vous porter ? »

Conclusion #4 : Même si mettre sa confiance en D.ieu, après tout ce que le peuple a vécu avant l’épisode des Explorateurs, peut paraitre évident,  quelque chose, dans leur expérience collective, les fait douter. Ils ont déjà vu un de leur « parent », Moché, cesser de les porter. C’est ce qui leur fait craindre qu’un autre parent, D.ieu Lui-même, pourrait s’arrêter de les porter aussi.  C’est ce que semble regretter Moché ici : il a ouvert la voie à un tel raisonnement de défiance.
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Cependant, ceci ne nous éclaire pas complètement.
En effet, comment se fait-il qu’un problème de type administratif – il faut plus de juges pour un peuple plus nombreux – puisse causer un tel désarroi chez les Bnei Israël ?

Peut-être y a-t-il eu un élément menaçant, inquiétant, lors de l’histoire des Juges Intermédiaires qui aurait planté les fondations de cette crainte au sein du peuple d’Israël ?

3.  Les Juges Intermédiaires – Histoire Originale


Il est maintenant temps de se plonger dans l’histoire d’origine des Juges Intermédiaires dans l’Exode – Parasha Yitro (Exode 18:13-27).

     Questions et Remarques


A l’origine, l’histoire est racontée dans le Sefer Chemot, dans la Parasha Yitro. Le peuple d’Israël est sorti d’Egypte, a traversé la mer des Joncs, reçu la Torah au Sinaï, et est sorti vainqueur d’une guerre avec le peuple d’Amalek.
Yitro, le beau-père de Moché, vient rendre visite à son gendre. Il le voit rester assis toute la journée, à écouter les questions, les cas posés par les membres de son peuple, et à leur apporter les réponses. Yitro s’en étonne et Moché lui explique ce qu’il fait. Yitro lui propose alors de former des juges qui pourront traiter des cas faciles et ainsi alléger Moché d’une partie de la charge du peuple d’Israël. Moché écoute alors les conseils de son beau-père et met en place des Juges Intermédiaires.

Chronologie

A la suite de cette histoire, la Torah relate la révélation de D.ieu au Sinaï et le don de la Torah au peuple d’Israël. Une question d’ordre chronologique est alors évidente : Pourquoi la Torah raconte-t-elle l’épisode des Juges Intermédiaires avant celui du don de la Torah sachant qu’ils ont eu lieu dans l’ordre opposé ?

Banalité du Dialogue
Le dialogue de Moché avec Yitro semble d’une banalité incroyable. Yitro voit ce que fait Moché et lui demande ce qu’il fait. Puis Moché lui répond qu’il juge le peuple toute la journée. Ce que Yitro avait probablement deviné, puisqu’il l’observait.
Qu’est-ce que ce dialogue a de profond ? Qu’est-ce que Moché essaye de dire à son beau-père ?

Yitro et le « Tov »/« Bien »

Il est intéressant de noter la relation étroite qu’entretient Yitro dans la Torah. Déjà dans la Parasha Yitro, juste avant le passage des Juges Intermédiaires, Yitro s’est réjoui pour tout le bien que Hachem avait fait au peuple d’Israël (Exode 18:9) « וַיִּחַדְּ יִתְרוֹ--עַל כָּל-הַטּוֹבָה ».
La Torah, dans le Sefer Bamidbar, racontera que Moché a demandé à Yitro (alors appelé Hovav) de rester avec eux car alors, tout se passerait bien (Nombres 10:29) : «לְכָה אִתָּנוּ וְהֵטַבְנוּ לָךְ ».

Ce que Yitro dit à Moché prend alors un relief particulier. Il lui dit (V. 17) que ce qu’il fait n’est pas bien : «לֹא-טוֹב, הַדָּבָר, אֲשֶׁר אַתָּה, עֹשֶׂה ». Cette négation prend un sens plus fort. Yitro, celui qui est souvent lié au bien « טוֹב », et juste après avoir fait remarquer tout le bien « כָּל-הַטּוֹבָה » que Hachem avait prodigué au peuple d’Israël, fait ce reproche à Moché en négation du bien : « לֹא-טוֹב ».

Deux Connexions au Sefer Béréchit

Cette expression : « לֹא-טוֹב » dont nous venons de montrer la particularité dans la bouche de Yitro est une expression rare dans la Torah. Elle n’apparait qu’une seule autre fois dans toute la Torah.

Savez-vous dans quel passage on retrouve cette expression identique?

La réaction de Moché face à la proposition de son beau-père : « וַיִּשְׁמַע מֹשֶׁה, לְקוֹל חֹתְנוֹ » est également singulière.  L’expression Vayishma ‘X’ Lekol ‘Y’ n’apparait que deux fois dans la Torah : une fois ici, évidemment. Savez-vous où se trouve la 2ème occurrence de cette expression dans la Torah?

Les réponses aux deux questions que nous venons de poser se trouvent dans le Sefer Béréchit (Genèse).
-          « לֹא-טוֹב » apparait dans l’histoire de la création de ‘Hava, la femme du premier homme Adam. Hachem dit (Genèse 2:18): « לֹא-טוֹב הֱיוֹת הָאָדָם לְבַדּוֹ; אֶעֱשֶׂה-לּוֹ עֵזֶר, כְּנֶגְדּוֹ. » - « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul, je lui ferai une aide digne de lui ». C’est la raison pour laquelle, après lui avoir montré tous les animaux de la Terre, Hachem créa la femme – ‘Hava – que Adam pris pour épouse. On remarquera avec intérêt que cette connexion est amplifiée par l’utilisation du terme « לבד » - « Seul » à la fois par Yitro  (« לֹא-תוּכַל עֲשֹׂהוּ לְבַדֶּךָ ») et par Hachem « לְבַדּוֹ ».
-          Vayishma ‘X’ Lekol ‘Y’ apparait lorsque Avraham prend pour épouse Hagar, sa servante. Hachem vient de promettre à celui-ci qu’il va avoir une descendance nombreuse – tellement nombreuse qu’on ne pourra pas la compter – et Sarah, ne se pensant plus capable d’avoir des enfants, proposa à Avraham de prendre sa servante Hagar pour épouse. Avraham écouta les conseils de sa femme (Genèse 16:2) : « וַיִּשְׁמַע אַבְרָם, לְקוֹל שָׂרָי ».

Quel est le dénominateur commun de ces deux connexions dans le Séfer Béréchit ?
Dans les deux cas, cela aboutit à une relation intime Homme - Femme, une relation de mariage. ‘Hava se marie avec Adam et Hagar avec Avraham.

Ces connexions paraissent pour le moins étranges.
En effet, quel rapport y a-t-il entre un lien intime comme l’est celui du mariage et la notion de justice ? Au contraire, ces thèmes paraissent complètement antinomiques. Quelle est la relation la plus personnelle, subjective, passionnelle qui soit ? C’est la relation ‘mari et femme’, bien entendu. Quelle est la relation la plus impersonnelle, la plus objective, la moins passionnelle qui soit ? C’est la relation de justice.  D’ailleurs on retrouve cet antagonisme dans les lois concernant le témoignage : un mari ne peut pas témoigner sur sa femme, car il est un proche « קרוב » de celle-ci.

En d’autres termes, la question qui se pose est la suivante : Qu’y-a-t-il de passionnel, de subjectif, dans l’histoire des Juges Intermédiaires ?

     Lumière sur l’expérience collective du Sinaï


Comme nous l’avons fait remarquer plus haut, la chronologie n’est pas respectée. L’histoire des Juges Intermédiaires de Yitro est racontée avant celle du Sinaï alors qu’elle s’est déroulée après.
Si l’ordre chronologique n’est pas suivi, c’est que la Torah a cherché à les juxtaposer parce qu’elles sont liées par un thème commun, lien qui justifiait qu’on s’affranchisse du simple ordre chronologique.

Quelle est la thématique, la signification du Sinaï, du Don de la Torah au peuple d’Israël ?
Le Don de la Torah au Sinaï est un évènement inscrit dans la mémoire collective du peuple d’Israël. Il fait partie des 6 évènements (שש זכירות) que la Torah enjoint chaque Juif à se souvenir quotidiennement. Moché rappelle au peuple l’importance cruciale de cet évènement et demande à chacun de tout faire pour ne pas l’oublier de par ce qu’il a suscité, créé, chez les Bnei Israël présents au Sinaï et leur descendance. Il leur dit à quel point ils doivent continuer à ressentir cette expérience si particulière (Deutéronome 4 :7-10).

ז כִּי מִי-גוֹי גָּדוֹל, אֲשֶׁר-לוֹ אֱלֹקִים קְרֹבִים אֵלָיו, כַּה׳ אֱלֹקֵינוּ, בְּכָל-קָרְאֵנוּ אֵלָיו.
7 En effet, où est le peuple assez grand pour avoir des divinités accessibles, comme l'Éternel, notre D.ieu, l'est pour nous toutes les fois que nous l'invoquons?
ח וּמִי גּוֹי גָּדוֹל, אֲשֶׁר-לוֹ חֻקִּים וּמִשְׁפָּטִים צַדִּיקִם, כְּכֹל הַתּוֹרָה הַזֹּאת, אֲשֶׁר אָנֹכִי נֹתֵן לִפְנֵיכֶם הַיּוֹם.
8 Et où est le peuple assez grand pour posséder des lois et des statuts aussi bien ordonnés que toute cette doctrine que je vous présente aujourd'hui?
ט רַק הִשָּׁמֶר לְךָ וּשְׁמֹר נַפְשְׁךָ מְאֹד, פֶּן-תִּשְׁכַּח אֶת-הַדְּבָרִים אֲשֶׁר-רָאוּ עֵינֶיךָ וּפֶן-יָסוּרוּ מִלְּבָבְךָ, כֹּל, יְמֵי חַיֶּיךָ; וְהוֹדַעְתָּם לְבָנֶיךָ, וְלִבְנֵי בָנֶיךָ.
9 Mais aussi garde-toi, et évite avec soin, pour ton salut, d'oublier les événements dont tes yeux furent témoins, de les laisser échapper de ta pensée, à aucun moment de ton existence! Fais-les connaître à tes enfants et aux enfants de tes enfants!
י יוֹם, אֲשֶׁר עָמַדְתָּ לִפְנֵי ה׳ אֱלֹקֶיךָ בְּחֹרֵב, (…)
10 N'oublie pas ce jour où tu parus en présence de l'Éternel, ton D.ieu, au Horeb (…)

En lisant attentivement ce texte, on voit bien que Moché demande au peuple de se souvenir et de transmettre deux facettes de l’expérience du Sinaï (pour rappel, Horeb n’est autre que le Sinaï) :
-          Qu’il a reçu des lois divines (V.8)
-          Qu’il a eu une expérience de proximité avec D.ieu (V.7)

Ce second élément n’est en vérité pas évident. En effet, nous prenons pour acquis qu’une telle relation a déjà existé entre les Bnei Israël et Hachem. Mais à y réfléchir un tout petit peu, ceci parait complètement irréaliste. A titre d’exemple, et si l’on ose s’exprimer ainsi, Hachem est le paroxysme de l’extra-terrestre : il ne prend pas d’espace mais est omniprésent. Comment concevoir seulement que l’Homme puisse avoir une quelconque relation avec une entité qu’il n’arrive même pas à concevoir ? L’Homme a du mal à imaginer en dehors de sa propre projection : on dit que D.ieu est très intelligent, très puissant, qu’il siège dans le ciel etc. Mais tout ceci a l’air presque enfantin. Il est tellement différent, séparé (qui est le sens premier du mot קדוש) ; comment peut-on seulement l’imaginer ? C’est aussi cela que l’expérience est venue nous apprendre : il y a eu une expérience de rapprochement très intense entre le peuple d’Israël et D.ieu.

Moché nous demande de nous souvenir à tout prix de cette expérience du divin mais aussi des lois et de leur caractère divin. Finalement, qu’est-ce qu’une loi de la Torah ? Une loi – מצוה – est l’expression, la traduction, la description de la manière dont D.ieu veut que l’Homme vive sur Terre. C’est-à-dire que la loi est un lien avec Hachem.

La voilà, la thématique de l’expérience du Sinaï : celle-ci a créé un contact – presque irréaliste – entre D.ieu et l’Homme. Cette expérience étant unique et afin de la perpétuer, D.ieu donne des lois à l’Homme afin que cette relation ne s’arrête jamais.

     Lecture du Shéma


Il y a un texte que nous lisons au moins deux fois par jour. Il s’agit du Shéma et plus particulièrement du premier paragraphe. Ce texte peut paraître étrange à certains égards comme nous allons le voir.

וְאָהַבְתָּ, אֵת ה׳ אֱלֹקֶיךָ, בְּכָל-לְבָבְךָ וּבְכָל-נַפְשְׁךָ, וּבְכָל-מְאֹדֶךָ.
Tu aimeras l'Éternel, ton D.ieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir.
וְהָיוּ הַדְּבָרִים הָאֵלֶּה, אֲשֶׁר אָנֹכִי מְצַוְּךָ הַיּוֹם--עַל-לְבָבֶךָ.
Ces choses/paroles que je t'impose aujourd'hui, seront sur ton cœur.
וְשִׁנַּנְתָּם לְבָנֶיךָ, וְדִבַּרְתָּ בָּם, בְּשִׁבְתְּךָ בְּבֵיתֶךָ וּבְלֶכְתְּךָ בַדֶּרֶךְ, וּבְשָׁכְבְּךָ וּבְקוּמֶךָ.
Tu les enseigneras à tes enfants et tu t'en entretiendras, dans ta maison, en voyage, en te couchant et en te levant.
Nos sages interprètent légalement le 3ème verset comme étant une obligation d’étudier la Torah le jour ainsi que la nuit. Ce commandement peut être accompli par, au minimum, la lecture du Shéma le matin et le soir.

Quelle est la cohérence de ces 3 versets ?
A priori, on comprend bien le 1er verset comme une exigeance d’amour sans limite pour Hachem. Le 3ème verset parait également simple à comprendre : il s’agit d’une injonction d’enseigner, de transmettre la Torah aux générations futures. Mais que dit le 2ème verset ? Que signifie de « mettre des paroles sur son cœur » ? Et puis, quel rapport avec le 3ème verset qui parle de transmission et d’étude de la Torah jour et nuit ?

Eh bien, peut-être que le 2ème verset est une extension du 1er verset et qu’il permet de faire le lien entre le 1er et le 3ème verset… En effet, le 1er verset ordonne d’aimer Hachem de ton son cœur. Cet amour ne peut pas être qu’abstrait. Il doit passer par l’accomplissement des paroles divines.

Que signifie « aimer » quelqu’un dans la vie de tous les jours?
Si j’aime vraiment quelqu’un, je voudrais le comprendre, je voudrais savoir ce qui le motive, je voudrais comprendre ses pensées, ses désirs. Si la personne que j’aime est mystérieuse, alors je ferais grand cas de chacun des indices que je pourrais trouver sur elle. Si mon bien-aimé a mis à ma disposition un élément de compréhension de sa personne, je valoriserais cet élément comme un cadeau précieux. Je ferais sa volonté, au maximum de mes possibilités…

Ainsi, au moins, en est-il avec Hachem. Aimer vraiment Hachem ne signifie pas seulement se conformer à ses commandements mais aussi et surtout chérir ses commandements car ils sont autant de manifestations de Sa présence, de Son existence. Et chacune de ces manifestations doit être un grand cadeau pour chaque Juif car il lui permet d’améliorer sa compréhension de la volonté de Hachem.

Par conséquent, chaque commandement divin crée un lien émotionnel entre l’homme et son Créateur. C’est peut-être cela que veut nous enseigner le 2ème verset. « Avoir les paroles de D.ieu sur son cœur » signifie que chacune de ces paroles ne doit pas se liimter à constituer un ordre : il doit être un moyen pour l’homme de mieux comprendre D.ieu et de créer ainsi un lien émotionnel avec Lui.

Alors, le 3ème verset n’est plus qu’une conséquence des 2 premiers versets. Car si effectivement une personne aime son Créateur au travers des liens émotionnels, passionnels que sont les Mitsvote, alors il est naturel que cette personne parle de ce qu’elle sait de Lui à tout moment et en tout lieu et avec tous ces proches !

En résumé, le 1er verset stipule un idéal : Il faut aimer D.ieu passionnément. Le 2ème verset énonce un corollaire : Aimer D.ieu implique de créer une relation de l’ordre de l’affectif avec ses lois. Le 3ème verset explique comment cela s’exprime dans la vie réelle : à travers l’immersion dans les lois de D.ieu – étude intensive et enseignement – et à travers un discours constant au sujet des lois – à chaque instant et en tout lieu.

C’est aussi cela la thématique du Sinaï. Les lois de la Torah ne constituent pas seulement un code législatif – ce serait trop triste – elles sont bien plus que cela : elles sont des liens émotionnels entre l’Homme qui les accomplit et Hachem. Elles sont un rappel qu’une chose inimaginable a eu lieu : Hachem s’est dévoilé et a été en contact avec le peuple d’Israël.

Nous sommes maintenant prêts à relire le passage traitant des Juges Intermédiaires sous un regard nouveau – ce qui nous permettra de répondre aux incohérences que notre lecture au premier degré avait mises en évidence.

     Relecture


Relisons le passage des Juges Intermédiaires (Exode 18:13-27).

Nous nous étions étonnés de la banalité du dialogue entre Moché et son beau-père. Yitro voit bien que les gens viennent poser des questions à Moché, alors qu’est-ce que Moché lui apprend ?

En réalité, Moché nous apprend quelque chose de très profond. Regardons attentivement les mots qu’il emprunte (Exode 18:15): « כִּי-יָבֹא אֵלַי הָעָם, לִדְרֹשׁ אֱלֹקִים ». Moché apporte une précision importante : les gens qui le consultent recherchent D.ieu à travers lui. Littéralement, « לִדְרֹשׁ אֱלֹקִים » veut dire « pour apprendre, pour comprendre D.ieu ». Qu’est-ce-que cela signifie ? Voilà un lien très clair avec l’expérience du Sinaï : Comprendre Hachem passe par l’observation des lois divines.

Yitro lui rétorque alors que ce que Moché fait n’est pas bon : « לֹא-טוֹב, הַדָּבָר, אֲשֶׁר אַתָּה, עֹשֶׂה ». Puis que cette charge est bien trop lourde et que, seul, il ne parviendra qu’à faire du mal à son peuple : « נָבֹל תִּבֹּל--גַּם-אַתָּה, גַּם-הָעָם הַזֶּה אֲשֶׁר עִמָּךְ: כִּי-כָבֵד מִמְּךָ הַדָּבָר, לֹא-תוּכַל עֲשֹׂהוּ לְבַדֶּךָ ».

A un 1er niveau, Yitro a raison. Il y a un problème technique : compte tenu du nombre d’heures limité dans une journée, compte tenu de l’importance du nombre de membres du peuple d’Israël, force est de constater qu’il n’y a pas assez de juges – il n’y en a qu’un seul. Il faut donc former et multiplier le nombre de juges. A problème technique, solution technique.

Cependant, il y a un 2ème niveau au problème de Moché. Les personnes qui viennent voir Moché ne cherchent pas seulement une réponse à leurs questions, elles recherchent par ce moyen une relation avec Hachem au sein de laquelle seul Moché joue le rôle d’interface.

En mettant en place toute une bureaucratie juridique, le lien de chaque Ben Israël avec Hachem, s’est affaibli, estompé, distendu.

Les liens avec les deux histoires de Sefer Béréchit que nous avons mentionnées plus haut sont maintenant plus clairs. Ces liens nous mettent tout d’abord sur la piste de l’émotionnel, de l’intime – ce qui parait incongru dans un contexte juridique. Puis, si l’on y porte un peu plus notre attention, dans l’histoire d’Adam et ‘Hava, comme dans celle des Juges Intermédiaires, la solution consiste à apporter une aide à une personne seule. C’est peut-être le sens de l’intervention de Yitro – jouant ici son rôle de beau-père et souhaitant que Moché soit, entre autre, plus disponible pour sa famille. Mais aussi difficile que ce soit, Moché ne peut pas laisser de côté le rôle de père qu’il joue vis-à-vis du peuple en tant que son leader… Enfin, le conflit entre Hagar et Sarah est né d’une proposition de Sarah. Celle-ci a, comme Yitro, apporté une solution technique (mariage avec Hagar) à un problème spirituel (Hachem a promis à Avraham qu’il aurait une descendance nombreuse – sans préciser avec quel partenaire).

4.  Les Explorateurs – Histoire Originale


Nous avions relevé que la version que Moché donne de l’histoire des Juges Intermédiaires et de celle des  Explorateurs diffère de celle que la Torah relate lorsqu’elles sont racontées pour la première fois dans la Torah.

     Approche Générale et Application aux Juges


L’idée que nous aimerions proposer est la suivante : Moché raconte des évènements quarante ans après qu’ils se soient passés. Il donne sa vision des choses, rétrospectivement.
Le souci de Moché ne serait alors pas de reproduire fidèlement chaque détail historique mais plutôt de se concentrer sur le ‘pourquoi’ et sur la signification de ces évènements ainsi que sur l’impact qu’ils ont eu sur le peuple d’Israël. Et donc, il met en exergue ou change quelques détails afin de transmettre au peuple d’Israël la signification qu’il voit dans ces histoires, en tenant compte du recul qui est le sien après ces quarante années.

Ceci expliquerait pourquoi Moché ne mentionne pas Yitro lorsqu’il raconte l’histoire des Juges Intermédiaires. Peut-être que le fait que ce soit Yitro qui ait eu l’idée n’a pas de signification particulière dans le cadre du discours de Moché. Après tout, Yitro avait une bonne intention et n’a absolument pas souhaité que Moché se trompe. Moché considèrerait que c’est bien lui qui a pris la décision de mettre en place les juges ; Yitro n’a fait que conseiller.

De même, Moché ajoute cette phrase maintenant célèbre : « אֵיכָה אֶשָּׂא, לְבַדִּי » qui apporte une note de lamentation à son discours. Moché utilise ce terme « אֵיכָה » pour souligner qu’il voit la signification des évènements différemment, maintenant, avec quarante ans de recul. Peut-être que Moché s’aperçoit désormais que quelque part la faute des Explorateurs a été déclenchée par la mise  en place les Juges Intermédiaires…

     Différences


Avant de nous plonger dans les détails de l’histoire originale des Explorateurs dans le Séfer Bamidbar, essayons de relever les différences marquantes qu’il peut y avoir entre celle-ci et le récit qu’en fait Moché dans Séfer Dévarim.

A première vue, Moché raconte que les Explorateurs sont revenus et ont affirmé que la Terre que D.ieu leur a donné est bonne : « טוֹבָה הָאָרֶץ, אֲשֶׁר-ה׳ אֱלֹקֵינוּ נֹתֵן לָנוּ ». Ceci contraste avec ce que nous relate l’histoire originale, dans laquelle les Explorateurs ont au contraire dit du mal de la Terre, et ont même affirmé qu’il s’agissait d’une Terre qui mange ses habitants :
« וַיֹּצִיאוּ דִּבַּת הָאָרֶץ » - « אֶרֶץ אֹכֶלֶת יוֹשְׁבֶיהָ הִוא ».

De même, Moché leur reproche leur refus de monter vers la Terre d’Israël « וְלֹא אֲבִיתֶם, לַעֲלֹת ». Or, dans l’histoire originale, on a plutôt l’impression qu’ils voulaient y aller mais qu’ils ont été effrayés par le rapport des Explorateurs.

Enfin, Moché a l’air de citer une phrase que les Bnei Israël n’ont jamais dite lors de l’épisode des Explorateurs : « וַתֹּאמְרוּ, בְּשִׂנְאַת ה׳ אֹתָנוּ » - « Vous avez dit : ‘C’est par haine que D.ieu…’ ». Ils se sont plaints, certes, mais ils n’ont invoqué aucune haine de D.ieu envers eux.

Il est possible que Moché n’essaye pas de raconter fidèlement les détails d’une histoire que tout le peuple connaît déjà. Mais qu’il cherche plutôt à lui donner la signification que ces évènements ont à ses yeux.

Gardons cette idée en tête lorsque nous allons relire en détail le passage dans le Séfer Bamidbar.

     L’Effet Boule de Neige


Lisons le passage des Explorateurs dans le Séfer Bamidmar (Nombres 13 et 14). Nous allons voir qu’une cascade d’évènements s’y enchaine.
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Etape 1 : Rapport Initial des Explorateurs

Le rapport des Explorateurs est le suivant :
כז וַיְסַפְּרוּ-לוֹ, וַיֹּאמְרוּ, בָּאנוּ, אֶל-הָאָרֶץ אֲשֶׁר שְׁלַחְתָּנוּ; וְגַם זָבַת חָלָב וּדְבַשׁ, הִוא--וְזֶה-פִּרְיָהּ. 
27 et lui firent ce récit: "Nous sommes entrés dans le pays où tu nous avais envoyés; oui, vraiment, il ruisselle de lait et de miel, et voici de ses fruits.
כח אֶפֶס כִּי-עַז הָעָם, הַיֹּשֵׁב בָּאָרֶץ; וְהֶעָרִים, בְּצֻרוֹת גְּדֹלֹת מְאֹד, וְגַם-יְלִדֵי הָעֲנָק, רָאִינוּ שָׁם. 
28 Mais il est puissant le peuple qui habite ce pays! Puis, les villes sont fortifiées et très grandes, et même nous y avons vu des descendants d'Anak!
כט עֲמָלֵק יוֹשֵׁב, בְּאֶרֶץ הַנֶּגֶב; וְהַחִתִּי וְהַיְבוּסִי וְהָאֱמֹרִי, יוֹשֵׁב בָּהָר, וְהַכְּנַעֲנִי יוֹשֵׁב עַל-הַיָּם, וְעַל יַד הַיַּרְדֵּן. 
29 Amalec habite la région du midi; le Héthéen, le Jébuséen et l'Amorréen habitent la montagne, et le Cananéen occupe le littoral et la rive du Jourdain."

Pour l’instant, tout va bien. Ils rapportent objectivement ce qu’ils ont vu au sujet de la Terre, des peuples qui y vivent, exactement comme le leur avait demandé Moché quelques versets plus tôt :
יח וּרְאִיתֶם אֶת-הָאָרֶץ, מַה-הִוא; וְאֶת-הָעָם, הַיֹּשֵׁב עָלֶיהָ--הֶחָזָק הוּא הֲרָפֶה, הַמְעַט הוּא אִם-רָב. 
18 Vous observerez l'aspect de ce pays et le peuple qui l'occupe, s'il est robuste ou faible, peu nombreux ou considérable;
יט וּמָה הָאָרֶץ, אֲשֶׁר-הוּא יֹשֵׁב בָּהּ--הֲטוֹבָה הִוא, אִם-רָעָה; וּמָה הֶעָרִים, אֲשֶׁר-הוּא יוֹשֵׁב בָּהֵנָּה--הַבְּמַחֲנִים, אִם בְּמִבְצָרִים. 
19 quant au pays qu'il habite, s'il est bon ou mauvais; comment sont les villes où il demeure, des villes ouvertes ou des places fortes;
כ וּמָה הָאָרֶץ הַשְּׁמֵנָה הִוא אִם-רָזָה, הֲיֵשׁ-בָּהּ עֵץ אִם-אַיִן, וְהִתְחַזַּקְתֶּם, וּלְקַחְתֶּם מִפְּרִי הָאָרֶץ; וְהַיָּמִים--יְמֵי, בִּכּוּרֵי עֲנָבִים. 
20 quant au sol, s'il est gras ou maigre, s'il est boisé ou non. Tâchez aussi d'emporter quelques-uns des fruits du pays." C'était alors la saison des premiers raisins.

Les explorateurs ont vraiment répondu point par point sur ce dont Moché les avait missionnés. Il leur avait demandé :
-          De voir la qualité du sol, ils l’ont fait ;
-          De voir si les peuples sont forts, ils l’ont fait ;
-         De voir si les villes sont fortifiées, ils l’ont fait ;
-          De ramener des fruits de la Terre, ils l’ont fait ;
-          Etc.

Certains, comme le Rambane (Nahmanide), veulent dire que la première erreur des Explorateurs a été d’utiliser l’expression « אֶפֶס כִּי », selon eux très forte et très négative. Un peu comme s’ils avaient dit : « La Terre a beau couler de lait et de miel, cela ne vaut rien (« אֶפֶס » en hébreu) car le peuple qui l’habite est fort ».

Cependant, ce n’est pas la lecture que nous allons retenir. En effet, si l’on cherche les occurrences de l’expression « אֶפֶס כִּי » dans le Tanakh (voir par exemple Juges 4:9 ou Samuel II 12:14), on se rend compte que cela a l’air de signifier « Néanmoins ». Un peu comme si les Explorateurs avaient dit : « La Terre est bonne etc. Néanmoins, il faut savoir que le peuple qui l’habite est fort ». La phrase qui vient après « אֶפֶס כִּי » n’annule pas les bénéfices produits par la phrase qui le précédait.

Etape 2 : Réaction de Calev

Avant de lire la réaction de Calev, soyons attentifs à un point particulier du rapport initial des Explorateurs : A qui se sont-ils adressés pour faire leur rapport?

כו וַיֵּלְכוּ וַיָּבֹאוּ אֶל-מֹשֶׁה וְאֶל-אַהֲרֹן וְאֶל-כָּל-עֲדַת בְּנֵי-יִשְׂרָאֵל, אֶל-מִדְבַּר פָּארָן--קָדֵשָׁה; וַיָּשִׁיבוּ אֹתָם דָּבָר וְאֶת-כָּל-הָעֵדָה, וַיַּרְאוּם אֶת-פְּרִי הָאָרֶץ. 
26 Ils allèrent trouver Moïse, Aaron et toute la communauté des enfants d'Israël, dans le désert de Pharan, à Kadêch. Ils rendirent compte à eux et à toute la communauté, leur montrèrent les fruits de la contrée,

Ils se sont adressés à Moché, à Aharon et … à tout le peuple. L’expression « toute la communauté » est même doublée, comme pour appuyer sur le fait que les Explorateurs ont fait leur rapport aux dirigeants du peuple mais aussi à tout le peuple.

Calev réagit alors et tente de recentrer le débat : il ne s’agit pas d’un concours de popularité où l’on attend de voir si la majorité du peuple adhère au message transmis par les Explorateurs. Seuls les dirigeants doivent être au courant du rapport (mais sur ce point, c’est trop tard), et seuls les dirigeants doivent prendre une décision sur les actions futures à mener.

C’est probablement ce que Calev tente de faire : « וַיַּהַס כָּלֵב אֶת-הָעָם, אֶל-מֹשֶׁה ». Il fait taire le peuple et se tourne vers le seul Moché.

Alors Calev prononce cette phrase : « עָלֹה נַעֲלֶה וְיָרַשְׁנוּ אֹתָהּ--כִּי-יָכוֹל נוּכַל, לָהּ » - « Montons, montons-y et prenons-en possession, car certes nous en serons vainqueurs! »

Pourquoi Calev dit-il ceci ? Personne, jusqu’alors n’a émis l’idée qu’on ne devrait pas monter en Israël ? Pourquoi, en plus, redoubler les termes de « עָלֹה » - « monter » et « יָכוֹל » - « pouvoir » ?

Vraisemblablement, cette réaction de Calev en dit long sur l’état d’esprit des Explorateurs ainsi que sur celui du peuple entendant leur rapport. Il apparait que Calev essaie de rassurer la crainte du peuple, crainte non exprimée, mais qu’à juste titre il suspecte. Il veut les rassurer : ils sont capables d’y aller et de vaincre les habitants de la Terre.

Etape 3 : Réponse des Explorateurs à Calev

Jusqu’à présent, les Explorateurs en étaient restés aux faits et s’étaient bien gardés d’introduire quelque jugement personnel.

Qui est le premier à parler subjectivement ? C’est bien Calev. Il dit qu’ils pourront vaincre. Dit-il vrai ? Bien sûr que oui ; car Hachem est avec eux. Mais ce n’est pas ce que dit Calev, il oublie de parler de Hachem et entre alors dans le terrain du subjectif.

Calev a, sans le vouloir, ouvert une boîte de Pandore. Maintenant, les Explorateurs peuvent s’engouffrer sur le terrain du subjectif et de l’appréciation personnelle.
Les Explorateurs rétorquent à Calev en utilisant les termes que lui-même avait doublés et leur donnent une signification opposée : « לֹא נוּכַל לַעֲלוֹת ». Les Explorateurs défendent maintenant la thèse qu’ils ne peuvent même pas y aller. On est redescendus d’un cran ; on ne peut même pas y aller. Pourquoi ? Car « חָזָק הוּא מִמֶּנּוּ » le peuple qui y habite est plus fort que nous. Ça y est, on est plein dans le subjectif et, surtout, sur une pente bien ‘savonneuse’…

Etape 4 : les Explorateurs dénigrent la Terre

Le dérapage commence alors : « וַיֹּצִיאוּ דִּבַּת הָאָרֶץ ».

Un peu plus tôt, ils avaient décrit la Terre comme: « זָבַת חָלָב וּדְבַשׁ » - une Terre où coulent le lait et le miel. Le lait et le miel ont un point commun : ce sont tous les deux des liquides que des mères produisent pour nourrir leurs petits, par amour.

Maintenant, la Terre est devenue « אֶרֶץ אֹכֶלֶת יוֹשְׁבֶיהָ הִוא » - une Terre qui dévore ses habitants. La métaphore de la Terre a été inversée. La Terre ressemble alors à un monstre qui mange ses petits vivants…

De même, ils disent : « כַּחֲגָבִים, וְכֵן הָיִינוּ בְּעֵינֵיהֶם » - « nous étions à leurs yeux aussi petits que des sauterelles ». D’où le savent-ils ? Ils font là encore preuve d’une appréciation personnelle.

Etape 5 : le peuple entre en scène

Le peuple, resté muet jusqu’à présent, réagit en pleurant.

א וַתִּשָּׂא, כָּל-הָעֵדָה, וַיִּתְּנוּ, אֶת-קוֹלָם; וַיִּבְכּוּ הָעָם, בַּלַּיְלָה הַהוּא. 
1 Alors toute la communauté se souleva en jetant des cris, et le peuple passa cette nuit à gémir.
Le peuple d’Israël pleure d’une manière particulière : « וַתִּשָּׂא אֶת-קוֹלָם » puis « וַיִּבְכּוּ » – ils élèvent la voix, puis pleurent. Cette manière de pleurer est caractéristique, dans la Torah, d’un regret très fort d’une chose que l’on attendait mais qui glisse entre les mains, accompagné d’une perte d’espoir. Exactement comme Essav qui se rend compte qu’il vient de perdre sa bénédiction et qui se met à pleurer.

Etape 6 : le peuple veut retourner en Egypte

Comme souvent, face à l’épreuve, le peuple fraîchement sorti d’Egypte pense qu’il vaut mieux y retourner : « נִתְּנָה רֹאשׁ, וְנָשׁוּבָה מִצְרָיְמָה ».

Etape 7 : Moché tombe sur sa face

Moché et Aharon tombent sur leurs faces : « וַיִּפֹּל מֹשֶׁה וְאַהֲרֹן, עַל-פְּנֵיהֶם ». Cette image est terrible. C’est la réaction de Moché et Aharon dans les pires circonstances, lorsque tout est perdu (nous en avons déjà étudié deux cas dans la Partie 1 – dans l’histoire de Kora’h et dans celle du Bâton et du Rocher)

Etape 8 : Yéhochoua et Calev

Devant ce spectacle, Yéhochoua et Calev déchirent leurs vêtements : « קָרְעוּ בִּגְדֵיהֶם ».

Par ce signe de deuil, ils montrent que, arrivés à ce stade, la partie est perdue. Il n’y a plus rien à faire, les Explorateurs et le peuple sont allés trop loin.

Néanmoins, Calev dit ce qu’il faut dire : « אִם-חָפֵץ בָּנוּ, ה' » - « Si Hachem veut nous amener là-bas, Il le pourra ». C’est précisément ce qui manquait à sa première prise de parole. C’est exactement ce que les Bnei Israël ont besoin d’entendre, mais ils l’entendent trop tard.

Etape 9 : Le peuple veut lapider Calev

Calev avait commencé par dire : « Nous pouvons conquérir la Terre ». Mais maintenant, il veut clarifier ce qu’il voulait réellement dire : « Nous pouvons conquérir la Terre…si Hachem est avec nous ».
Ces mots de Calev, s’ils avaient été dits plus tôt, auraient peut-être permis de rallier les autres Explorateurs, et ainsi calmé la peur du peuple.
Mais maintenant, ces mots, au contraire, enflamment la foule ! En invoquant la relation avec Hachem – que tout le monde avait oublié de mentionner – Calev a touché un point sensible. Et c’est ce qui cause cette réaction incroyable : ils veulent tuer Calev.
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Comment une telle cascade d’évènements a-t-elle pu arriver ?
La clé se trouve peut-être dans l’interprétation que Moché a de ces évènements quarante ans plus tard...

     Pourquoi cette cascade ?


Revenons aux différences apparentes que nous avions soulevées plus haut entre l’histoire originale des Explorateurs dans le Séfer Bamidbar, et cette même histoire lorsqu’elle est racontée par Moché dans Séfer Dévarim.

Nous avions proposé que, probablement, Moché s’attache à donner la signification que ces évènements ont à ses yeux plutôt que d’en rappeler les menus détails.

Moché raconte que les Explorateurs sont revenus et ont affirmé que la Terre que D.ieu leur a donnée est bonne : « טוֹבָה הָאָרֶץ, אֲשֶׁר-ה׳ אֱלֹקֵינוּ נֹתֵן לָנוּ ». Ceci est en accord avec l’histoire originale des Explorateurs. En effet, leur rapport initial était parfaitement en ligne avec les attentes que Moché y avait placées.

Pour l’instant tout va bien. Alors, selon Moché, qu’est-ce qui déclenche tout cet épisode ? Quel est l’évènement qui provoque cette cascade ?

Moché semble ici dire quelque chose de profond. Il voudrait expliquer ce qui, au fond, a causé tous ces évènements les uns après les autres jusqu’à la volonté du peuple de retourner en Egypte. D’après lui, tout provient de : « וְלֹא אֲבִיתֶם, לַעֲלֹת ».

Comme si Moché leur disait : « D.ieu vous avait donné une Terre, vous aviez tout pour la conquérir mais vous ne l’avez pas fait. Comment avez-vous seulement pu douter ? D.ieu aurait conquis le Pays pour nous, Il aurait marché devant nous ! En vérité, vous n’aviez même pas besoin d’Explorateurs, D.ieu est votre Explorateur ! » Moché avait trouvé l’idée « bonne » à l’époque, mais maintenant, rétrospectivement, il se rend compte que cela a contribué à la création d’une distance entre les Bnei Israël et Hachem. « Tout ce que des Explorateurs auraient pu apporter, Hachem l’apportait. Hachem nous protégeait par des nuées de feu la nuit, nous guidait par des nuées la journée. Hachem nous portait comme un père porte son fils ! Mais, « וְלֹא אֲבִיתֶם, לַעֲלֹת », vous n’avez pas voulu monter vers la Terre d’Israël, car cela vous paraissait trop difficile. »

Qu’est-ce qui était trop difficile ? Qu’est-ce qui a empêché les Bnei Israël d’y croire ?

La vie dans le désert était miraculeuse (cf. Partie 1 - § Vie dans le désert vs. Vie en Terre d’Israël). Afin de mériter ces miracles perpétuels, le peuple d’Israël devait démontrer une foi en Hachem sans faille. Avoir foi en Hachem signifie se mettre entièrement entre Ses mains, avoir une confiance totale en Lui. C’était cela le défi du peuple d’Israël dans le désert.

Ce qu’on pourrait dire, presque ironiquement, c’est qu’il est plus facile de conquérir la Terre militairement que miraculeusement, en s’en remettant à Hachem.

C’est cela qui paraissait difficile aux yeux des Bnei Israël et c’est pour cela qu’ils ont demandé à envoyer des Explorateurs : « וַתִּקְרְבוּן אֵלַי, כֻּלְּכֶם ». Ils se présentent devant Moché avec une difficulté qui leur paraît insurmontable – comme il le leur avait justement suggéré à l’époque des Juges  Intérmédiaires : « וְהַדָּבָר אֲשֶׁר יִקְשֶׁה מִכֶּם, תַּקְרִבוּן אֵלַי וּשְׁמַעְתִּיו ».

Moché ne comprend pas cette réaction du peuple d’Israël. Sont-ils aveugles ? Comment peuvent-ils penser un seul instant qu’ils vont mourir dans ce désert ?

Ils ont peur, et cette peur les rend aveugles. Ils cherchent même à masquer la vérité. C’est d’ailleurs ainsi que l’on peut comprendre la réaction violente des Bnei Israël, lorsqu’ils ont tenté de tuer Calev : il leur montrait la vérité, celle-là même qu’ils ne voulaient pas entendre.

S’ensuit alors une rébellion. Comme à chaque fois que le peuple d’Israël manque de foi en Hachem. Rappelez-vous par exemple l’épisode de « מֵי מְרִיבָה » que nous avons étudié en Partie 1 ; il s’est terminé en rébellion.

Les Bnei Israël voyaient les bienfaits que Hachem leur donnait tous les jours : comment ont-ils pu le nier ? Ou plutôt comment ont-ils pu ne pas avoir confiance en Hachem, Lui qui les portait sur Ses épaules comme un père porte son fils ?

L’Homme peut arriver à nier des évidences. Comment ? En les transformant. Toutes ces preuves qui montrent que D.ieu soutient le peuple d’Israël ne sont pas remises en cause. Mais le peuple d’Israël se demande : ‘Qui prouve qu’Il le fait par amour ? Peut-être nous déteste-t-Il ?’

C’est ce que Moché semble expliquer en faisant dire aux Bnei Israël cette phrase qui a l’air ridicule : « וַתֹּאמְרוּ, בְּשִׂנְאַת ה׳ אֹתָנוּ » - « Vous avez dit : ‘‘C’est par haine que D.ieu…’’ ».  Eh bien oui, voilà le cheminement psychologique du peuple d’Israël lors de l’épisode des Explorateurs.

Avec quarante ans de recul, Moché comprend que l’idée des Explorateurs n’était pas « bonne ». Peut-être que finalement, dit-il, je ne l’ai trouvée « bonne » - « וַיִּיטַב בְּעֵינַי, הַדָּבָר » que par réciprocité envers vous qui aviez trouvé mon idée des Juges Intermédiaires « bonne » - « טוֹב-הַדָּבָר אֲשֶׁר-דִּבַּרְתָּ ». La mise en place des Juges Intermédiaires constituait un éloignement entre le peuple d’Israël et Hachem. Puis, les Explorateurs ont été demandés par le peuple d’Israël parce qu’ils ne se sentaient pas assez proches de Hachem.

Et voilà pourquoi, après quarante ans, Moché introduit le terme « Eikha », cette notion de lamentation, en se souvenant de l’histoire des Juges Intermédiaires.

5. Retour sur Eikha  et les deux Midrashim


Moché introduit un terme peu courant - « אֵיכָה » - alors qu’il relate l’épisode des Juges Intermédiaires (Deutéronome 1:12) :
יב אֵיכָה אֶשָּׂא, לְבַדִּי, טָרְחֲכֶם וּמַשַּׂאֲכֶם, וְרִיבְכֶם. 
12 Comment donc supporterais-je seul votre labeur, et votre fardeau, et vos contestations!
Nous avions fait remarquer qu’à première vue, ce verset n’a rien de triste. Moché dit aux Bnei Israël que Hachem les a faits nombreux, tellement nombreux qu’il n’arrive plus à en assumer la charge tout seul.

En réalité, on comprend maintenant que Moché souhaite introduire une note de lamentation.
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Qu’est-ce que « se lamenter » signifie ? On se lamente par exemple lorsqu’une personne qui nous est chère décède. Quel est le sentiment qui se cache derrière une lamentation ?
Lorsqu’une personne décède, on n’est pas tristes pour elle. On sait qu’elle repose désormais en paix mais on se lamente : on est tristes de ne plus être avec cette personne qu’on aime, on est tristes de la distance qui s’est créée avec cette personne qu’on ne reverra plus.
Par opposition, c’est pour cela que l’on est tellement joyeux lors des mariages, car une union, un lien fort se crée entre deux personnes – on pourrait même dire que ces deux personnes se retrouvent après s’être cherchées parfois si longtemps – tout le contraire d’une lamentation.

Lorsque Hachem appelle Adam et lui demande « אַיֶּכָּה », il ne lui demande pas de préciser sa position géographique. Bien évidemment, Hachem sait où trouver Adam. Il s’agit plutôt d’une plainte, d’une lamentation : « Je suis censé te trouver ici, mais ne t’y vois pas : Où es-tu ? »[2].  Hachem signifie ici qu’Adam s’est éloigné de lui.
De même, Jérémie se plaint d’une séparation « אֵיכָה יָשְׁבָה בָדָד » - cette ville tellement puissante par le passé se retrouve maintenant seule, isolée.
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A présent, c’est plus clair. Moché, quarante ans après l’expérience du Sinaï et l’épisode des Juges Intermédiaires, comprend qu’une distance s’est créée entre le peuple et Hachem. Moché se lamente, Moché regrette.

Moché se lamente : Comment est-ce possible que le peuple se soit éloigné ? Il a vu tellement de miracles, il a été porté par Hachem comme un enfant est porté, soutenu par son père.
Le peuple peut alors rétorquer : Tout ceci est vrai, nous avons vu ces miracles de nos propres yeux ; mais qui prouve que Hachem ne nous laissera jamais tomber ? Moché, toi, tu nous as, en quelque sorte, abandonnés – lorsque tu as mis en place les Juges Intermédiaires.

Alors Moché comprend. Il dit  en terminant l’histoire des Explorateurs: « גַּם-בִּי הִתְאַנַּף ה' » - « Contre moi aussi l'Éternel s'irrita à cause de vous ». Qui est responsable de la faute des Explorateurs ? Certainement pas Moché, il a au contraire tout fait pour les en dissuader.
Mais Moché comprend que c’est lui qui a posé les fondations sur lesquelles s’est construite l’histoire des Explorateurs : lui qui a accepté une solution technique – les Juges Intermédiaires - à un problème hautement spirituel – la nécessaire proximité avec Hachem – qu’il était seul à pouvoir offrir au peuple. Ce faisant, il a créé cette distance entre le peuple et Hachem, puis, mécaniquement, cette peur de ne plus être « porté », qui a finalement déclenché la faute des Explorateurs.

Moché, de ce fait, étant quelque part à l’origine de la faute des Explorateurs, est inclus dans le décret fait à la génération des Explorateurs de ne pas pouvoir entrer en Israël…

Conclusion


Comment réconcilier cette étude avec un autre passage que nous avions étudié ensemble précédemment (cité en introduction : http://ravfohrman.blogspot.com/2012/06/le-baton-et-le-rocher-parachiot-korah.html)? Nous y avions expliqué pourquoi Moché n’a pas pu rentrer en Terre d’Israël parce qu’il a frappé sur le rocher au lieu de lui parler. N’est-ce pas une contradiction du texte de la Torah ?

     Moché le leader et Moché l’individu


Chacune des deux histoires nous montre l’une des facettes du refus de Hachem de faire entrer Moché en Terre d’Israël : l’une expliquerait pourquoi Moché, en tant que dirigeant du peuple d’Israël, n’est pas entré en Israël ; l’autre expliquerait pourquoi il n’est pas entré, même en tant que simple membre du peuple d’Israël.

Si l’on fait attention aux termes utilisés par les versets de la Torah, cette théorie est renforcée.
Dans l’histoire avec le Rocher, Hachem dit « לָכֵן, לֹא תָבִיאוּ אֶת-הַקָּהָל הַזֶּה » - « vous ne conduirez pas ce peuple » en Terre d’Israël. Cela ne signifie pas que Moché ne peut pas entrer en Israël, mais cela signifie qu’il ne peut pas conduire le peuple en Israël. Mais, potentiellement, il pourrait y rentrer, en tant qu’individu.
C’est là qu’intervient le discours de Moché. On y apprend que Hachem a dit « גַּם-אַתָּה, לֹא-תָבֹא שָׁם » - « Tu n'y entreras pas, toi non plus ». En tant qu’individu, Moché ne peut pas entrer non plus.

Il est intéressant de noter que, historiquement, l’histoire des Explorateurs a eu lieu avant celle du Rocher. Avec le recul, Moché comprend qu’il avait perdu son droit d’entrer en Terre d’Israël avec le reste de la génération des Explorateurs. Mais il lui restait encore une chance : s’il ne pouvait entrer en tant qu’individu, peut-être pouvait-il néanmoins y entrer en tant que dirigeant du peuple. Mais il a perdu ce droit aussi, en frappant le Rocher.

     Le Rôle de la Foi


Voici un début de réflexion sur un autre parallèle entre ces deux passages pour ceux qui souhaitent encore approfondir le sujet.

Ces deux histoires sont en miroir l’une de l’autre en ce qui concerne la foi en Hachem. L’épisode des Explorateurs était un défi de foi en Hachem pour le peuple car la conquête de la Terre relevait du miracle – Les Bnei Israël n’ont pas réussi à intégrer l’idée qu’un nouveau miracle (présence manifeste de Hachem) pourrait se produire pour eux. A l’inverse, Moché n’a pas réussi à concevoir qu’une vie sans miracle (Hachem masqué par les lois de la Nature) était possible – manquant ainsi la leçon qu’il devait donner aux Bnei Israël aux portes de la Terre Sainte.





Pour ceux qui comprennent l’anglais, les cours audio de la série entière se trouvent sous :

[1] NdT. Kadesh Barnéa’ est l’endroit par lequel les Explorateurs entrèrent en Terre d’Israël pour l’explorer. Cf Rashbam ad loc.
[2] Voir « Adam et Eve » de Rav David Fohrman (p.98) pour plus de détail sur la signification de cette question

3 commentaires:

  1. La signification des mitsvot, comme étant la seule chose qui nous permettent de nous souvenir de la rencontre au mont Sinaï , est particulièrement émouvante.
    très bon chiour

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  2. Mon premier chiour, lecture commencée par curiosité sur la plage, terminée d'un trait, tout simplement excellent. Cela confirme bien ma volonté de pratiquer de plus en plus. Franchement excellent!

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  3. Bonsoir il vient de m arriver un vrai miracle
    Chaque semaine nous Fidel d une synagogue parisienne nous donnons un Chiour a Min'ha de Chabat cette semaine c était a moi je devais donc faire un cour sur la paracha de Ytro
    Pour faire court j ai parlé de l erreur de moise et de Ytro au sujet de la nomination des juges
    J ai pas été apprécié il y a eu une grande makloket et pourtant je n ai rien regreté de mon Chiour car je l ai écrit avec mon coeur comme je ressentais les choses
    Le Rav m a tout de même filicité pour mon courage
    Hier soir en allant sur le net j ai désespèrement cherché une opinion qui ne donnerait pas toujours raison a moise et Ytro
    Le miracle c est produit en découvrant le Rav David Forhman et sont cour magistral
    Je suis émerveillé par la profondeur de son Chiour mais surtout par les conclusions qui sont identiques au mienne
    Je vis un très grand moment
    Merci au Rav

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