lundi 12 août 2013

Brève Histoire du Monde (9/11) - La Tour de Babel

Aujourd’hui nous allons étudier l’histoire de la Tour de Babel. Jusqu’à présent, nous avons vu toute une suite de parallèles entre ce qu’on avait appelé la Création (Chapitres 1-3 de Béréchit) et la Recréation (Chapitres 8-11 de Béréchit).  On avait vu que tous ces parallèles se terminent avec les histoires de ‘Noa’h et la Vigne’ et de ‘La Tour de Babel’ qui sont toutes les deux des échos de l’histoire de l’Arbre de la Connaissance. Lors de la leçon précédente, nous avons vu comment l’histoire de Noa’h et la Vigne était effectivement une expression de l’histoire de l’Arbre de la Connaissance. Attelons-nous maintenant à analyser l’histoire de la Tour de Babel…

Nous allons relire l’histoire de la Tour de Babel comme si on la lisait pour la première fois. Je vais vous demander d’oublier tout ce qu’on a déjà dit sur cet épisode, y compris les parallèles textuels que nous avions relevés (cours n°5). Essayons d’en tirer un sens simple et, comme d’habitude, relevons les questions qu’une personne normalement intelligente se poserait en lisant cette histoire.

Lecture critique


L’histoire se trouve dans Béréchit, chapitre  11, versets 1 à 9. C’est une histoire courte. Et la contrainte pour cette histoire, comme pour toute histoire courte, est que tout doit être dit en un nombre de phrases moindre – en l’occurrence, neuf phrases seulement. Il faut donc aller à l’essentiel, ne pas se perdre dans des détails superflus etc. Par conséquent, si un détail aura l’air de ne pas être essentiel, il faudra forcément comprendre ce qu’il fait là.

א וַיְהִי כָל-הָאָרֶץ, שָׂפָה אֶחָת, וּדְבָרִים, אֲחָדִים.
1 Toute la terre avait une même langue et des paroles semblables.
ב וַיְהִי, בְּנָסְעָם מִקֶּדֶם; וַיִּמְצְאוּ בִקְעָה בְּאֶרֶץ שִׁנְעָר, וַיֵּשְׁבוּ שָׁם.
2 Or, en émigrant de l'Orient, les hommes avaient trouvé une vallée dans le pays de Sennaar, et s'y étaient arrêtés.
ג וַיֹּאמְרוּ אִישׁ אֶל-רֵעֵהוּ, הָבָה נִלְבְּנָה לְבֵנִים, וְנִשְׂרְפָה, לִשְׂרֵפָה; וַתְּהִי לָהֶם הַלְּבֵנָה, לְאָבֶן, וְהַחֵמָר, הָיָה לָהֶם לַחֹמֶר.
3 Ils se dirent l'un à l'autre: "Allons, préparons des briques et cuisons-les au feu." Et la brique leur tint lieu de pierre, et le bitume de mortier.
ד וַיֹּאמְרוּ הָבָה נִבְנֶה-לָּנוּ עִיר, וּמִגְדָּל וְרֹאשׁוֹ בַשָּׁמַיִם, וְנַעֲשֶׂה-לָּנוּ, שֵׁם: פֶּן-נָפוּץ, עַל-פְּנֵי כָל-הָאָרֶץ.
4 Ils dirent: "Allons, bâtissons-nous une ville, et une tour dont le sommet atteigne le ciel; faisons-nous un établissement durable, pour ne pas nous disperser sur toute la face de la terre."
ה וַיֵּרֶד ה׳, לִרְאֹת אֶת-הָעִיר וְאֶת-הַמִּגְדָּל, אֲשֶׁר בָּנוּ, בְּנֵי הָאָדָם.
5 Le Seigneur descendit sur la terre, pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils de l'homme;
ו וַיֹּאמֶר ה׳, הֵן עַם אֶחָד וְשָׂפָה אַחַת לְכֻלָּם, וְזֶה, הַחִלָּם לַעֲשׂוֹת; וְעַתָּה לֹא-יִבָּצֵר מֵהֶם, כֹּל אֲשֶׁר יָזְמוּ לַעֲשׂוֹת.
6 et il dit: "Voici un peuple uni, tous ayant une même langue. C'est ainsi qu'ils ont pu commencer leur entreprise et dès lors tout ce qu'ils ont projeté leur réussirait également.
ז הָבָה, נֵרְדָה, וְנָבְלָה שָׁם, שְׂפָתָם--אֲשֶׁר לֹא יִשְׁמְעוּ, אִישׁ שְׂפַת רֵעֵהוּ.
7 Descendons! Et, ici même, confondons leur langage, de sorte que l'un n'entende pas le langage de l'autre."
ח וַיָּפֶץ ה׳ אֹתָם מִשָּׁם, עַל-פְּנֵי כָל-הָאָרֶץ; וַיַּחְדְּלוּ, לִבְנֹת הָעִיר.
8 Le Seigneur les dispersa donc de ce lieu sur toute la face de la terre, les hommes ayant renoncé à bâtir la ville.
ט עַל-כֵּן קָרָא שְׁמָהּ, בָּבֶל, כִּי-שָׁם בָּלַל ה׳, שְׂפַת כָּל-הָאָרֶץ; וּמִשָּׁם הֱפִיצָם ה׳, עַל-פְּנֵי כָּל-הָאָרֶץ. {פ}
9 C'est pourquoi on la nomma Babel, parce que là le Seigneur confondit le langage de tous les hommes et de là l’Éternel les dispersa sur toute la face de la terre.

Détail linguistique

Avant de faire l’inventaire des questions que ce texte nous pose, je ne peux pas m’empêcher de vous faire part d’une beauté littéraire. De manière générale, il y a une redondance incroyable de mots qui se ressemblent, bien que n’ayant pas la même signification : il s’agit des mots en  ל׳ב׳נ׳ה׳ - L’B’N’H.

Voici un exemple remarquable de ces « jeux de mots ».

Il y a trois fois, au cours de cette histoire, une injonction – hava[1] - « allons ! ». Les deux premières sont dites par les hommes, et la troisième, par D.ieu. Regardons ce que chacun dit après ces hava
Les hommes disent (Béréchit 11:3) : « הָבָה נִלְבְּנָה לְבֵנִים » - « Allons, préparons[2] des briques ». Ils disent ensuite (Béréchit 11:4) : « הָבָה נִבְנֶה-לָּנוּ עִיר » - « Allons ! Bâtissons-nous une ville ».

Qu’est-ce qui a changé entre les deux injonctions des hommes ? En d’autres termes, quelle différence y-a-t-il entre « נִלְבְּנָה » et « נִבְנֶה » ?

La réponse est : une seule lettre. C’est la lettre lamedל – de « נִלְבְּנָה » qui a disparu et qui devient alors « נִבְנֶה ». Ceci dit, le lamed ne disparaît pas complètement, puisqu’il se « retrouve » dans le mot qui suit « נִבְנֶה-לָּנוּ », un peu comme si le lamed était propulsé vers l’avant…

Et maintenant, observons le 3ème hava de cette histoire. Celui-ci a été dit par D.ieu en réponse aux deux premiers hava des hommes (Béréchit 11:7) : « הָבָה, נֵרְדָה, וְנָבְלָה שָׁם, שְׂפָתָם » - « Descendons ! Et, ici même, confondons leur langage ». D.ieu parle à la première personne du pluriel, imitant en cela les hommes. Un peu comme s’Il disait : « Vous avez dit ‘‘allons faisons ci’’, ‘‘allons faisons cela’’ ; alors mois aussi je dis ‘‘allons faisons’’ etc. »
Et D.ieu emploie le terme « נָבְלָה » qui signifie « mélanger » mais ce qui est très beau et que ce mot peut être lu aussi à un deuxième niveau. En effet, si l’on prend les deux mots employés par les hommes après avoir dit hava (i.e. « נִלְבְּנָה » et « נִבְנֶה ») et qu’on les mélange, on obtient… « נָבְלָה » ! C’est une sorte de mélange à deux niveaux…

Questions

Voici les questions que je me suis posé à la lecture de cette histoire et qui, je pense, devraient monter à l’esprit de toute personne raisonnable.

1/ Motivations

Ça, c’est la grosse question, le type de question que j’appelle « Eléphant dans la pièce »[3] : Qu’est-ce que D.ieu a contre cette tour ? Il n’est nulle part fait mention qu’ils se soient rebellés contre D.ieu. Pourquoi D.ieu est-il alors en colère après eux ?
Peut-être ont-ils une mauvaise intention en construisant cette tour ? Alors, justement, regardons quelle est leur motivation (Béréchit 11:4) : 
ד וַיֹּאמְרוּ הָבָה נִבְנֶה-לָּנוּ עִיר, וּמִגְדָּל וְרֹאשׁוֹ בַשָּׁמַיִם, וְנַעֲשֶׂה-לָּנוּ, שֵׁם: פֶּן-נָפוּץ, עַל-פְּנֵי כָל-הָאָרֶץ.
4 Ils dirent: "Allons, bâtissons-nous une ville, et une tour dont le sommet atteigne le ciel; faisons-nous un établissement durable, de peur de nous disperser sur toute la face de la terre."

« וְנַעֲשֶׂה-לָּנוּ שֵׁם » : Ils veulent se faire un nom. Quel est le problème ? Aujourd’hui, sur n’importe quelle immeuble d’association caritative, vous allez trouver une plaque à l’entrée avec, gravés, les noms des donateurs. Est-ce problématique de vouloir mettre son nom sur une tour ? Il y a quelque chose de compréhensible à vouloir faire cela ; l’immeuble va durer plus longtemps que les donateurs qui cherchent une sorte d’immortalité de leur action…

« פֶּן-נָפוּץ, עַל-פְּנֵי כָל-הָאָרֶץ » : La fin de leur motivation est toute aussi étonnante : de quoi ont-ils peur ? De s’éparpiller sur la surface de la terre ? Pourquoi ont-ils peur de cela ? Sont-ils contre la notion de banlieue ? Et, franchement, vous trouvez que construire une tour afin de mettre tout le monde dedans est une solution durable au problème des banlieues ?

Bref, résumons cette (double) grosse question :
i.                     Qu’est-ce que D.ieu a contre la tour et le fait d’y mettre un nom ?
ii.                   Pourquoi construisent-ils une tour ? Quel(s) objectif(s) cherchent-ils à atteindre en la construisant ?

2/ Crainte de D.ieu ?

Lorsque D.ieu s’exprime (Béréchit 11:6), on a l’impression que D.ieu aurait « peur » de l’évolution de l’homme.
ו וַיֹּאמֶר ה׳, הֵן עַם אֶחָד וְשָׂפָה אַחַת לְכֻלָּם, וְזֶה, הַחִלָּם לַעֲשׂוֹת; וְעַתָּה לֹא-יִבָּצֵר מֵהֶם, כֹּל אֲשֶׁר יָזְמוּ לַעֲשׂוֹת.
6 et D.ieu dit: "Voici un peuple uni, tous ayant une même langue. C'est ainsi qu'ils ont pu commencer leur entreprise et dès lors tout ce qu'ils ont projeté leur réussirait également.

Mais de quoi D.ieu a-t-il peur ? En quoi l’évolution que prend l’humanité dérange-t-elle D.ieu ?

3/ Langue

Pourquoi et en quoi le langage est-il tellement important dans l’histoire de la Tour de Babel ?
Regardez : tout a commencé alors qu’ils n’avaient qu’une seule langue (« שָׂפָה אֶחָת, וּדְבָרִים אֲחָדִים ») et D.ieu, pour arrêter leur plan décide de mélanger leur langue (« וְנָבְלָה שָׁם שְׂפָתָם »).

Au passage, si vous étiez D.ieu, comment vous y prendriez-vous pour arrêter le projet de construction ? Vous avez tous les moyens à votre disposition, vous pouvez créer des tremblements de terre, vous pouvez rendre la terre meuble et inconstructible etc. mais vous vous dites : « pourquoi ne pas leur faire une « bonne blague » ; ainsi, si l’un demande à son ami une brique, celui-ci lui donnera une truelle, qu’est-ce qu’on va rigoler ! Et leur plan échouera ! ».
Est-ce un moyen sûr pour arrêter un tel projet ? Croyez-vous que cela suffise à stopper un groupe de personne qui veut vraiment construire cette tour ?
A mon avis, un tel obstacle n’est pas insurmontable et en quelques jours le projet de construction pourrait redémarrer ! En effet, au bout de quelques heures, ils se rendraient compte qu’on leur a fait une « bonne blague » et qu’ils ne parlent plus la même langue ; ils mettraient au point un dictionnaire rudimentaire du bâtiment de 200 mots et voilà, le projet repartirait !
Et pourtant, cette « bonne blague » de D.ieu a fonctionné, puisqu’ils se sont arrêté de construire la tour, comme il est dit (Béréchit 11:8) « וַיַּחְדְּלוּ, לִבְנֹת הָעִיר » - « les hommes ont renoncé à bâtir la ville ».

Pourquoi ? Pourquoi la langue est-elle si cruciale dans cette histoire ?

4/ hava

Le terme hava utilisé comme injonction, encouragement pour un groupe de personnes est assez rare dans la Torah. En fait, il n’est utilisé de la sorte que 4 fois dans la Torah, dont trois fois dans notre histoire. Il va falloir comprendre la signification de ce terme hava que nous traduisons en général par « allons, faisons » et en quoi il s’inscrit dans l’histoire de la Tour de Babel pour apparaître aussi souvent.

D’ailleurs, savez-vous où se trouve la 4ème occurrence de hava dans la Torah ? Eh bien, c’est dans la bouche de Par’o qu’on l’entendra. Il dira, prenant peur face au nombre croissant d’Hébreux sur sa terre (Chémot 1:10) :
י הָבָה נִתְחַכְּמָה, לוֹ: פֶּן-יִרְבֶּה, וְהָיָה כִּי-תִקְרֶאנָה מִלְחָמָה וְנוֹסַף גַּם-הוּא עַל-שֹׂנְאֵינוּ, וְנִלְחַם-בָּנוּ, וְעָלָה מִן-הָאָרֶץ.
10 Eh bien! Soyons plus sages qu’elle; autrement, elle s'accroîtra encore et alors, s’il survenait une guerre, ils pourraient se joindre à nos ennemis, nous combattre et sortir de la terre."

Il est intéressant de noter que, à la fois chez Par’o et dans la Tour de Babel, on retrouve des éléments similaires (cf. Chémot  1:10-14):
-          Hava, évidemment
-          « Pen » - « de peur »
-          Les hommes fabriqueront des briques et du mortier
-          les hommes construiront une ou des ville(s)

C’est peut-être pour cela que les sages voient un lien entre la Tour de Babel et l’esclavage des Hébreux en Egypte. Mais qu’est-ce que ce lien peut-il bien signifier ? Est-ce que ça voudrait dire que les gens de la Tour de Babel vivaient, eux-aussi, une sorte d’esclavage ?

Petite remarque avant de poursuivre les questions : savez-vous ce que hava signifie vraiment ? En réalité, hava veut dire « donnons ». En effet, le verbe « הב » signifie « donner ». Mais alors, n’est-ce pas une curieuse manière d’exhorter, d’encourager un groupe de personnes en disant « donnons » !? C’est aussi une chose qu’il va falloir comprendre et Par’o sera peut-être une clé…

5/ Intrigue trop détaillée

On a déjà remarqué que cette histoire est courte. Neuf versets seulement. Alors il y a des détails qui ont l’air superflus dans le verset suivant (Béréchit 11:3) « וַתְּהִי לָהֶם הַלְּבֵנָה לְאָבֶן, וְהַחֵמָר הָיָה לָהֶם לַחֹמֶר » - « Et la brique leur tint lieu de pierre, et le bitume de mortier ».

L’élément important de cette histoire est qu’ils veulent construire une tour. Quel intérêt la Torah a-t-elle à faire l’inventaire des matériaux utilisés ? Ou, en d’autres termes, qu’y a-t-il d’essentiel à savoir que les briques étaient pour eux comme des pierres et que le ‘hémar était pour eux comme du mortier ?




6/ Répétition de Vayomerou

Pourquoi la Torah répète-t-elle deux fois l’expression (Béréchit 11:3) « וַיֹּאמְרוּ אִישׁ אֶל-רֵעֵהוּ » - « Ils se dirent l’un l’autre », suivi immédiatement par (Béréchit 11:4) « וַיֹּאמְרוּ » - « Ils dirent » alors que rien ne se passe entre les deux ?
Autrement dit : pourquoi ne pas avoir dit une seule fois « וַיֹּאמְרוּ אִישׁ אֶל-רֵעֵהוּ »  suivi de tout ce qu’ils se sont dit ?

Pour ceux qui suivent nos cours régulièrement, vous devriez avoir une idée de ce que cette répétition signifie. En effet, ce n’est pas la première fois que l’on voit cela et il semble bien que ce soit un outil linguistique que la Torah utilise pour nous apprendre quelque chose. Voici quelques exemples parmi ceux que nous avons déjà vus ensemble :

-          Lors du Berith Bein Habétarim – Alliance d’entre les morceaux, Avraham parle à D.ieu, puis lui reparle sans que D.ieu n’ait répondu entre temps. Et pourtant, l’expression « Avraham dit à Hachem » est répétée. Nous avions expliqué que si cette expression était répétée, cela signifie que le silence de Hachem avait son importance. Avraham n’a pas dit ces deux paroles d’un trait. Il a dit la première, puis a attendu la réponse de D.ieu, qui n’est pas venue, et seulement alors il a prononcé sa deuxième parole[4].

-          Lors du la faute du veau d’or, Hachem s’adresse à Moché en lui disant (Chémot 32:7-10)
ז וַיְדַבֵּר ה׳, אֶל-מֹשֶׁה:  לֶךְ-רֵד--כִּי שִׁחֵת עַמְּךָ, אֲשֶׁר הֶעֱלֵיתָ מֵאֶרֶץ מִצְרָיִם. 
7 Alors l'Éternel dit à Moïse: "Va, descends! car on a perverti ton peuple que tu as tiré du pays d'Égypte!
ח סָרוּ מַהֵר, מִן-הַדֶּרֶךְ אֲשֶׁר צִוִּיתִם--עָשׂוּ לָהֶם, עֵגֶל מַסֵּכָה; וַיִּשְׁתַּחֲווּ-לוֹ, וַיִּזְבְּחוּ-לוֹ, וַיֹּאמְרוּ, אֵלֶּה אֱלֹהֶיךָ יִשְׂרָאֵל אֲשֶׁר הֶעֱלוּךָ מֵאֶרֶץ מִצְרָיִם. 
8 De bonne heure infidèles à la voie que je leur avais prescrite, ils se sont fait un veau de métal et ils se sont courbés devant lui, ils lui ont sacrifié, ils ont dit: ‘Voilà tes dieux, Israël, qui t'ont fait sortir du pays d'Égypte!’"
ט וַיֹּאמֶר ה׳, אֶל-מֹשֶׁה:  רָאִיתִי אֶת-הָעָם הַזֶּה, וְהִנֵּה עַם-קְשֵׁה-עֹרֶף הוּא. 
9 L'Éternel dit à Moïse: "Je vois que ce peuple est un peuple rétif.
י וְעַתָּה הַנִּיחָה לִּי, וְיִחַר-אַפִּי בָהֶם וַאֲכַלֵּם; וְאֶעֱשֶׂה אוֹתְךָ, לְגוֹי גָּדוֹל. 
10 Donc, cesse de me solliciter, laisse s'allumer contre eux ma colère et que je les anéantisse, tandis que je ferai de toi un grand peuple!"

Là aussi, il est dit deux fois que D.ieu parla à Moché parce que les deux paroles sont indépendantes et que le silence de Moché entre les deux est marquant ! D.ieu dit une première parole, accablante pour le peuple d’Israël. Mais Moché ne réagit pas pour prendre la défense de son peuple. Alors D.ieu reprend la parole et dit : « Ah ! Si c’est ainsi, si même toi qui défends toujours le peuple d’Israël ne trouve rien pour les défendre maintenant, alors… laisse-moi et je vais détruire… »[5]

Dans notre cas, cela signifie que les deux Vayomerou sont indépendants ! Cela veut dire qu’ils avaient deux projets, bien distincts !

La clé : il y avait deux Projets


Ce que nous venons de voir avec la répétition des Vayomerou est fondamental pour la compréhension des motivations des hommes dans l’histoire de la Tour de Babel. Parce que cela signifie qu’ils ont eu deux projets :

-          Projet A : Ils voulaient d’abord fabriquer des briques et du mortier
-          Projet B : Ils voulaient construire une tour et une ville

Lorsqu’ils ont envisagé le Projet A, ils n’avaient absolument pas encore en tête le Projet B : cela signifie qu’ils voulaient construire des briques, mais ils n’avaient pas encore l’intention de s’en servir pour construire une tour.
Une fois que les briques sont créées et que le Projet A est terminé, alors ils fomentent le projet de construire une tour et une ville à partir des éléments produits lors du Projet A.

Cette idée se retrouve d’ailleurs dans la curiosité linguistique que nous avons relevée au début. Quelle différence entre le mot du Projet A (« נִלְבְּנָה ») et celui du Projet B (« נִבְנֶה-לָּנוּ ») ? Nous avons vu que ce qui change est la lettre lamed qui progresse. Entre le Projet A et le Projet B, il y a un avancement, un progrès. En quelques sortes, le Projet B, c’est l’étape qui suit le Projet A.

Cela fait penser à la technologie, à la marche de la technologie qui a peut-être débuté avec la Tour de Babel…

Si l’on y pense, la pierre est un matériau de construction sûrement meilleur que la brique. Mais la brique, à la différence de la pierre, est le fruit de l’ingéniosité de l’homme. L’homme construit la brique parce qu’il le peut ; c’est exactement comme Kennedy qui disait en substance: « On va sur la lune, pas parce que c’est facile. C’est difficile. On y va parce qu’on peut le faire ». Aller sur la lune pour Kennedy, c’est comme construire des briques pour les hommes de la Tour de Babel.

Et une fois que les briques sont là, alors on construit une tour, une ville. Pourquoi ? Parce que maintenant, on peut le faire, puisqu’on a les briques !



Comprendre l’histoire

Résoudre les questions

On peut maintenant comprendre la crainte des hommes (Béréchit 11:4) « פֶּן-נָפוּץ, עַל-פְּנֵי כָל-הָאָרֶץ » - « De peur de nous disperser sur toute la face de la terre ». Ils ont peur de se disperser. Pourquoi ? Pensez à la technologie. Elle n’est pas le fruit d’un homme, mais celui d’une communauté d’êtres humains. Il faut être plusieurs pour conceptualiser et fabriquer des briques et du mortier, pour concevoir les plans de la tour etc… Personne ne peut construire un Boeing 747 tout seul dans son garage : il faut être des centaines de personnes pour y parvenir, chacun y apportant son expertise et son énergie.

La voila la crainte des hommes de la Tour de Babel : ils ont peur de se disperser car alors, ils n’auront plus le même potentiel de création. La technologie fonctionne mieux si on est en groupe…

C’est aussi cela qui explique la notion de don dans le terme hava répété plusieurs fois. Vivre en communauté pour atteindre un objectif ambitieux comme construire un Boeing 747, aller sur la lune ou construire une Tour de Babel, nécessite des dons de chacun, des sacrifices.
C’est peut-être ce que Par’o dit à son peuple : « Je sais que c’est difficile de jeter des petits bébés dans le Nil et ses crocodiles, je sais que c’est cruel ; mais que voulez-vous ? C’est pour le bien de notre communauté, de notre pays, de notre civilisation. Cela fait partie des sacrifices à faire pour le bien de nous tous… » Voilà ce que je vois concentré dans le mot hava : « sacrifiez votre individualité pour le bien de la communauté ».  Quelque part, en ce sens, les Egyptiens aussi étaient esclaves en Egypte…
A Babel, c’est pareil : chaque individu est invité à sacrifier son individualité pour la faveur du groupe. C’est aussi une forme d’esclavage où chacun sur-donne ou donne trop de sa personne pour le groupe. Hava[6].

Nous avons compris la crainte des hommes, revenons maintenant à leur motivation (Béréchit 11:4) « וְנַעֲשֶׂה-לָּנוּ שֵׁם » - « Et que nous fassions pour nous un nom ». Qu’est-ce que le chème (nom) ? Qu’es-ce que le nom représente-t-il ? Nous avons vu il y a quelques temps dans cette série cette notion de chème lorsqu’Adam donna des noms à tous les animaux etc.
Un chème représente une nature, donne un objectif, représente l’essence de l’objet nommé… Ici, l’expression « וְנַעֲשֶׂה-לָּנוּ שֵׁם » pourrait alors se traduire par « Et ainsi on nous appellera ‘les constructeurs de tour’ » ou « La tour sera notre ‘nom’ ».

Pourquoi D.ieu n’aime pas ça ? Parce que : où cela va-t-il aller ? Quelle est la prochaine étape ? Ici, on a à faire à des gens qui ont les mêmes préoccupations, les mêmes expressions, une manière commune de voir le monde (Béréchit 11:1 « שָׂפָה אֶחָת, וּדְבָרִים אֲחָדִים » - « une langue et des paroles communes »). Et c’est ça qu’ils voulaient faire ? Rien ne va plus les arrêter ! C’est la marche de la technologie !

Quel est le problème de la technologie ?
D’un côté, la technologie est bonne pour l’homme, grâce à elle on peut téléphoner, on peut diagnostiquer et guérir des pathologies mortelles etc. C’est l’énergie créatrice de la société.
Mais d’un autre côté, la créativité doit avoir ses limites. Rappelez-vous, c’est ce que le Shabbat de la Création nous apprend[7]. D.ieu, le Créateur ultime, nous montre que ce qui fait qu’une création est réussie est que, paradoxalement, on a su l’arrêter. Parce que c’est quand le créateur arrête de créer que sa création peut alors avoir sa propre existence. Parce que c’est uniquement lorsque le Shabbat est arrivé que le Créateur a pu encourager l’homme à avoir des enfants, au Pérou Ourvou.
Il en va de même pour la technologie. Elle n’est pas foncièrement mauvaise, mais, comme toute force créatrice, elle doit être maîtrisée, canalisée. Parce que, dans le cas contraire, cela peut devenir dangereux. Des constructions ont été engagées alors qu’on savait depuis le départ que des vies humaines seraient perdues. Ça, c’est la marche de la technologie non maîtrisée, où le chème de la communauté écrase les individus en les exhortant à donner, au hava.

C’est cela que D.ieu voit dans cette entreprise : il n’y a pas de limite à une technologie non maîtrisée, il y a ici une sur-identification à son pouvoir de créer[8]

Examinons maintenant le rôle crucial de la langue dans cette histoire. La langue est primordiale dans notre vie parce que c’est elle qui nous permet d’exprimer nos idées, c’est comme nos lunettes sur le monde. On pense dans notre langue.
Par exemple : j’insiste pour que mes enfants développe leur vocabulaire. Pas pour qu’ils sachent utiliser des mots compliqués et châtiés ; mais parce que cela leur permettra d’exprimer le plus précisément possible leurs pensées, leurs sentiments. Cela les aidera même à penser !
Ce que je considère comme l’essence d’un bon vocabulaire, c’est : connaître les mots habituels et savoir précisément comment les utiliser.
Et c’est très important, parce que si l’on n’a pas un bon vocabulaire, alors on est bloqué dans des descriptions en « noir et blanc », sans nuances, sans précisions ; et l’on n’aura pas les outils pour voir le monde dans sa finesse. On ne pourra avoir une vision nuancée des choses que si l’on a les mots pour y penser.

De même, pourquoi est-ce si important de connaître plusieurs langues ? Parce que les langues ne sont pas interchangeables ! Chaque langue a sa propre personnalité, parce que chaque langue donne une perspective différente sur la vie. Connaître plusieurs langues permet même de vivre certaines situations selon plusieurs angles.

Mais que se passe-t-il si on est « bloqué », ne connaissant qu’une seule langue ? Que se passe-t-il s’il n’y a qu’une seule langue sur terre ?

Dans ce cas, il n’y a qu’une seule perspective, qu’une seule vision du monde. Dans un tel monde, il est facile de perdre le sens de ce qu’est « être un homme » et croire que l’on se définit par ce qu’on crée. On voit alors le monde à travers les lunettes du Tov et du Ra’. C’est-à-dire que je ne vois plus ce qui est vraiment, moralement, bon ou mauvais ; mais je vois plutôt ce qui est bon pour moi, pour mes désirs de créativité. Alors, si je me définis par ce que je crée ou parce que je peux créer, par ma créativité, alors celle-ci n’a plus de limite ! Il n’y a plus de Shabbat !

Signification

La théorie que je développe avec vous depuis le début de cette série est qu’il y a eu Création et Recréation, que l’histoire de l’Arbre de la Connaissance (faisant partie de la Création) se retrouve dans deux histoires, sous deux formes dans le monde de la Recréation.
L’une de ces deux histoire est celle de Noa’h et la vigne. Celle-ci, on l’a vu la dernière fois, traite de la sur-identification d’un individu à son potentiel créateur – dans le sens biologique. Tandis que l’autre histoire, celle de la Tour de Babel, traite de la sur-identification d’une communauté d’individus à leur potentiel créateur – dans le sens technologique.

D’ailleurs, nos sages[9] notent dans les termes « בְּנֵי הָאָדָם » qu’il ne s’agit pas de la créativité de l’humanité entière  (le texte aurait alors dit « בְּנֵי-אָדָם ») mais plus précisément de celle des descendants d’Adam, celui que l’on connaît, le premier homme. Cela va dans le sens que nous développons, les hommes de la Tour de Babel ont eu la même problématique du désir créatif qu’Adam dans le Gan ’Eden[10].

Dans le cas de la Tour de Babel, il s’agit de cette force collégiale, extraordinaire, puissante de créer des choses – la technologie – mais cette force doit être canalisée, sinon – et c’est ce qui se passe avec la Tour de Babel – on se met à créer des choses juste parce qu’on peut le faire et ensuite on s’identifie à notre création.

Mais lorsqu’il n’y a plus d’unité, lorsqu’il n’y a plus un seul langage, alors le projet tombe à l’eau car les perspectives sur le monde se démultiplient.
Ce faisant, D.ieu détruit l’universalisme qu’il y avait sur terre. Avant, il y avait une seule langue, une seule famille. Dorénavant, plusieurs nations vont se créer, chacune avec sa propre vision du monde.

Et c’est d’ailleurs ce qui lie cette histoire à l’introduction d’Avraham qui arrive à peine quelques versets après la Tour de Babel dans la Torah. En effet, jusqu’à présent, D.ieu s’adressait à l’Humanité – universelle – dans son ensemble (« בְּנֵי הָאָדָם »). Maintenant qu’elle n’est plus, D.ieu « doit » utiliser un autre moyen de communiquer avec l’Humanité entière. C’est là qu’Avraham prend tout son sens. Nous y reviendrons plus tard.



Chiasme dans la Tour


J’aimerais terminer cet épisode par un chiasme. Car cette histoire aussi est écrite en chiasme – atbach. En fait, nous avons à faire à un trio d’histoires – liées entre elles – toutes écrites en atbach. Nous avons déjà vu que l’histoire d’Adam et ’Hava dans le Gan ’Eden ainsi que celle de Noa’h et de la vigne étaient des chiasmes. Maintenant, nous allons voir que la troisième, l’histoire de la Tour de Babel est, elle aussi, écrite en atbach.

Le chiasme commence et se termine par les toldot – générations. C’est la partie la plus facile à trouver :

Juste avant l’histoire (Béréchit 10:32):
לב אֵלֶּה מִשְׁפְּחֹת בְּנֵי-נֹחַ לְתוֹלְדֹתָם, בְּגוֹיֵהֶם; וּמֵאֵלֶּה נִפְרְדוּ הַגּוֹיִם, בָּאָרֶץ--אַחַר הַמַּבּוּל.  {פ}
32 Ce sont là les familles des fils de Noé, selon leur filiation et leurs peuplades; et c'est de là que les nations se sont distribuées sur la terre après le Déluge.

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Juste après de l’histoire (Béréchit 11:10):
י אֵלֶּה, תּוֹלְדֹת שֵׁם--שֵׁם בֶּן-מְאַת שָׁנָה, וַיּוֹלֶד אֶת-אַרְפַּכְשָׁד:  שְׁנָתַיִם, אַחַר הַמַּבּוּל. 
10 Voici les générations de Sem. Sem était âgé de cent ans lorsqu'il engendra Arphaxad, deux ans après le Déluge.


Ce qui est déjà remarquable, c’est qu’il s’agit des toldot de Chème, fils de Noa’h. Chème qui renvoie forcément à la notion de chème – nom, qui est centrale dans cette histoire.
Ensuite, on a le contexte : une langue, un peuple. De l’autre côté du chiasme, on trouve l’éclatement de ces unités par Hachem en conséquence de la Tour de Babel :

Début (Béréchit 11:1)
א וַיְהִי כָל-הָאָרֶץ, שָׂפָה אֶחָת, וּדְבָרִים, אֲחָדִים.
1 Toute la terre avait une même langue et des paroles semblables.

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Fin (Béréchit 11: 9)
ט עַל-כֵּן קָרָא שְׁמָהּ, בָּבֶל, כִּי-שָׁם בָּלַל ה׳, שְׂפַת כָּל-הָאָרֶץ; וּמִשָּׁם הֱפִיצָם ה׳, עַל-פְּנֵי כָּל-הָאָרֶץ. {פ}
9 C'est pourquoi on la nomma Babel, parce que là le Seigneur confondit le langage de tous les hommes et de là l’Éternel les dispersa sur toute la face de la terre.


Continuons. Au début, ils s’installent là-bas ; à la fin, suite à la Tour de Babel, D.ieu les disperse de là-bas.

Début (Béréchit 11:2)
ב וַיְהִי, בְּנָסְעָם מִקֶּדֶם; וַיִּמְצְאוּ בִקְעָה בְּאֶרֶץ שִׁנְעָר, וַיֵּשְׁבוּ שָׁם.
2 Or, en émigrant de l'Orient, les hommes avaient trouvé une vallée dans le pays de Sennaar, et s'y étaient arrêtés.

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Fin (Béréchit 11:8)
ח וַיָּפֶץ ה׳ אֹתָם מִשָּׁם, עַל-פְּנֵי כָל-הָאָרֶץ; וַיַּחְדְּלוּ, לִבְנֹת הָעִיר.
8 Le Seigneur les dispersa donc de ce lieu sur toute la face de la terre, les hommes ayant renoncé à bâtir la ville.

Une fois, installés, les hommes fomentent leur plan. De même, de l’autre côté de l’atbach, on retrouve le plan de D.ieu. On retrouve, dans les deux fois, des éléments de langage très semblables. Par exemple :
-          Ils se parlent l’un à l’autre | Ils ne se comprennent plus l’un l’autre
-          Hava
-          Double verbe à la troisième personne du pluriel
-          Les mots « שרפה » et « שפה » sont très similaires

Début (Béréchit 11:3)
ג וַיֹּאמְרוּ אִישׁ אֶל-רֵעֵהוּ, הָבָה נִלְבְּנָה לְבֵנִים, וְנִשְׂרְפָה, לִשְׂרֵפָה; וַתְּהִי לָהֶם הַלְּבֵנָה, לְאָבֶן, וְהַחֵמָר, הָיָה לָהֶם לַחֹמֶר.
3 Ils se dirent l'un à l'autre: "Çà, préparons des briques et cuisons-les au feu." Et la brique leur tint lieu de pierre, et le bitume de mortier.

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Fin (Béréchit 11:7)
ז הָבָה, נֵרְדָה, וְנָבְלָה שָׁם, שְׂפָתָם--אֲשֶׁר לֹא יִשְׁמְעוּ, אִישׁ שְׂפַת רֵעֵהוּ.
7 Descendons! Et, ici même, confondons leur langage, de sorte que l'un n'entende pas le langage de l'autre."


On approche du centre. D’un côté, on trouve le deuxième plan des hommes. De l’autre, c’est D.ieu qui s’inquiète des tournures que prennent les choses : « Où cela va-t-il se finir ? »

Début (Béréchit 11:4)
ד וַיֹּאמְרוּ הָבָה נִבְנֶה-לָּנוּ עִיר, וּמִגְדָּל וְרֹאשׁוֹ בַשָּׁמַיִם,
4 Ils dirent: "Allons, bâtissons-nous une ville, et une tour dont le sommet atteigne le ciel."

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Fin (Béréchit 11:6)
ו וַיֹּאמֶר ה׳, הֵן עַם אֶחָד וְשָׂפָה אַחַת לְכֻלָּם, וְזֶה, הַחִלָּם לַעֲשׂוֹת; וְעַתָּה לֹא-יִבָּצֵר מֵהֶם, כֹּל אֲשֶׁר יָזְמוּ לַעֲשׂוֹת.
6 et il dit: "Voici un peuple uni, tous ayant une même langue. C'est ainsi qu'ils ont pu commencer leur entreprise et dès lors tout ce qu'ils ont projeté leur réussirait également.


Nous voici maintenant au centre du atbach :
א וַיְהִי כָל-הָאָרֶץ, שָׂפָה אֶחָת, וּדְבָרִים, אֲחָדִים. ב וַיְהִי, בְּנָסְעָם מִקֶּדֶם; וַיִּמְצְאוּ בִקְעָה בְּאֶרֶץ שִׁנְעָר, וַיֵּשְׁבוּ שָׁם. ג וַיֹּאמְרוּ אִישׁ אֶל-רֵעֵהוּ, הָבָה נִלְבְּנָה לְבֵנִים, וְנִשְׂרְפָה, לִשְׂרֵפָה; וַתְּהִי לָהֶם הַלְּבֵנָה, לְאָבֶן, וְהַחֵמָר, הָיָה לָהֶם לַחֹמֶר. ד וַיֹּאמְרוּ הָבָה נִבְנֶה-לָּנוּ עִיר, וּמִגְדָּל וְרֹאשׁוֹ בַשָּׁמַיִם, וְנַעֲשֶׂה-לָּנוּ, שֵׁם: פֶּן-נָפוּץ, עַל-פְּנֵי כָל-הָאָרֶץ. ה וַיֵּרֶד ה׳, לִרְאֹת אֶת-הָעִיר וְאֶת-הַמִּגְדָּל, אֲשֶׁר בָּנוּ, בְּנֵי הָאָדָם. ו וַיֹּאמֶר ה׳, הֵן עַם אֶחָד וְשָׂפָה אַחַת לְכֻלָּם, וְזֶה, הַחִלָּם לַעֲשׂוֹת; וְעַתָּה לֹא-יִבָּצֵר מֵהֶם, כֹּל אֲשֶׁר יָזְמוּ לַעֲשׂוֹת. ז הָבָה, נֵרְדָה, וְנָבְלָה שָׁם, שְׂפָתָם--אֲשֶׁר לֹא יִשְׁמְעוּ, אִישׁ שְׂפַת רֵעֵהוּ. ח וַיָּפֶץ ה׳ אֹתָם מִשָּׁם, עַל-פְּנֵי כָל-הָאָרֶץ; וַיַּחְדְּלוּ, לִבְנֹת הָעִיר. ט עַל-כֵּן קָרָא שְׁמָהּ, בָּבֶל, כִּי-שָׁם בָּלַל ה׳, שְׂפַת כָּל-הָאָרֶץ; וּמִשָּׁם הֱפִיצָם ה׳, עַל-פְּנֵי כָּל-הָאָרֶץ. {פ}.

Le centre du chiasme de l’histoire de la Tour de Babel est le verset suivant (Béréchit 11:4-5):
ד ...וְנַעֲשֶׂה-לָּנוּ, שֵׁם: פֶּן-נָפוּץ, עַל-פְּנֵי כָל-הָאָרֶץ.
4 [Ils dirent:] "…faisons-nous un établissement durable, pour ne pas nous disperser sur toute la face de la terre."
ה וַיֵּרֶד ה׳, לִרְאֹת אֶת-הָעִיר וְאֶת-הַמִּגְדָּל, אֲשֶׁר בָּנוּ, בְּנֵי הָאָדָם.
5 Le Seigneur descendit sur la terre, pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils de l'homme;

Centres de chiasmes

Dans le chiasme de Noa’h et la Vigne nous avions un centre très proche de celui de l’histoire d’Adam et ’Hava dans le Gan ’Eden. Dans les deux cas, en effet, nous avions la prise de conscience d’une nudité, avec le même verbe de « וידע ».

Pour rappel, voici les centres que nous avions identifiés :

-          Histoire d’Adam et ’Hava dans le Gan ’Eden (Béréchit 3:7) :
ז וַתִּפָּקַחְנָה, עֵינֵי שְׁנֵיהֶם, וַיֵּדְעוּ, כִּי עֵירֻמִּם הֵם; וַיִּתְפְּרוּ עֲלֵה תְאֵנָה, וַיַּעֲשׂוּ לָהֶם חֲגֹרֹת. 
7 Leurs yeux à tous deux se dessillèrent, et ils connurent qu'ils étaient nus; ils cousirent ensemble des feuilles de figuier, et s'en firent des pagnes.

-          Histoire de Noa’h et la Vigne (Béréchit 9:24):
כד וַיִּיקֶץ נֹחַ, מִיֵּינוֹ; וַיֵּדַע, אֵת אֲשֶׁר-עָשָׂה לוֹ בְּנוֹ הַקָּטָן. 
24 Noé, réveillé de son ivresse, connut ce que lui avait fait son plus jeune fils,

On se serait normalement attendu à avoir un centre du chiasme similaire dans l’histoire de la Tour de Babel. Or ce n’est absolument pas le cas. On n’y parle pas de nudité, pas de prise de conscience etc. Est-ce l’exception qui confirme la règle ?

Rappelez-vous, on a trouvé, jusqu’à présent, deux trios de chiasmes : Shabbat / Arc-en-Ciel / Brith Mila, et, Eden / Vigne / Babel. Dans le premier trio de chiasmes, nous avions des centres très similaires. Nous avions, à chaque fois, l’idée de « garder l’alliance ». Mais dans ce second trio de chiasmes, nous sommes un peu perdus avec le centre de la Tour de Babel qui a l’air de dénoter par rapport aux deux autres histoires de son trio…

Et puis, de toutes les façons, pourquoi l’histoire de l’Arbre de la Connaissance est-elle reproduite deux fois dans le monde de la Recréation ? Chaque élément de la Création n’est reproduit qu’une seule fois dans le monde de la Recréation ? Pourquoi cette différence ?

Nous avons déjà un élément de réponse avec notre présente étude : il s’agit de deux formes de créativité ; l’une est individuelle et biologique, l’autre est collective et technologique.

Mais je crois que c’est plus profond que cela ; nous le verrons la prochaine fois. Nous verrons aussi comment le centre du chiasme de la Tour de Babel correspond parfaitement à celui de l’Arbre de la Connaissance. Nous verrons enfin comment tout ceci pose le contexte de la suite du Sefer Béréchit, en particulier dix générations plus tard avec Avraham.

A la prochaine !

 

 
Traduit librement par Naty à partir d’une série de conférences données par Rav Fohrman en 2007. Le titre original de la série est : « Brief History of the World: From Adam to Abraham ».



[1] Nous reviendrons sur la signification exacte de ce terme hava. Traduisons-le par « allons » pour l’instant…
[2] La traduction en français ne fait pas transparaître le double langage qui existe en hébreu. Nous devrions traduire quelque chose comme « briquons des briques »
[3] N.d.T – ceux qui ont lu le livre Adam & Eve, Caïn & Abel de Rav Fohrman devraient être familiers avec cette terminologie.
[4] N.d.T – si vous voulez plus de détail, voir le cours sur Hagar et Yshmaël où cet exemple est développé ainsi qu’un autre exemple, celui de l’ange parlant à Hagar dans le désert.
[5] N.d.T – il y a toute une série de Rav Fohrman sur la faute du veau d’or… que je n’ai pas encore traduite. Peut-être un jour…
[6] Le mot ahava – amour – provient aussi de la même racine. Quelque part, l’amour est aussi un don de soi à un ensemble qui est le couple. Le danger de l’amour est lorsque, justement, on se donne entièrement à son couple, quand l’existence de l’individu est complètement effacée devant celle du couple. Je vous invite à lire le livre The Examined Life de Robert Nozick, en particulier le chapitre sur la signification de l’amour.
[8] Tiens, tiens, cela ne vous rappelle rien ? C’est le même problème que celui d’Adam dans le Gan ’Eden ou que celui de Noa’h avec son petit-fils… Nous reviendrons dans la suite sur ces ressemblances.
[9] Cf. Rashi sur Béréchit 11:5 – « בְּנֵי הָאָדָם »
[10] Je vous renvois d’ailleurs au cours n°5 au cours duquel nous avions relevé une multitude de liens textuels entre ces deux histoires (Tour de Babel et Gan ’Eden)

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