mercredi 15 juillet 2015

Rahel et Léa - Le Mystère des Mandragores

J'aimerais remercier Itala pour le travail titanesque qu'elle a fourni pour vous proposer le texte ci-dessous. Il s'agit d'une synthèse de toute une série de cours que Rav Fohrman a donné récemment à Paris et à New York.
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Une expérience de pensée


Je voudrais partager avec vous quelque chose sur lequel j’ai travaillé récemment, que j’ai découvert depuis peu, et que je porte sur mon cœur. Et je voudrais vous le présenter à l’aide d’une expérience de pensée.

Une heure au café en attendant votre chambre

Imaginez un instant que vous avez vécu une vie pleine, et qu’après 120 ans, vous quittez ce monde. Vous allez au Ciel, et l’Ange chargé des nouveaux arrivants vous accueille avec un visage plein de regret. Il vous dit : « Ne vous inquiétez pas. Vous avez vécu une vie pleine, et nous avons une place magnifique qui vous est réservée au Ciel. Malheureusement, le personnel de ménage travaille un peu lentement aujourd’hui, et votre chambre n’est pas encore complètement prête. Laissez-nous quelques heures ». Et, toujours avec ce regard chargé de regret, il dit : « Mais j’ai un plan très intéressant à vous proposer, qui vous aiderait à passer le temps. Sur le nuage juste à côté, il y a un superbe café, et je voudrais vous inviter à vivre L’Expérience de votre vie – ou L’Expérience de votre mort… Choisissez le personnage que vous voulez, de tout le Tanakh, et je l’appellerai. Et vous pourrez passer une heure, dans ce café, avec ce personnage, et apprendre à le connaître, comme s’il était votre ami. Vous pourrez lui poser toutes les questions que vous voudrez afin de comprendre vraiment qui il est. Donnez-moi juste son nom et je l’appellerai. Qui voudriez-vous que j’appelle ? »
Vous vous sentez un peu gêné, vous ne vous attendiez pas à ça… Mais vous avez une minute  pour y réfléchir. Qui appelleriez-vous ?

Que sait-on à propos de Ra’hel ?

Le problème de vivre 3000 ans après que la Bible a été écrite, c’est qu’il y a ces personnages que l’on veut connaître, mais qui ne sont plus là. Il y a 3000 ans qui nous sépare d’eux. La seule chose que nous ayons comme moyen de les connaître,  c’est un Livre, la Bible. Et le problème avec ce Livre, c’est qu’il raconte les histoires de manière très courte et cryptée. Le Livre ne dit pas grand-chose à propos des personnages sur lesquels nous voudrions tout savoir. Donc voilà votre chance pour vraiment apprendre à connaître quelqu’un. Qui choisiriez-vous ? Je vais vous dire un personnage que je choisirais, l’un des personnages qui se trouve en haut de ma liste. Ce serait Ra’hel, épouse de Ya’akov, mère de notre peuple. Ra’hel est une femme par laquelle Ya’akovétait captivé. Il est tombé amoureux d’elle en un instant, au puits, quand il l’a vue pour la première fois. Et pendant tout le reste de sa vie, il n’a cessé d’être en extase devant elle. Elle meurt jeune, en couche, et pourtant, pour le restant de ses jours, Ya’akov continue à lui être fidèle, à elle et à ses enfants.
Qu’avait-elle de si particulier ? Pour que Ya’akovsoit subjugué par elle à ce point ? Qui était-elle ? À quoi ressemblait-elle vraiment ? Nous savons peu à ce propos… La Torah nous donne très peu d’éléments sur sa vie. Que sait-on en réalité ?
On sait qu’elle était au puits, Ya’akov est tombé amoureux d’elle.
On sait que plus tard, dans sa vie, il y eut ces idoles appartenant à son père et qu’elle a volées en quittant la maison.
On sait qu’elle meurt en couche.
Et l’épisode de sa vie que l’on connaît le mieux est celui qui est le plus douloureux et le plus étrange. L’histoire du chapitre 30 dans le livre de Béréchit. Cette histoire avec les Mandragores, où Ra’hel – alors infertile – est désespérée d’avoir un enfant. Elle est jalouse de sa sœur qui est mariée au même homme qu’elle. Ra’hel a une vie dure. Elle a attendu sept ans pour épouser l’homme de sa vie, et tout ça pour se faire rouler au dernier moment, tout ça pour être substituée par sa sœur. Après cela, elle ne peut pas avoir d’enfant tandis que Léa commence à en avoir. Alors, Ra’hel commence à jalouser sa sœur. Et là, alors qu’on lit l’histoire, on se sent comme un voyeur qui s’intéresse à quelque chose qui ne le regarde pas. L’histoire ne semble pas très inspirante, mais juste pleine desouffrance, de douleur, de peine. Et on a ce regard intime déconcertant sur les détails de la vie de Ra’hel alors qu’elle se bat contre l’infertilité et la jalousie.
Voilà, en gros, ce qu’on sait à propos de Ra’hel.

Un deuxième personnage avec nous

Ce que je voudrais faire, c’est re-créer cette expérience du café avec vous, vous n’aurez même pas besoin d’attendre 120 ans pour le faire. On peut le faire maintenant : essayer de comprendre Ra’hel, comme si on la connaissait, comme si elle était vivante aujourd’hui, qu’on pouvait s’asseoir et discuter avec elle. Nous avons ce soir l’opportunité de passer une heure avec Ra’hel dans ce café, avec une autre personne, qui s’assoit avec nous et participe à la conversation, avec aucun autre objectif que de s’assurer que nous comprenons chaque mot que Ra’hel nous dit. Cette personne, c’est Jérémie le prophète.
Il se trouve qu’il y a deux versets étranges dans Jérémie, où le prophète mentionne Ra’hel. Ce sont les deux versets les plus connus de tout le livre de Jérémie. Ils ont été transformés en chansons, qui vous sont peut-être familières. Je parle des versets qui commencent par : « Kol bérama nichma’ » - « קוֹל בְּרָמָה נִשְׁמָע ».
C’est une prophétie de Jérémie dans laquelle – je pense, si on la lit attentivement – il tente de recréer cette expérience du café avec Ra’hel pour nous. Mais on doit apprendre comment lire attentivement ces versets. Que dit Jérémie dans cette prophétie ? Lisons les mots.
Le contexte est le suivant. Jérémie vit des siècles après la mort de Ra’hel. Entre temps, les enfants de Ra’hel sont devenus une nation et sont allés sur la Terre d’Israël. Au temps de Jérémie, cette nation va en guerre contre la Babylonie et est vaincue. Nabuchodonosorenvoie cette nation, les enfants de Ra’hel, en exil. Et Jérémie, voyant cette scène, a une prophétie qui porte sur Ra’hel. Ra’hel est maintenant décédée, elle est au Ciel. Et pourtant, Ra’hel, aux Cieux, pleure sur ses enfants. Jérémie dépeint pour nous la scène des pleurs de Ra’hel. Si on y réfléchit bien, ce que Jérémie est entrain de faire là est unique dans tout le Tanakh. En effet, nous avons un prophète qui est entrain de donnerune image d’un autre personnage du Tanakh, qui se trouve dans le Monde Futur, et il nous dit ce qui se passe avec cette personne qui est aux Cieux.

Etude de la prophétie

Première lecture

Voici l’image[1] (Jérémie 31:14)[2] :
« כֹּה אָמַרה׳ », « Ainsi parle le Seigneur », « קוֹל בְּרָמָה נִשְׁמָע », « Une voix retentit dans Rama[3] ».
Au début de la prophétie, tout ce qu’on sait, c’est qu’il y a une voix. Une voix qu’on entend dans le Ciel. Ensuite, on apprend que cette voix est entrain de pleurer : « נְהִי בְּכִי תַמְרוּרִים », « une voix plaintive, d'amers sanglots ». Le mot « תַמְרוּרִים » vient du mot « מר », qui signifie « amer ». Mais ces pleurs sont encore plus amers que « amers », il y a un « ר » supplémentaire, « מרר », ce qui accentue la notion d’amertume. Il s’agit donc d’un pleur terriblement amer.
Qui est entrain de pleurer ? C’est Ra’hel : « רָחֵלמְבַכָּה[4] עַל-בָּנֶיהָ », « C'est Ra’hel qui pleure ses enfants ». Et Jérémie continue : « מֵאֲנָה לְהִנָּחֵם », « elle ne veut pas se laisser consoler ». Tous les anges essaient de lui apporter la consolation, prennent Ra’hel dans les bras en tentant de lui apporter du réconfort. Mais Ra’hel ne se console pas. Rien de ce qu’on lui dit ne fait s’arrêter Ra’hel de pleurer. 
Pourquoi pleure-t-elle ? « עַל-בָּנֶיהָ », « sur ses enfants », « כִּי אֵינֶנּוּ », « car ils ne sont plus là ».[5]
Lisons la suite (Jérémie 31:15) : « כֹּה אָמַר ה׳ », « Ainsi dit le Seigneur ». Après que tous les anges ont essayé de consoler Ra’hel, D.ieu Lui-même vient voir Ra’hel et lui dit la chose suivante : « מִנְעִי קוֹלֵךְ מִבֶּכִי », « que ta voix cesse de pleurer », « וְעֵינַיִךְ, מִדִּמְעָה », « et tes yeux de pleurer ». Ne pleure pas, lui dit D.ieu, ça va aller. Pourquoi ? « כִּי יֵשׁ שָׂכָר לִפְעֻלָּתֵךְ », « car il y aura une récompensepour ce que tu as fait », « וְשָׁבוּ מֵאֶרֶץ אוֹיֵב », « ils reviendront du pays ennemi » ; « וְיֵשׁ-תִּקְוָה לְאַחֲרִיתֵךְ », « il y a de l'espoir pour ton avenir », « וְשָׁבוּ בָנִים, לִגְבוּלָם », « tes enfants rentreront dans leur domaine ».

Questions de lecture

Il s’agit d’une prophétie très inspirante. Mais si on la lit avec attention, on peut y trouver au moins deux problèmes basiques. Le premier problème est un petit problème grammatical, l’autre problème est un gros problème thématique.
Parlons d’abord du petit problème. Il s’agit d’un petit problème grammatical qui a de grandes implications. Le problème est le suivant. Ra’hel pleure plusieurs enfants : le mot « בָּנֶיהָ » est au pluriel et fait référence aux centaines de milliers de ses enfants qui sont exilés, et c’est en pensant à eux que Ra’hel pleure. Quand on explique ensuite pourquoi elle pleure, il est écrit : « כִּי אֵינֶנּוּ », « car il n’est pas là », au singulier, comme s’il s’agissait d’un seul enfant. Donc elle pleure sur plusieurs enfants, parce qu’ « il » est parti. Alors, pleure-t-elle pour un ou pour plusieurs enfants ? Voilà le premier problème.
Regardons maintenant le deuxième problème.
Si vous étiez D.ieu, et que vous cherchiez à rassurer Ra’helen lui affirmant que ses enfants finiront par rentrer chez eux, pourquoi le feriez-vous ? Le feriez-vous par compassion ou par souci de justice ? La majorité d’entre nous dirait « par compassion » : nous avons là une mère qui pleure intensément et amèrement pour ses enfants enlevés. Il n’existe pas de scène qui fende le cœur et qui éveille plus la compassion que celle-là !
Donc si moi, j’étais D.ieu, j’aurais dit quelque chose comme : « Ra’hel, ne t’inquiète pas, tout va bien se passer, j’ai eu pitié de toi, et je ramènerai tes enfants ». Mais les mots que D.ieu emploie sont complètement différents. Il lui dit : « Arrête de pleurer, parce qu’il y a un salaire pour tes actes ». Un salaire est quelque chose qu’on obtient par ce qu’on le mérite. D.ieu semble dire : « Tes enfants reviendront, mais pas parce que tes larmes ont éveillé ma compassion. Ils reviendront parce qu’il y a un salaire qui t’es dû. Je ferai revenir tes enfants parce que dans un monde de Justice, tu mérites que tes enfants reviennent, par ce que tu as fait quelque chose qui mérite cela ».
La grande question est : Qu’est-ce qu’elle a fait ?Qu’a fait Ra’hel de si spécial dans sa vie qui mérite une telle récompense[6] ?

D’où viennent les mots de Jérémie ?

Et il semblerait que Jérémie ne donne aucun indice qui permette de résoudre ce problème. On a l’impression d’être livrés à nous-mêmes pour essayer de comprendre pourquoi Ra’hel mérite d’être récompensée.
Mais… ceci n’est vrai qu’en apparence. En réalité, si on étudie bien le passage de Jérémie, on voit qu’en réalité, Jérémie explique ce qu’ont été ses actions et d’où vient la récompense.
Maintenant, on va jouer à un jeu : on va relire les versets de Jérémie,  et cette fois, pendant qu’on les lit, posez-vous la question : « Où avons-nous déjà entendu ces mots auparavant ? », parce qu’il se trouve que Jérémie n’a pas inventé les mots de sa prophétie, il a emprunté presque chacun de ses mots, et pas de n’importe où. Il les a tous empruntés d’une même histoire de la Torah : celle de Ra’hel. Et si on y prend garde, on remarque que Jérémie ne fait rien d’autre que reconstruire pour nous sa propre manière de voir cette histoire. Et c’est ce qui se passe au café : il vous dit « laissez-moi vous dire ce qui s’est passé dans cette histoire, laissez-moi vous transporter dans cette histoire pour que vous puissiez réellement comprendre ce qui s’y est passé ».
Alors voyons si nous arrivons à trouver ces indices que Jérémie a parsemés pour nous.

Les pleurs de Ra’hel – Yossef envoyé en prison

Nous avons vu précédemment qu’il y avait un problème de grammaire dans les mots de Jérémie. Ra’hel pleure pour plusieurs enfants, et pour un seul à la fois. La question est la suivante : y aurait-il eu un moment, plus tôt, où Ra’hel aurait pleuré pour UN enfant, parce qu’il n’était plus là ?
Si oui, il s’agirait de Yossef. Que s’est-il passé avec Yossef ? Plein de choses ! Plein de choses sont arrivées à Yossef qui auraient fait pleurerRa’hel.  Le seul souci est que, quand toutes ces choses sont arrivées à Yossef, Ra’hel était déjà morte. Mais si on en croit Jérémie, la mort ne suffit pas pour faire arrêter Ra’hel de pleurer. Donc, Ra’hel morte, voyant ce qui arrive à Yossef, à quel moment aurait-elle pleuré ?
Précisons la question. Quel est le dernier moment dans l’histoire de Yossef où Ra’hel, sa mère,  aurait pleuré ?
Vous diriez lorsqu’il a été vendu par ses frères ? C’est sûr qu’elle aurait pleuré à ce moment-là. Mais il y a un autre moment, plus tard encore, où Ra’hel aurait pleuré pour ce qui est arrivé à Yossef.
Réponse : Quand il a été envoyé en prison. Comment est-ce arrivé ? Il a été envoyé en prison alors qu’il n’avait rien fait de mal mais parce qu’il a été trahi par Potiphar et sa femme. Et là, si vous étiez la mère de Yossef, vous auriez certainement pleuré.
Revoyons ce qui s’est passé. Yossef arrive en tant qu’esclave en Égypte, et il devient responsable de la maison de Potiphar, il est le Second dans la maison de Potiphar. Tout se passe bien pour lui dans la maison de Potiphar. Si vous êtes Ra’hel et que vous voyez cela, vous vous dites : « Bon, finalement, ça s’est arrangé, tout va bien ». Mais là, la femme de Potiphar le regarde et essaye de le séduire. Et à la fin de l’histoire, Yossef se retrouve en prison. Sa nouvelle ‘famille’ l’a trahi, comme l’avaient fait ses frères en le jetant dans le puits.
Précisons encore un peu. Si vous étiez Ra’hel, quel est le pire moment de l’histoire de Yossef avec la femme de Potiphar, où vous auriez pleuré ?
Lisons l’histoire dans les mots (Béréchit 39) :
יא וַיְהִי כְּהַיּוֹם הַזֶּה, וַיָּבֹא הַבַּיְתָה לַעֲשׂוֹת מְלַאכְתּוֹ; וְאֵין אִישׁ מֵאַנְשֵׁי הַבַּיִת, שָׁם--בַּבָּיִת. 
11 Mais il arriva, à une de ces occasions, comme il était venu dans la maison pour faire sa besogne et qu'aucun des gens de la maison ne s'y trouvait,
יב וַתִּתְפְּשֵׂהוּ בְּבִגְדוֹ לֵאמֹר, שִׁכְבָה עִמִּי; וַיַּעֲזֹב בִּגְדוֹ בְּיָדָהּ, וַיָּנָס וַיֵּצֵא הַחוּצָה. 
12 qu'elle le saisit par son vêtement, en disant: "Viens dans mes bras!" Il abandonna son vêtement dans sa main, s'enfuit et s'élança dehors.
Si vous pouviez arrêter l’histoire maintenant, vous diriez à Yossef : « Yossef ! Ce que tu viens de faire est un peu dangereux… Parce que maintenant, elle a une preuve entre les mains. ». Et c’est effectivement ce qui arrive :
יג וַיְהִי, כִּרְאוֹתָהּ, כִּי-עָזַב בִּגְדוֹ, בְּיָדָהּ; וַיָּנָס, הַחוּצָה. 
13 Lorsqu'elle vit qu'il avait laissé son vêtement dans sa main et qu'il s'était échappé,
Si vous étiez Ra’hel, vous pourriez pleurer à ce moment-là. Mais ce n’est pas encore le pire moment… Il faudra encore retenir vos larmes pour la suite.
יד וַתִּקְרָא לְאַנְשֵׁי בֵיתָהּ, וַתֹּאמֶר לָהֶם לֵאמֹר, רְאוּ הֵבִיא לָנוּ אִישׁ עִבְרִי, לְצַחֶק בָּנוּ:  בָּא אֵלַי לִשְׁכַּב עִמִּי, וָאֶקְרָא בְּקוֹל גָּדוֹל. 
14 elle appela les gens de sa maison et leur dit: "Voyez! On nous a amené un Hébreu pour nous insulter! Il m'a abordée pour coucher avec moi et j'ai appelé à grands cris.
Si vous étiez Ra’hel, pleureriez-vous maintenant ?
Effectivement, la femme de Potiphar ment et essaye d’incriminer Yossef. Mais peut-être que Potiphar a confiance en son serviteur et qu’il le croira, lui ?
Mais les choses s’empirent assez vite, et ce sera plus juste la parole de Yossef contre celle de Mme Potiphar, par ce qu’elle, a une preuve[7].
טו וַיְהִי כְשָׁמְעוֹ, כִּי-הֲרִימֹתִי קוֹלִי וָאֶקְרָא; וַיַּעֲזֹב בִּגְדוֹ אֶצְלִי, וַיָּנָס וַיֵּצֵא הַחוּצָה. 
15 Lui, entendant que j'élevais la voix pour appeler à mon aide, a laissé son habit près de moi et il s'est échappé et il est sorti."
Maintenant, c’est le moment où on sait que Yossef va aller en prison. Peu importe ce que Yossef dira, elle a une preuve. Pas lui.
C’est donc là que Ra’hel aurait pleuré. Relisons ce verset attentivement. « וַיְהִי כְשָׁמְעוֹ, כִּי-הֲרִימֹתִיקוֹלִי וָאֶקְרָא ». Relisez encore ces mots.

Et maintenant, lisons-les à l’envers : « קוֹלִי », « הֲרִימֹתִי », « כְשָׁמְעוֹ »…
Bienvenue dans Jérémie : « קוֹלבְּרָמָהנִשְׁמָע », ce sont les mots de Jérémie, une voix qui s’élève dans les hauteurs. Les mêmes mots, inversés.
C’est comme si Jérémie marchait à reculons à travers l’histoire du peuple juif, en prenant comme repères les pleurs de Ra’hel.
Peut-être n’est-ce qu’une coïncidence, diriez-vous. Continuons à lire les versets de Jérémie, et voyons.

Les pleurs de Ra’hel – Yossef jeté dans le puits

Nous avons dit plus haut que Ra’hel aurait pleuré pour Yossef quand il a été trahi par la femme de Potiphar. Quelle est la fois précédente où Ra’hel aurait pleuré pour Yossef ? Nous avions dit qu’il s’agissait de l’épisode où Yossef a été jeté dans le puits. Voyons si nous retrouvons des mots de cet épisode dans les propos de Jérémie. Les mots qui suivent « קוֹל בְּרָמָה נִשְׁמָע », sont : « נְהִי בְּכִי תַמְרוּרִים », « une voix plaintive, d'amers sanglots ». Nous avons déjà vu que le mot « תַמְרוּרִים » vient du mot « מר », avec un « ר » supplémentaire, « מרר », qui accentue la notion d’amertume.
Le mot « מרר » est très rare dans la Torah. La première fois que ce mot apparaît, c’est dans une bénédiction que Ya’akov donne à ses enfants, à la fin de sa vie[8]. A quel enfant ? Il se trouve que ce mot apparaît dans la bénédiction que Ya’akov a donné à Yossef, fils de Ra’hel. Voyons ce que Ya’akov lui a dit.Il lui dit : « Yossef, tu es un enfant très particulier, mais…  (Béréchit 49:13) : « וַיְמָרְרֻהוּ », ils t’ont rendu la vie amère ».
L’une des grandes questions irrésolues de la Torah est : « Ya’akova-t-il jamais compris ce que les frères ont fait à Yossef ? ». On ne sait pas. Mais ce verset-là semble indiquer que Ya’akov savait.
Rachi, sur ce verset, commente, que les deux « ר » du mot « וַיְמָרְרֻהוּ » viennent pour dire « ils t’ont rendu la vie amère DEUX fois ». La première fois, il s’agit de Potiphar qui t’a mis en prison à cause de sa femme. Mais plus tôt aussi, on t’a rendu la vie amère : quand tes frères t’ont jeté dans le puits. Ce sont les deux grands évènements qui t’ont rendu la vie amère.
Jérémie utilise les mêmes mots que Ya’akov pour décrire les larmes de Ra’hel comme pour dire qu’elle ne pleure pas seulement pour l’histoire de Potiphar, mais aussi, en même temps, pour l’histoire des frères.
Continuons à lire la prophétie de Jérémie : « רָחֵלמְבַכָּה עַל-בָּנֶיהָ », « C'est Ra’hel qui pleure ses enfants ». Dans le livre de Béréchit, avons-nous quelque part l’image d’un parent qui pleure pour un de ses enfants ? La réponse est : oui, Ya’akov. Pour qui Ya’akov pleure-t-il ? Pour Yossef.
Quand il apprend que Yossef a été ‘tué’ dans le désert, Ya’akov pleure. Les mots employés sont (Béréchit 37:35) : « וַיֵּבְךְּ אֹתוֹ, אָבִיו ». Jérémie semble dire : « Tu crois que Ya’akov était le seul à pleurer ? Tu penses que parce qu’elle était morte, Ra’hel n’a pas pleuré ? Non, Ra’hel aussi a pleuré, רָחֵל, מְבַכָּה עַל-בָּנֶיהָ  », le même mot est employé.
Voyons les mots suivants : « מֵאֲנָה לְהִנָּחֵם », « elle ne veut pas se laisser consoler ». Ces mots là aussi reviennent dans l’histoire de Yossef. « מֵאֲנָה לְהִנָּחֵם » est le féminin de : « וַיְמָאֵן לְהִתְנַחֵם », « mais il refusa toute consolation » (Béréchit 37:35). La Bible dit que lorsque Ya’akov a appris que Yossef était ‘mort’, juste avant d’avoir pleuré, refusait d’être consolé, malgré tous les mots d’apaisement de ses enfants.
Encore une fois, Jérémie nous fait remonter le temps à travers l’histoire de Yossef[9].

Un enfant disparu

Continuons encore à lire les mots de Jérémie.
« מֵאֲנָה לְהִנָּחֵם עַל-בָּנֶיהָ, כִּי אֵינֶנּוּ. » - « elle ne veut pas se laisser consoler de ses fils perdu(s)», ce mot, « אֵינֶנּוּ » - « perdu » nous avait posé problème parce qu’au singulier. Ce même mot apparaît un certain nombre de fois dans Béréchit. Remontons donc, avant Potiphar, avant que Ya’akov ne pleure, avant que Ya’akov ne refuse d’être consolé. La toute première personne à se rendre compte que Yossef n’était plus là, c’était son frère, Réouven[10].
Quand Réouven s’est présenté devant le puits pour constater que son frère avait disparu, il accourt chez ses frères et leur dit (Béréchit 37:30): « הַיֶּלֶד אֵינֶנּוּ », « L’enfant n’y est plus », cet enfant particulier a disparu. Il emploie ce même mot « אֵינֶנּוּ », que l’on retrouve dans la bouche de Jérémie[11].
Il semblerait que nous ayons atteint les premières larmes de Ra’hel. Est-ce bien le cas ?

Il y a un salaire

Pourrions-nous remonter encore dans la vie de Ra’hel ? Y aurait-il eu un moment dans la vie de Ra’hel, avant même Yossef, où elle aurait pleuré ? Pour des enfants ? Qui ne sont pas ?
Oui… Cela aurait été avant la naissance de Yossef, pendant toutes ces années où elle n’a pas pu avoir d’enfant. Cela aurait été là, la première fois qu’elle aurait pleuré pour des enfants qui ne sont pas là.
Et il se trouve que si on continue à lire les mots de Jérémie, on entend des échos de ces moments-là.
Lisons : « כֹּה אָמַר ה׳, מִנְעִי קוֹלֵךְ מִבֶּכִי, וְעֵינַיִךְ, מִדִּמְעָה », « Or, dit le Seigneur, que ta voix cesse de gémir et tes yeux de pleurer ». Et là, nous arrivons aux mots étranges de D.ieu : « כִּי יֵשׁ שָׂכָר לִפְעֻלָּתֵךְ » - « car il y a une récompense pour ce que tu as fait », ces mots que nous n’avons toujours pas compris. Regardons les mots en hébreu : « יֵשׁ שָׂכָר ». Regardons bien les lettres : « ר-כ-ש-ש-י ». Qu’est-ce que ces lettres vous rappellent ?
« יששכר », c’est le nom d’un des enfants de Ya’akov.  Le cinquième fils de Léa. Ce fils qui est né à la suite d’une histoire qui a débuté par des pleurs de Ra’helpar ce qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfant[12].
Jérémie semble dire la chose suivante : « Vous voulez savoir d’où vient le mérite de Ra’hel ? Allez voir ce qu’elle a fait dans l’histoire de la naissance d’Issakhar.
Allons-y. Plongeons dans l’histoire de la naissance d’Issakhar, et voyons si on comprend ce que Jérémie nous suggère.

La naissance d’Issakhar – le contexte


Rappelons le contexte.

Ra’hel et Léa sont mariées au même homme. C’est Ra’hel qui était censée l’épouser, mais il y a eu un échange de dernière minute, et finalement, les deux sœurs ont épousé Ya’akov. Léa donne naissance à quatre enfants d’affilée : Réouven, Chimon, Lévy et Yéhouda. C’est 4 à 0 pour Léa.C’en est trop pour Ra’hel qui n’en a aucun. Nous arrivons alors au chapitre 30 de Béréchit.

Qui est le Boss ?

א וַתֵּרֶא רָחֵל, כִּי לֹא יָלְדָה לְיַעֲקֹב, וַתְּקַנֵּא רָחֵל, בַּאֲחֹתָהּ; וַתֹּאמֶר אֶל-יַעֲקֹב הָבָה-לִּי בָנִים, וְאִם-אַיִן מֵתָה אָנֹכִי. 
1Ra’hel, voyant qu'elle ne donnait pas d'enfants à Ya’akov, conçut de l'envie contre sa sœur et elle dit à Ya’akov." Rends moi mère, autrement j'en mourrai!"
ב וַיִּחַר-אַף יַעֲקֹב, בְּרָחֵל; וַיֹּאמֶר, הֲתַחַת אֱלֹקִים אָנֹכִי, אֲשֶׁר-מָנַע מִמֵּךְ, פְּרִי-בָטֶן. 
2Ya’akov se fâcha contre Ra’hel et dit: "Suis-je à la place de D.ieu, qui t'a refusé la fécondité?"
Ya’akov répond un peu sévèrement à Ra’hel : « Tu crois que c’est de ma faute si tu n’as pas d’enfant ? Tu t’es trompée d’adresse. Ce n’est pas auprès de moi qu’il faut te plaindre. Va voir D.ieu ».
Imaginez la scène : Ra’hel est en pleurs, désespérée d’avoir un enfant, elle va voir son mari pour le supplier de lui donner un enfant de peur de mourir. Et son mari de lui répondre : « Tu as frappé à la mauvaise porte, ce n’est pas à moi, mais à D.ieu que tu dois teplaindre. »
Y a-t-il un endroit où une femme pleure auprès de D.ieu pour des enfants qui ne sont pas ?
Oui, dans Jérémie, Ra’hel, morte – comme elle le dit à Ya’akov – pleure auprès de D.ieu, et non auprès de son mari cette fois, pour des enfants qui ne sont pas.  Elle semble avoir appris la leçon…
Et D.ieu, qui jouait le rôle du ‘méchant’ la première fois, se retrouve à la consoler ici. Le mot que Ya’akov emploie pour décrire D.ieu comme ‘le méchant’ est « מָנַע », « t’a empêché ». Et le premier mot que D.ieu emploie pour consoler Ra’hel est : « מִנְעִי קוֹלֵךְ מִבֶּכִי », « empêche ta voix de pleurer ».
Revenons à Béréchit. Ra’hel, après avoir vu la réaction de Ya’akov, se sent coincée. Elle décide alors de lui donner sa servante, Bilha. De cette manière, même si Ra’hel n’a pas d’enfant biologique, elle pourrait élever les enfants de Bilha, et elle aurait de cette manière une expérience de maternité.
Bilha a un premier enfant que Ra’hel nomme.

Une Guerre Sainte

Imaginez que vous étiez Ra’hel, et que vous attendiez désespérément d’avoir un enfant. Finalement, vous obtenez un enfant, qui n’est pas le vôtre biologiquement, mais que vous pouvez élever. Vous en êtes très heureuse et voulez remercier D.ieu. Que diriez-vous ? Quelque chose comme : « Merci mon D.ieu, tu as eu pitié de moi, c’est vraiment super ! ». Ce n’est pas du tout ce que Ra’hel dit (Béréchit30:6) : « וַתֹּאמֶר רָחֵל, דָּנַנִּי אֱלֹקִים, וְגַם שָׁמַע בְּקֹלִי », « Ra’hel dit alors: "Le Seigneur m'a jugée et il a écouté ma voix" »[13]. Les mots : « שָׁמַע בְּקֹלִי », « il a écouté ma voix », semblent dire que D.ieu a agi par compassion, mais « דָּנַנִּי אֱלֹקִים », « Le Seigneur m'a jugée », vont dans le sens inverse. Ra’hel semble dire qu’il y a eu un véritable jugement et qu’elle en est sortie vainqueur.
Ce qui est intéressant dans les noms que ces femmes  donnent à leurs enfants, c’est qu’on ne sait pas si ce qu’elles disent est vrai, on sait juste que c’est leur propre point de vue.
La question, maintenant, est : contre qui Ra’hel a-t-elle emporté ce jugement ? 
Il est écrit (Béréchit 30 :1) : « וַתְּקַנֵּא רָחֵל, בַּאֲחֹתָהּ », « elle conçut de l'envie contre sa sœur ». Ra’hel se voit donc en lutte contre sa sœur. Or, si elle se voit vainqueur, c’est qu’elle pense que D.ieu a jugé Léa perdante. Or  si D.ieu ‘en personne’ dit que Ra’hel a raison et que Léa a tort, la situation entre les deux sœurs devient difficile. Regardons en effet le nom du second enfant de Bilha (Béréchit 30):
ח וַתֹּאמֶר רָחֵל, נַפְתּוּלֵי אֱלֹקִים נִפְתַּלְתִּי עִם-אֲחֹתִי--גַּם-יָכֹלְתִּי; וַתִּקְרָא שְׁמוֹ, נַפְתָּלִי. 
8 Et Ra’hel dit: "C'est une lutte de D.ieu que j'ai entreprise contre ma sœur et pourtant je triomphe!" Et elle le nomma Nephtali.
Elle nomme ce second enfant « נַפְתָּלִי », « ma lutte ». On avance encore un peu plus vers le bord du gouffre…
C’est une chose d’être en lutte contre sa sœur quand D.ieu n’est pas impliqué. Mais que se passe-t-il si D.ieu s’insère dans la dispute, s’il s’agit d’une lutte Divine, d’une guerre Sainte[14] ?

Quelles sont les issues possibles quand deux personnes sont en lutte ?
Si les deux protagonistes sont ennemis l’un de l’autre, ils peuvent s’entretuer. Mais s’il s’agit de frères ou de sœurs, on peut espérer que l’issue sera autre. On peut espérer qu’ils arriveront à un compromis : « Moi, je vois les choses de cette manière, toi tu les vois d’une autre manière, et on peut se comprendre l’un l’autre et continuer comme ça ».
Mais il y a une chose qui empêcherait net les protagonistes d’arriver à un compromis. C’est lorsque l’un d’eux pense que D.ieu est de son côté. En effet, si D.ieu est de mon côté et que j’accepte le compromis, que suis-je entrain de dire à D.ieu ?
C’est impossible de se ‘rabaisser’ à un compromis dans ce cas. On se bat pour D.ieu,  pour le Principe, pour la Vérité, et on ne peut pas accepter de donner un tant soit peu raison à son adversaire.
Imaginez, sur un plateau de Monopoly® que le petit chapeau se dispute un jour avec la petite chaussure. En fin de compte, le petit chapeau pourrait dire : « Écoute, je ne suis que le petit chapeau, et toi que la petite chaussure, on voit chacun les choses de manière différente, mais on peut trouver un moyen de s’arranger ». Mais que se passerait-il si le petit chapeau disait : « Parker[15] est sorti du Ciel et a dit que c’est moi qui ai raison ». Le petit chapeau ne peut plus trouver un compromis avec la petite chaussure !
C’est là le problème de Ra’hel. Elle voit la lutte d’avec sa sœur comme une lutte divine dans laquelle D.ieu lui donne raison.

Que se passe-t-il ensuite ?
Léa, tardant à tomber enceinte à nouveau, joue le même jeu que Ra’hel. Elle donne sa servante Zilpa à Ya’akov, qui donne naissance à deux enfants. Regardons le nom du deuxième enfant que Zilpa lui a donné (Béréchit 30):
יג וַתֹּאמֶר לֵאָה--בְּאָשְׁרִי, כִּי אִשְּׁרוּנִי בָּנוֹת; וַתִּקְרָא אֶת-שְׁמוֹ, אָשֵׁר. 
13 Et Léa dit: "Il est né pour mon bonheur! Oui, les filles m'ont nommée bienheureuse." Et elle l'appela Aser.
Si vous étiez Ra’hel, que seriez-vous entrain de penser à cet instant ?
Si vous étiez sûre que D.ieu était de votre côté après que votre servante a donné naissance à deux enfants ? Maintenant Léa a deux enfants de plus grâce à sa servante… Que penser ? …
Tout ce en quoi je croyais s’écroule !
Et c’est cela qui nous mène à l’histoire des Mandragores. Une des histoires les plus mystérieuses de Béréchit.

L’histoire des Mandragores


Que sont les « דוּדָאִים » ?

Lisons l’histoire dans les mots (Béréchit 30) :
יד וַיֵּלֶךְ רְאוּבֵן בִּימֵי קְצִיר-חִטִּים, וַיִּמְצָא דוּדָאִים בַּשָּׂדֶה
14 Or, Ruben étant allé aux champs à l'époque de la récolte du froment, y trouva desDoudayim
La question est : Que sont lesDoudayim ? Personne n’a l’air de le savoir… Les commentateurs débattent à ce sujet. Il semblerait que ce soit une sorte de fleur. De nombreux commentateurs disent que ce sont des fleurs aphrodisiaques, ce qui expliquerait leur intérêt dans notre histoire : les deux femmes se disputent l’amour de leur mari commun. D’autres disent qu’il s’agit de plantes agissant sur la fertilité. On peut trouver encore d’autres interprétations de ce que sont ces Doudayim. Ils sont quelque chose de très mystérieux…
Je voudrais vous suggérer un avis un peu radical : je pense que ce que sont les Doudayim n’a aucune importance. Et qu’en fait, chercher ce qu’ils sont nous détournent du sens profond de l’histoire[16].
En effet, le mot « דוּדָאִים » n’apparaît nulle part ailleurs dans tout le ‘Houmach[17]. Et la seule fois où on voit ce mot, la Torah n’explique pas de quoi il s’agit. Or, si ce mot n’apparaît qu’une seule fois et qu’il n’est pas défini, la Torah sait pertinemment qu’on ne sait pas de quoi il s’agit. La Torah nous fait comprendre que ça n’a aucune importance ! Peu importe ce que sont les Doudayim .
Le point important n’est donc pas de savoir ce que sont lesDoudayim. Le point important est de savoir qui les apporte et pourquoi.
Qui apporte les Doudayim ? Réouven, le premier né de Léa[18].
Mettez-vous à la place de Léa et demandez-vous pourquoi ces Doudayim sont importants pour elle. Voilà Réouven, âgé de 6 ans, qui se promène dans les champs. Il trouve ces Doudayim. Rachi, en parlant des Doudayim, dit qu’il s’agit de fleurs des champs sans aucune valeur, des mauvaises herbes[19]. Il dit que Réouven n’aurait pas pris des épis de blé car ils ont un propriétaire, mais qu’il a pris des fleurs qui n’intéressent personne.
Réouven prend ces fleurs, les apporte à sa mère, et avec un grand sourirelui dit : « Tiens, Maman, ces fleurs sont pour toi ! ».
Si vous êtes Léa, pourquoi ces fleurs ont un sens pour vous ?
Vous savez, être parent, c’est super. Mais c’est beaucoup de travail. Pour les X premières années de parents, tout ce qu’on fait, c’est investir de l’énergie dans son enfant, on donne tout à son enfant. Et l’enfant est complètement dépendant de nous et ne peut pas vraiment nous donner quoique ce soit en retour.  Mais un beau jour… L’enfant a 4, 5, 6 ans. Vous trouvez votre enfant dans la cuisine, avec une boîte de crayons, entrain de gribouiller quelque chose. Et là, il vient vous voir avec un grand sourire et vous dit : « Tiens maman, regarde, j’ai fait ce dessin pour toi ». Alors vous prenez ce dessin, vous l’accrocher sur le frigo, et 20 ans plus tard, le dessin est encore là-bas. Ce dessin veut tout dire pour vous ! Pourquoi ? Ce n’était que des gribouillages ! Parce que c’est la première chose que l’enfant a pu vous donner en retour.
C’est le premier moment où l’enfant devient votre égal, où il peut échanger avec vous.
C’est comme lesBikourim – « בִּכּוּרִים ».
Que sont les Bikourim? Les premiers fruits. Pourquoi D.ieu est-il si attaché aux premiers fruits des agriculteurs ? Savez-vous que les premiers fruits ne sont pas très bons ? Quand on achète des fraises, des myrtilles, des framboises, on n’achète jamais les premiers fruits de la saison, on attend toujours quelques semaines pour être sûrs d’acheter des fruits mûrs. Mais D.ieu ne veut pas les fruits mûrs. Il veut les premiers fruits qui n’ont pas un très bon goût. Pourquoi ?
Parce que la question ici n’est pas de savoir si les fruits sont bons ou pas. Ce qui compte, c’est juste que ces fruits sont les premiers, la première chose que l’on peut rendre.
Nous sommes le peuple de D.ieu, Il a fait tant pour nous : Il nous a sortis d’Égypte, nous a conduits dans le désert, et nous amène enfin en Terre d’Israël. Et puis voici un  agriculteur qui a obtenu quelques fruits, qui peut enfin rendre quelque chose à D.ieu. La première chose est la plus merveilleuse au monde. C’est comme ce gribouillage d’enfant, c’est comme les Mandragores[20].
Et quand Réouven offre les Mandragores à Léa, quelque chose se produit. Lisons la suite (Béréchit 30:14).
וַיָּבֵא אֹתָם, אֶל-לֵאָה אִמּוֹ; 
Il les apporta à Léa sa mère.

La réaction de Ra’hel

Ra’hel a vu la scène. Voyons ce qu’elle dit :
וַתֹּאמֶר רָחֵל, אֶל-לֵאָה, תְּנִי-נָא לִי, מִדּוּדָאֵי בְּנֵךְ. 
Ra’hel dit à Léa; "Donne-moi, je te prie, des mandragores de ton fils."
Que demande Ra’hel ? On doit se concentrer sur deux mots : « תְּנִי-נָא לִי », « Donne-moi, je te prie » et « מִדּוּדָאֵי בְּנֵךְ », « quelques-unes des Mandragores de ton fils ». Ra’hel ne demande pas TOUTES les Mandragores, seulement quelques-unes.
On a ici une Ra’hel complètement différente. La Ra’hel d’avant menait une guerre divine contre sa sœur. Maintenant, Ra’hel va voir sa sœur et lui dit : « C’est terminé, je ne peux plus supporter ça. Je ne sais pas si un jour je pourrai avoir un enfant biologique. Mais penses-tu que tu pourrais me passer quelques-unes de ces fleurs, que je mettrai dans un verre en plastique sur le rebord de ma fenêtre. Parce que si tu acceptes, peut-être que je pourrai partager ta joie, la joie de la maternité que tu vis. Je ne sais pas si j’aurai un jour un enfant qui m’apportera des fleurs. Mais si je peux partager ta joie, peut être que je pourrai baisser les armes, et peut-être que je n’aurai plus à lutter contre toi, et que je pourrai sentir qu’on materne ce peuple toutes les deux ensemble. Et peut-être que je serai heureuse pour toi. Parce que j’ai envie d’être heureuse pour toi. Je n’ai pas envie qu’à chaque étape importante de la vie de tes enfants, qu’à chaque Bar Mitsva, qu’à chaque mariage, je ne sois pas capable de te regarder dans les yeux. Je n’ai pas envie de te tourner le dos et de me sentir pleine de ressentiment et de rage. Je veux partager ta joie et qu’on avance ensemble ».

La réponse de Léa

Regardons la réponse de Léa (Béréchit 30).
טו וַתֹּאמֶר לָהּ, הַמְעַט קַחְתֵּךְ אֶת-אִישִׁי, וְלָקַחַת, גַּם אֶת-דּוּדָאֵי בְּנִי;
15 Elle lui répondit: "N'est-ce pas assez que tu te sois emparée de mon époux, sans prendre encore les mandragores de mon fils?"
Si vous étiez Ra’hel, que diriez-vous maintenant ? Que feriez-vous maintenant ?
N’auriez-vous pas envie de vous arracher les cheveux ?! Ne diriez-vous pas quelque chose comme : « Mais quel toupet ! Léa, t’es complètement dingue ! C’est MOI qui ai pris ton mari ?! Je crois que je vais te donner un petit cours d’histoire, là ! Ce n’est pas MOI qui t’ai pris ton mari. Tu te souviens de cette fameuse nuit ? Moi, j’ai attendu 7 ans pour me marier avec lui pour que toi, tu prennes ma place au dernier moment, et tu dis que c’est MOI qui ai pris ton mari ?! Garde tes stupides fleurs, j’en veux plus !! »
On aurait tous dit quelque chose comme ça.
Mais ce n’est pas ce que Ra’hel dit[21]. Voyons ce qu’elle dit (Béréchit 30:15) : « וַתֹּאמֶר רָחֵל », « Ra’hel dit », « לָכֵן », qu’on pourrait traduire par : « puisque c’est ainsi », c'est-à-dire : « puisque tu vois les choses de cette manière », «יִשְׁכַּב עִמָּךְ הַלַּיְלָה », « Il faut qu’il passe la nuit avec toi ce soir ». Pourquoi dit-elle cela ?
Ce que je voudrais vous suggérer, c’est qu’à ce moment-là, Ra’hel voit quelque chose qu’elle n’avait jamais vu auparavant. 
Parce qu’il se trouve qu’il y a effectivement une autre manière de voir toute cette histoire.

L’autre manière de voir toute cette histoire

Jusqu’à présent, nous avons regardé l’histoire à travers les yeux de Ra’hel. Mais il y a une autre manière tout aussi valide de voir l’histoire, à travers le regard de Léa. De ce point de vue là, l’histoire est complètement différente. Et le temps d’un éclair, Ra’hel a eu un aperçu de l’histoire vue par sa sœur. C’est la manière dont le Seforno et le Keli Yakar comprennent les choses.
À quoi ressemble l’histoire vue par Léa ?
Y a-t-il un quelconque indice qui montrerait que Léa était au courant du marché qui avait été établi entre son père Lavan et Ya’akov au sujet de son mariage avec Ra’hel ? Non, rien ne dit que Léa savait.
Imaginons toutefois que Léa savait. Mettez-vous dans la peau de Léa : Un beau jour, Lavan décide d’inviter toute la ville pour un grand festin : « וַיַּעַשׂ מִשְׁתֶּה», « il donna un festin »(Béréchit29:22). Et au milieu du festin, sans vous avoir prévenue, il vient vers vous, Léa, et vous dit : « Mets une robe blanche, ça va être à toi ! ». Qu’allez-vous faire ? Comment allez-vous réagir ? Vous allez dire « Non » ? Vous ne POUVEZ pas dire « non », si vous êtes Léa, dans cette situation ! Léa a été forcée[22].
La position de Léa est la suivante : « Je n’ai pas demandé à être dans cette situation. J’ai été forcée par mon père et je ne pouvais pas dire « non ». Mais après cette nuit-là, cette terrible nuit – et on peut dire que c’était une nuit affreuse – j’étais déjà mariée à cet homme. Pourquoi as-tu décidé de l’épouser toi aussi ? C’est TOI qui as choisi de l’épouser après tout ça. Cet homme était amoureux de toi. Penses-tu que j’avais une chance d’avoir une vie heureuse après que tu l’as épousé toi aussi ? »[23].
Et depuis, Léa se bat continuellement pour l’amour de son mari qu’elle n’obtient jamais. Et elle se sent toujours comme la femme de second rang qui n’a jamais l’attention de son mari. On voit bien cela dans les noms qu’elle donne à ses enfants :
·         Réouven : « כִּי-רָאָה ה׳בְּעָנְיִי», « parce que le Seigneur a vu mon humiliation» ;
·         Chimon : «כִּי-שָׁמַע ה׳ כִּי-שְׂנוּאָה אָנֹכִי», « Parce que le Seigneur a entendu que j’étais dédaignée».
Alors Ra’helse dit : « Oh mon D.ieu ! Alors c’est comme ça que tu vois les choses… Pendant tout ce temps, je voyais tout ça comme si TU avais pris mon mari, et toi, tu voyais tout ça comme si c’est MOI qui avais pris le tien… Alors c’est comme ça que tu vois les choses… Pendant tout ce temps, j’étais préoccupée et désespérée par avoir des enfants et par partager le bonheur de ta maternité, et toi, pendant tout ce temps, toi, tu avais des enfants, mais tu étais préoccupée par obtenir quelque chose que moi, j’avais à mon acquis : l’amour d’un mari. Moi, ça, je l’avais. Et toi, tu sentais que tu ne l’avais pas, que tu ne bénéficiais pas de sa compagnie… Donc… si je te demande de partager avec moi la joie d’être mère, ce ne serait pas juste que je te le demande sans que de mon côté, je partage avec toi quelque chose que je possède et que toi, tu n’as pas : l’amour et la compagnie d’un mari. Permets-moi de partager ça avec toi.» : « לָכֵן יִשְׁכַּב עִמָּךְ הַלַּיְלָה », « puisque c’est ainsi, qu’il passe la nuit avec toi ce soir ».
C’est cette nuit-là qu’Issakhar a été conçu. C’est ça, la récompense durable. Ça s’est passé en un tout petit instant, mais ce fut un instant très spécial. À ce moment-là, un cinquième enfant a été conçu pour Léa. Et si vous êtes Ra’hel, vous pouvez vous imaginer regarder Léa avoir encore un autre enfant, un cinquième enfant, et voir cet enfant, Issakhar, à deux ans, jouer dans les bras de Léa. Comment réagissez-vous face à ça ? Vous savez ce que vous vous dites ? Vous vous dites : « ça, je l’ai voulu, ça, je lui ai donné, ça, je peux l’accepter »...
La récompense de Ra’hel, c’est D.ieu qui lui dit : « Je ne t’ai pas récompensée à ce moment-là. Cette nuit-là, une de vous serait tombée enceinte, cela aurait pu être toi, ça n’a pas été le cas. C’est Léa qui est tombée enceinte et qui a eu Issakhar. Mais toi, Ra’hel, à la manière dont tu voyais les choses quand tu étais en lutte avec ta sœur, tu aurais regardé Issakhar et l’aurais vu dans le camp d’une rivale, tu aurais dit : « c’est MON enfant, cela aurait dû être MON enfant, et il est dans le domaine de quelqu’un d’autre ». Aujourd’hui, tu ne vois plus les choses comme ça. Tu la laisses avoir cet enfant, tu lui as volontairement donné cet enfant. Alors tu sais ce qui va se passer maintenant ? Viendra un jour où tes enfants seront réellement dans un camp rival, dans le camp d’un adversaire, pas aussi sympathique que ta sœur, un véritable ennemi, comme Nabuchodonosor. Et il ne s’agira pas d’un seul petit enfant comme Issakhar, que tu verras dans le camp adverse, ce seront des centaines de milliers de tes enfants qui seront en terrain ennemi et envoyés en exil. Mais quand ça, ça arrivera, « יֵשׁ שָׂכָר לִפְעֻלָּתֵךְ », « Il y aura une récompense pour ce que tu as fait », « וְשָׁבוּ מֵאֶרֶץ אוֹיֵב », « ils reviendront du pays des ennemis ». En récompense à ce que tu as fait, d’avoir donné cet enfant, et d’avoir transformé une rivale en alliée, tes enfants seront libérés. »

Un éclair de rédemption


D’où vient la souffrance ?

Cette nuit-là, la nuit desDoudayimfut un moment de vérité, un moment de réconciliation. Et ce moment a tout changé. Voilà pourquoi. Ra’hel et Léa sont en guerre l’une contre l’autre. Mais comment a commencé cette guerre ? Ce n’est pas vraiment venu de Ra’hel. Ce n’est pas vraiment venu de Léa non plus. Ce qui a initié cette guerre, c’est un terrible concours de circonstances, une trahison par leur père qui a mis une fille à la place de l’autre sous la ’houpa. Et toutes leurs douleurs sont nées lors de cette nuit empoisonnée.
Imaginez un peu. Si vous étiez Léa. Votre mari n’est pas amoureux de vous. Ça pourrait peut-être passer s’il n’était pas aussi marié avec Ra’hel. Et si vous étiez Ra’hel. Vous n’avez pas d’enfant, c’est pénible, OK. Mais s’il n’était pas aussi marié avec Léa qui a enfant sur enfant après enfant, ce ne serait pas aussi difficile à supporter.
La souffrance vient de cette terrible nuit de trahison par le père.

Se remettre d’un évènement traumatique

Comment se remettre de cette nuit-là quand on est Ra’hel, ou quand on est Léa ? Comment empêcher cette nuit-là de hanter nos rêves ? Parce que quand on vit un traumatisme, tant qu’on n’y fait pas face, le traumatisme revient pour nous hanter.
Ça n’empêche pas Ra’hel et Léa de se sourire quand elles se croisent dans la maison. Mais comment arrêter ces cauchemars répétés qui vous prennent la nuit, sur cette nuit empoisonnée.
Vous savez ce que Ra’hel fait ? Ra’hel, après que Léa a quatre enfants, au milieu de l’histoire desDoudayim, dit à Léa : « Moi, je vais prendre un peu de tesDoudayim, mais toi, tu vas aller avec lui ce soir. C’est une nuit où c’est moi qui suis censée être avec lui, mais je préfère que ce soit toi qui y ailles ».
Qu’est-ce que ça vous rappelle ?
Y a-t-il eu une autre nuit où Ra’hel était censée être avec Ya’akov, mais c’est Léa, sa sœur, qui y était à sa place ? Oui, c’était LA première nuit empoisonnée. Cette fois-ci, Ra’hel reproduit cette nuit-là, mais différemment. Ra’hel dit : « La dernière fois, j’étais une victime[24], je ne pouvais rien faire, j’étais mise de côté à pleurer dans ma chambre pendant que toi, tu étais avec lui, l’homme de mes rêves. Et encore aujourd’hui, ça hante mes nuits. Mais tu sais ce qui va arrêter les cauchemars ? Je vais regarder cette nuit-là dans les yeux. Et toi et moi, on va recréer cette nuit-là. Je te donne cette nuit, mais cette fois-ci, c’est par choix ! ».
Et une fois que c’est fait, LA nuit empoisonnée ne hante plus Ra’hel. Et elle ne hante plus Léa non plus.
En effet, à quoi ressemble la nuit des Doudayimpour Léa ? Après avoir donné les Mandragores à Ra’hel, elle dit quelque chose de fou à Ya’akov. Qu’est-ce qu’elle lui dit ? Lisons les mots (Béréchit 30:16): « וַיָּבֹא יַעֲקֹב מִן-הַשָּׂדֶה, בָּעֶרֶב », « Ya’akov revenait des champs, le soir », « וַתֵּצֵא לֵאָה לִקְרָאתוֹ », « Léa dansa à travers les champs à sa rencontre », « וַתֹּאמֶר », « elle dit », « אֵלַי תָּבוֹא », « ce soir, c’est avec moi que tu vas être», « כִּי שָׂכֹר שְׂכַרְתִּיךָ בְּדוּדָאֵי בְּנִי », « car je t’ai acheté en échange des Mandragores de mon fils ».
Qu’est-ce que c’est que ça ?! C’est une manière de s’adresser à son mari ?! Pour qui elle le prend ?! Elle croit que c’est le téléphone rose ?! Comment peut-elle dire une chose pareille ? A-t-elle perdu l’esprit ?
Vous savez pourquoi elle dit ça ? Parce qu’elle rejoue la fameuse nuit, elle aussi, vue de sa perspective à elle. À quoi ressemblait cette nuit-là, pour elle ? Pourquoi elle, Léa, était aussi à ce point hantée par cette nuit-là ? Parce que ce soir-là, où son père l’a forcée à mettre une robe blanche, elle a été mise de force entre Ya’akov et Ra’hel. Il y avait un contrat établi entreYa’akov et Lavan, il devait travailler sept ans au terme desquels il obtiendrait Ra’hel en mariage. Et là, sans le savoir, c’est Léa qu’il épouse. Le contrat n’a pas été respecté… cette femme voilée qu’il ne décerne pas… Vous savez ce que Léa dit à Ya’akov ? Elle dit : « Aujourd’hui, j’ai établi un autre contrat, j’ai convenu d’un autre marché. Je t’ai acheté ce soir. Tu te souviens quand toi, tu avais acheté Ra’hel, pour sept années de travail ? Eh bien ce soir, je t’ai acheté, toi, pour quelques Mandragores. Et tu sais avec qui j’ai conclu le marché ? Ça va t’étonner… Avec Ra’hel. Oui, elle est au courant de ce marché, et toi aussi. Regarde, aujourd’hui, je n’ai pas de voile, tu vois bien que c’est moi, Léa. Ce soir, c’est avec moi que tu vas passer la nuit, c’est ça, le contrat. Et si tu es d’accord, Ya’akov, alors revis, toi aussi, cette nuit-là avec moi. Et tout ce temps où j’étais hantée, où je ruminais, où je sentais que j’étais haïe,  par ce que j’avais le sentiment de porter la chandelle, toi tu ne le savais pas, mais je me sentais terriblement coupable de ça. Si tu viens avec moi ce soir, avec ce contrat, une nuit où tu aurais dû aller avec Ra’hel, où Ra’hel sait, où toi aussi, tu sais, où il n’y a pas de voile, alors cette fameuse nuit, cette nuit empoisonnée, disparaîtra. Elle ne nous hantera plus jamais »[25].[26]

Et depuis lors, on n’entend plus jamais Léa dire qu’elle est haïe. Le poison de la terrible nuit est parti pour toutes les deux[27]. C’est ça, ce qu’elles ont fait cette ‘nuit des Mandragores’. C’est un moment très court de réconciliation qu’on aurait pu facilement louper. Et Jérémie offre cette ‘expérience du café’ avec Ra’hel. Vous voulez savoir qui était Ra’hel ? Voilà qui elle était.[28]

Alors quand on enseigne à nos filles d’imiter Ra’hel en disant : « Sois comme Ra’hel », on doit leur expliquer qu’on n’est pas comme Ra’hel par ce qu’on a une jupe qui arrive deux centimètres sous le genou, ou deux centimètres au dessus… Ce n’est pas ça, être comme Ra’hel. Être comme Ra’hel, c’est être la femme qui rejoue ‘cette nuit-là’ – cette nuit qui la hantait, elle et sa sœur – et qui ramène la paix, à terme, entre elle et sa sœur. C’est être la femme qui est capable de dire « לָכֵן », de comprendre la position de l’autre. Et la récompense pour ça est sigrande, que ses enfants, tous ses enfants, finiront, un jour, par rentrer chez eux.



À la prochaine !

Traduit librement par Itala à partir d’une conférence donnée par Rav Fohrman le 12 mai 2015 à Paris.
Les notes de bas de pages et les annexes sont des éléments issus d’une série de cours donnés par Rav Fohrman à New York intitulée « Rachel & Leah ».



 

Annexe1 – Textes utiles


Jérémie – 31 : Les pleurs de Ra’hel

יד כֹּה אָמַר ה׳, קוֹל בְּרָמָה נִשְׁמָע נְהִי בְּכִי תַמְרוּרִים--רָחֵל, מְבַכָּה עַל-בָּנֶיהָ; מֵאֲנָה לְהִנָּחֵם עַל-בָּנֶיהָ, כִּי אֵינֶנּוּ.  {ס}
14 Ainsi parle le Seigneur: "Une voix retentit dans Rama, une voix plaintive, d'amers sanglots. C'est Ra’hel qui pleure ses enfants, qui ne veut pas se laisser consoler de ses fils perdus!
טו כֹּה אָמַר ה׳, מִנְעִי קוֹלֵךְ מִבֶּכִי, וְעֵינַיִךְ, מִדִּמְעָהכִּי יֵשׁ שָׂכָר לִפְעֻלָּתֵךְ נְאֻם- ה׳, וְשָׁבוּ מֵאֶרֶץ אוֹיֵב
15 Or, dit le Seigneur, que ta voix cesse de gémir et tes yeux de pleurer, car il y aura une compensation à tes efforts, dit l'Eternel, ils reviendront du pays de l'ennemi.
טז וְיֵשׁ-תִּקְוָה לְאַחֲרִיתֵךְ, נְאֻם- ה׳; וְשָׁבוּ בָנִים, לִגְבוּלָם.  {ס}
16 Oui, il y a de l'espoir pour ton avenir, dit le Seigneur: tes enfants rentreront dans leur domaine.

Béréchit – 39 : Yossef et la femme de Potiphar

ז וַיְהִי, אַחַר הַדְּבָרִים הָאֵלֶּה, וַתִּשָּׂא אֵשֶׁת-אֲדֹנָיו אֶת-עֵינֶיהָ, אֶל-יוֹסֵף; וַתֹּאמֶר, שִׁכְבָה עִמִּי. 
7 Il arriva, après ces faits, que la femme de son maître jeta les yeux sur Yossef. Elle lui dit: "Viens reposer près de moi."
ח וַיְמָאֵן--וַיֹּאמֶר אֶל-אֵשֶׁת אֲדֹנָיו, הֵן אֲדֹנִי לֹא-יָדַע אִתִּי מַה-בַּבָּיִת; וְכֹל אֲשֶׁר-יֶשׁ-לוֹ, נָתַן בְּיָדִי. 
8 Il s'y refusa, en disant à la femme de son maître: "Vois, mon maître ne me demande compte de rien dans sa maison et toutes ses affaires il les a remises en mes mains;
ט אֵינֶנּוּ גָדוֹל בַּבַּיִת הַזֶּה, מִמֶּנִּי, וְלֹא-חָשַׂךְ מִמֶּנִּי מְאוּמָה, כִּי אִם-אוֹתָךְ בַּאֲשֶׁר אַתְּ-אִשְׁתּוֹ; וְאֵיךְ אֶעֱשֶׂה הָרָעָה הַגְּדֹלָה, הַזֹּאת, וְחָטָאתִי, לֵאלֹהִים. 
9 il n'est pas plus grand que moi dans cette maison et il ne m'a rien défendu, sinon toi, parce que tu es son épouse; et comment puis je commettre un si grand méfait et offenser le Seigneur?"
י וַיְהִי, כְּדַבְּרָהּ אֶל-יוֹסֵף יוֹם יוֹם; וְלֹא-שָׁמַע אֵלֶיהָ לִשְׁכַּב אֶצְלָהּ, לִהְיוֹת עִמָּהּ. 
10 Quoiqu'elle en parlât chaque jour à Yossef, il ne cédait point à ses vœux en venant à ses côtés pour avoir commerce avec elle.
יא וַיְהִי כְּהַיּוֹם הַזֶּה, וַיָּבֹא הַבַּיְתָה לַעֲשׂוֹת מְלַאכְתּוֹ; וְאֵין אִישׁ מֵאַנְשֵׁי הַבַּיִת, שָׁם--בַּבָּיִת. 
11 Mais il arriva, à une de ces occasions, comme il était venu dans la maison pour faire sa besogne et qu'aucun des gens de la maison ne s'y trouvait,
יב וַתִּתְפְּשֵׂהוּ בְּבִגְדוֹ לֵאמֹר, שִׁכְבָה עִמִּי; וַיַּעֲזֹב בִּגְדוֹ בְּיָדָהּ, וַיָּנָס וַיֵּצֵא הַחוּצָה. 
12 qu'elle le saisit par son vêtement, en disant: "Viens dans mes bras!" Il abandonna son vêtement dans sa main, s'enfuit et s'élança dehors.
יג וַיְהִי, כִּרְאוֹתָהּ, כִּי-עָזַב בִּגְדוֹ, בְּיָדָהּ; וַיָּנָס, הַחוּצָה. 
13 Lorsqu'elle vit qu'il avait laissé son vêtement dans sa main et qu'il s'était échappé,
יד וַתִּקְרָא לְאַנְשֵׁי בֵיתָהּ, וַתֹּאמֶר לָהֶם לֵאמֹר, רְאוּ הֵבִיא לָנוּ אִישׁ עִבְרִי, לְצַחֶק בָּנוּ:  בָּא אֵלַי לִשְׁכַּב עִמִּי, וָאֶקְרָא בְּקוֹל גָּדוֹל. 
14 elle appela les gens de sa maison et leur dit: "Voyez! On nous a amené un Hébreu pour nous insulter! Il m'a abordée pour coucher avec moi et j'ai appelé à grands cris.
טו וַיְהִי כְשָׁמְעוֹ, כִּי-הֲרִימֹתִי קוֹלִי וָאֶקְרָא; וַיַּעֲזֹב בִּגְדוֹ אֶצְלִי, וַיָּנָס וַיֵּצֵא הַחוּצָה. 
15 Lui, entendant que j'élevais la voix pour appeler à mon aide, a laissé son habit près de moi et il s'est échappé et il est sorti."
טז וַתַּנַּח בִּגְדוֹ, אֶצְלָהּ, עַד-בּוֹא אֲדֹנָיו, אֶל-בֵּיתוֹ. 
16 Elle garda le vêtement de Yossef par devers elle, jusqu'à ce que son maître fût rentré à la maison.
יז וַתְּדַבֵּר אֵלָיו, כַּדְּבָרִים הָאֵלֶּה לֵאמֹר:  בָּא-אֵלַי הָעֶבֶד הָעִבְרִי, אֲשֶׁר-הֵבֵאתָ לָּנוּ--לְצַחֶק בִּי. 
17 Elle lui fit le même récit, disant: "L'esclave hébreu que tu nous a amené est venu près de moi pour m'insulter;
יח וַיְהִי, כַּהֲרִימִי קוֹלִי וָאֶקְרָא; וַיַּעֲזֹב בִּגְדוֹ אֶצְלִי, וַיָּנָס הַחוּצָה. 
18 puis, comme j'ai élevé la voix et que j'ai appelé, il a laissé son vêtement près de moi et a pris la fuite."
יט וַיְהִי כִשְׁמֹעַ אֲדֹנָיו אֶת-דִּבְרֵי אִשְׁתּוֹ, אֲשֶׁר דִּבְּרָה אֵלָיו לֵאמֹר, כַּדְּבָרִים הָאֵלֶּה, עָשָׂה לִי עַבְדֶּךָ; וַיִּחַר, אַפּוֹ. 
19 Lorsque le maître entendit le récit que lui faisait son épouse, disant: "Voilà ce que m'a fait ton esclave", sa colère s'enflamma.
כ וַיִּקַּח אֲדֹנֵי יוֹסֵף אֹתוֹ, וַיִּתְּנֵהוּ אֶל-בֵּית הַסֹּהַר--מְקוֹם, אֲשֶׁר-אסורי (אֲסִירֵי) הַמֶּלֶךְ אֲסוּרִים; וַיְהִי-שָׁם, בְּבֵית הַסֹּהַר. 
20 Le maître de Yossef le fit saisir; on l’enferma dans la Rotonde, endroit ou étaient détenus les prisonniers du roi; et il resta là dans la Rotonde.

Béréchit – 49 : Ya’akov bénit Yossef


כב בֵּן פֹּרָת יוֹסֵף, בֵּן פֹּרָת עֲלֵי-עָיִן; בָּנוֹת, צָעֲדָה עֲלֵי-שׁוּר. 
22 C'est un rameau fertile que Yossef, un rameau fertile au bord d'une fontaine; il dépasse les autres rameaux le long de la muraille.
כג וַיְמָרְרֻהוּ, וָרֹבּוּ; וַיִּשְׂטְמֻהוּ, בַּעֲלֵי חִצִּים. 
23 Ils l'ont exaspéré et frappé de leurs flèches; ils l'ont pris en haine, les fiers archers:
כד וַתֵּשֶׁב בְּאֵיתָן קַשְׁתּוֹ, וַיָּפֹזּוּ זְרֹעֵי יָדָיו; מִידֵי אֲבִיר יַעֲקֹב, מִשָּׁם רֹעֶה אֶבֶן יִשְׂרָאֵל. 
24 mais son arc est resté plein de vigueur et les muscles de ses bras sont demeurés fermes grâce au Protecteur de Ya’akov, qui par là préparait la vie au rocher d'Israël;
כה מֵאֵל אָבִיךָ וְיַעְזְרֶךָּ, וְאֵת שַׁקַּי וִיבָרְכֶךָּ, בִּרְכֹת שָׁמַיִם מֵעָל, בִּרְכֹת תְּהוֹם רֹבֶצֶת תָּחַת; בִּרְכֹת שָׁדַיִם, וָרָחַם. 
25 grâce au D.ieu de ton père, qui sera ton appui et au Tout-Puissant, qui te bénira des bénédictions supérieures du ciel, des bénédictions souterraines de l’abîme, des bénédictions des mamelles et des entrailles! Les vœux de ton père,
כו בִּרְכֹת אָבִיךָ, גָּבְרוּ עַל-בִּרְכֹת הוֹרַי, עַד-תַּאֲוַת, גִּבְעֹת עוֹלָם; תִּהְיֶיןָ לְרֹאשׁ יוֹסֵף, וּלְקָדְקֹד נְזִיר אֶחָיו.  {פ}
26 surpassant ceux de mes ancêtres, atteignent la limite des montagnes éternelles; ils s'accompliront sur la tête de Yossef, sur le front de l'Élu de ses frères!

Béréchit – 37 : La vente de Yossef

כד וַיִּקָּחֻהוּ--וַיַּשְׁלִכוּ אֹתוֹ, הַבֹּרָה; וְהַבּוֹר רֵק, אֵין בּוֹ מָיִם. 
24 et ils le saisirent et ils le jetèrent dans la citerne. Cette citerne était vide et sans eau.
כה וַיֵּשְׁבוּ, לֶאֱכָל-לֶחֶם, וַיִּשְׂאוּ עֵינֵיהֶם וַיִּרְאוּ, וְהִנֵּה אֹרְחַת יִשְׁמְעֵאלִים בָּאָה מִגִּלְעָד; וּגְמַלֵּיהֶם נֹשְׂאִים, נְכֹאת וּצְרִי וָלֹט--הוֹלְכִים, לְהוֹרִיד מִצְרָיְמָה. 
25 Comme ils étaient assis pour prendre leur repas, ils levèrent les yeux et virent une caravane d’Ismaélites, laquelle venait de Galaad; leurs chameaux étaient chargés d'aromates, de baume et de lotus qu'ils allaient transporter en Égypte.
כו וַיֹּאמֶר יְהוּדָה, אֶל-אֶחָיו:  מַה-בֶּצַע, כִּי נַהֲרֹג אֶת-אָחִינוּ, וְכִסִּינוּ, אֶת-דָּמוֹ. 
26 Juda dit à ses frères: "Quel avantage, si nous tuons notre frère et si nous scellons sa mort?
כז לְכוּ וְנִמְכְּרֶנּוּ לַיִּשְׁמְעֵאלִים, וְיָדֵנוּ אַל-תְּהִי-בוֹ, כִּי-אָחִינוּ בְשָׂרֵנוּ, הוּא; וַיִּשְׁמְעוּ, אֶחָיו. 
27 Venez, vendons le aux Ismaélites et que notre main ne soit pas sur lui, car il est notre frère, notre chair!" Et ses frères consentirent.
כח וַיַּעַבְרוּ אֲנָשִׁים מִדְיָנִים סֹחֲרִים, וַיִּמְשְׁכוּ וַיַּעֲלוּ אֶת-יוֹסֵף מִן-הַבּוֹר, וַיִּמְכְּרוּ אֶת-יוֹסֵף לַיִּשְׁמְעֵאלִים, בְּעֶשְׂרִים כָּסֶף; וַיָּבִיאוּ אֶת-יוֹסֵף, מִצְרָיְמָה. 
28 Or, plusieurs marchands madianites vinrent à passer, qui tirèrent et firent remonter Yossef de la citerne, puis le vendirent aux Ismaélites pour vingt pièces d'argent. Ceux ci emmenèrent Yossef en Égypte.
כט וַיָּשָׁב רְאוּבֵן אֶל-הַבּוֹר, וְהִנֵּה אֵין-יוֹסֵף בַּבּוֹר; וַיִּקְרַע, אֶת-בְּגָדָיו. 
29 Ruben revint à la citerne et voyant que Yossef n'y était plus, il déchira ses vêtements,
ל וַיָּשָׁב אֶל-אֶחָיו, וַיֹּאמַר:  הַיֶּלֶד אֵינֶנּוּ, וַאֲנִי אָנָה אֲנִי-בָא. 
30 retourna vers ses frères et dit: "L'enfant n'y est plus et moi, où irai je?"
לא וַיִּקְחוּ, אֶת-כְּתֹנֶת יוֹסֵף; וַיִּשְׁחֲטוּ שְׂעִיר עִזִּים, וַיִּטְבְּלוּ אֶת-הַכֻּתֹּנֶת בַּדָּם. 
31 Ils prirent la robe de Yossef, égorgèrent un chevreau et trempèrent la robe dans son sang;
לב וַיְשַׁלְּחוּ אֶת-כְּתֹנֶת הַפַּסִּים, וַיָּבִיאוּ אֶל-אֲבִיהֶם, וַיֹּאמְרוּ, זֹאת מָצָאנוּ:  הַכֶּר-נָא, הַכְּתֹנֶת בִּנְךָ הִוא--אִם-לֹא. 
32 puis ils envoyèrent cette tunique à rayures, qu'on apporta à leur père en disant: "Voici ce que nous avons trouvé; examine si c'est la tunique de ton fils ou non."
לג וַיַּכִּירָהּ וַיֹּאמֶר כְּתֹנֶת בְּנִי, חַיָּה רָעָה אֲכָלָתְהוּ; טָרֹף טֹרַף, יוֹסֵף. 
33 Il la reconnut et s'écria: "La tunique de mon fils! Une bête féroce l'a dévoré! Yossef, Yossef a été mis en pièces!"
לד וַיִּקְרַע יַעֲקֹב שִׂמְלֹתָיו, וַיָּשֶׂם שַׂק בְּמָתְנָיו; וַיִּתְאַבֵּל עַל-בְּנוֹ, יָמִים רַבִּים. 
34 Et Ya’akov déchira ses vêtements et il mit un cilice sur ses reins et il porta longtemps le deuil de son fils.
לה וַיָּקֻמוּ כָל-בָּנָיו וְכָל-בְּנֹתָיו לְנַחֲמוֹ, וַיְמָאֵן לְהִתְנַחֵם, וַיֹּאמֶר, כִּי-אֵרֵד אֶל-בְּנִי אָבֵל שְׁאֹלָה; וַיֵּבְךְּ אֹתוֹ, אָבִיו. 
35 Tous ses fils et toutes ses filles se mirent en devoir de le consoler; mais il refusa toute consolation et dit: "Non! Je rejoindrai, en pleurant, mon fils dans la tombe!" Et son père continua de le pleurer.
לו וְהַמְּדָנִים--מָכְרוּ אֹתוֹ, אֶל-מִצְרָיִם:  לְפוֹטִיפַר סְרִיס פַּרְעֹה, שַׂר הַטַּבָּחִים.  {פ}
36 Quant aux Madianites, ils le vendirent en Égypte à Putiphar, officier de Pharaon, chef des gardes.

Béréchit – 30 : Ra’hel, Léa et les mandragores

א וַתֵּרֶא רָחֵל, כִּי לֹא יָלְדָה לְיַעֲקֹב, וַתְּקַנֵּא רָחֵל, בַּאֲחֹתָהּ; וַתֹּאמֶר אֶל-יַעֲקֹב הָבָה-לִּי בָנִים, וְאִם-אַיִן מֵתָה אָנֹכִי. 
1Ra’hel, voyant qu'elle ne donnait pas d'enfants à Ya’akov, conçut de l'envie contre sa sœur et elle dit à Ya’akov." Rends moi mère, autrement j'en mourrai!"
ב וַיִּחַר-אַף יַעֲקֹב, בְּרָחֵל; וַיֹּאמֶר, הֲתַחַת אֱלֹקִים אָנֹכִי, אֲשֶׁר-מָנַע מִמֵּךְ, פְּרִי-בָטֶן. 
2Ya’akov se fâcha contre Ra’hel et dit: "Suis-je à la place de D.ieu, qui t'a refusé la fécondité?"
ג וַתֹּאמֶר, הִנֵּה אֲמָתִי בִלְהָה בֹּא אֵלֶיהָ; וְתֵלֵד, עַל-בִּרְכַּי, וְאִבָּנֶה גַם-אָנֹכִי, מִמֶּנָּה. 
3 Elle dit alors: "Voici ma servante Bilha, approche toi d'elle; elle enfantera dans mes bras, et, par elle, moi aussi je serai mère."
ד וַתִּתֶּן-לוֹ אֶת-בִּלְהָה שִׁפְחָתָהּ, לְאִשָּׁה; וַיָּבֹא אֵלֶיהָ, יַעֲקֹב. 
4 Elle lui donna Bilha, son esclave, comme épouse et Ya’akov s'approcha d'elle.
ה וַתַּהַר בִּלְהָה, וַתֵּלֶד לְיַעֲקֹב בֵּן. 
5 Bilha conçut et enfanta un fils à Ya’akov.
ו וַתֹּאמֶר רָחֵל, דָּנַנִּי אֱלֹקִים, וְגַם שָׁמַע בְּקֹלִי, וַיִּתֶּן-לִי בֵּן; עַל-כֵּן קָרְאָה שְׁמוֹ, דָּן. 
6Ra’hel dit alors: "Le Seigneur m'a jugée et il a écouté ma voix aussi en me donnant un fils." C'est pourquoi elle le nomma Dan.
ז וַתַּהַר עוֹד--וַתֵּלֶד, בִּלְהָה שִׁפְחַת רָחֵל:  בֵּן שֵׁנִי, לְיַעֲקֹב. 
7 Bilha, l'esclave de Ra’hel, conçut de nouveau et enfanta un second fils à Ya’akov.
ח וַתֹּאמֶר רָחֵל, נַפְתּוּלֵי אֱלֹקִים נִפְתַּלְתִּי עִם-אֲחֹתִי--גַּם-יָכֹלְתִּי; וַתִּקְרָא שְׁמוֹ, נַפְתָּלִי. 
8 Et Ra’hel dit: "C'est une lutte de D.ieu que j'ai entreprise contre ma sœur et pourtant je triomphe!" Et elle le nomma Nephtali.
ט וַתֵּרֶא לֵאָה, כִּי עָמְדָה מִלֶּדֶת; וַתִּקַּח אֶת-זִלְפָּה שִׁפְחָתָהּ, וַתִּתֵּן אֹתָהּ לְיַעֲקֹב לְאִשָּׁה. 
9 Léa, voyant qu'elle avait discontinué d'enfanter, prit Zilpa, son esclave et la donna à Ya’akov comme épouse.
י וַתֵּלֶד, זִלְפָּה שִׁפְחַת לֵאָה--לְיַעֲקֹב בֵּן. 
10 Zilpa, esclave de Léa, donna à Ya’akov un fils.
יא וַתֹּאמֶר לֵאָה, בגד (בָּא גָד); וַתִּקְרָא אֶת-שְׁמוֹ, גָּד. 
11 Et Léa dit: "Une bande m'arrive!" Et elle le nomma Gad.
יב וַתֵּלֶד, זִלְפָּה שִׁפְחַת לֵאָה, בֵּן שֵׁנִי, לְיַעֲקֹב. 
12 Zilpa, esclave de Léa, donna un second fils à Ya’akov.
יג וַתֹּאמֶר לֵאָה--בְּאָשְׁרִי, כִּי אִשְּׁרוּנִי בָּנוֹת; וַתִּקְרָא אֶת-שְׁמוֹ, אָשֵׁר. 
13 Et Léa dit: "Il est né pour mon bonheur! Oui, les filles m'ont nommée bienheureuse." Et elle l'appela Aser.
יד וַיֵּלֶךְ רְאוּבֵן בִּימֵי קְצִיר-חִטִּים, וַיִּמְצָא דוּדָאִים בַּשָּׂדֶה, וַיָּבֵא אֹתָם, אֶל-לֵאָה אִמּוֹ; וַתֹּאמֶר רָחֵל, אֶל-לֵאָה, תְּנִי-נָא לִי, מִדּוּדָאֵי בְּנֵךְ. 
14 Or, Ruben étant allé aux champs à l'époque de la récolte du froment, y trouva des mandragores et les apporta à Léa sa mère. Ra’hel dit à Léa; "Donne-moi, je te prie, des mandragores de ton fils."
טו וַתֹּאמֶר לָהּ, הַמְעַט קַחְתֵּךְ אֶת-אִישִׁי, וְלָקַחַת, גַּם אֶת-דּוּדָאֵי בְּנִי; וַתֹּאמֶר רָחֵל, לָכֵן יִשְׁכַּב עִמָּךְ הַלַּיְלָה, תַּחַת, דּוּדָאֵי בְנֵךְ. 
15 Elle lui répondit: "N'est ce pas assez que tu te sois emparée de mon époux, sans prendre encore les mandragores de mon fils?" Ra’hel reprit: "Eh bien! Il reposera cette nuit avec toi en échange des mandragores de ton fils."
טז וַיָּבֹא יַעֲקֹב מִן-הַשָּׂדֶה, בָּעֶרֶב, וַתֵּצֵא לֵאָה לִקְרָאתוֹ וַתֹּאמֶר אֵלַי תָּבוֹא, כִּי שָׂכֹר שְׂכַרְתִּיךָ בְּדוּדָאֵי בְּנִי; וַיִּשְׁכַּב עִמָּהּ, בַּלַּיְלָה הוּא. 
16Ya’akov revenant des champs, le soir, Léa sortit à sa rencontre et dit: "C'est à mes côtés que tu viendras, car je t'ai retenu pour les mandragores de mon fils." Et il reposa près d'elle cette nuit là.
יז וַיִּשְׁמַע אֱלֹקִים, אֶל-לֵאָה; וַתַּהַר וַתֵּלֶד לְיַעֲקֹב, בֵּן חֲמִישִׁי. 
17 Le Seigneur exauça Léa: elle conçut et enfanta à Ya’akov un cinquième fils.
יח וַתֹּאמֶר לֵאָה, נָתַן אֱלֹקִים שְׂכָרִי, אֲשֶׁר-נָתַתִּי שִׁפְחָתִי, לְאִישִׁי; וַתִּקְרָא שְׁמוֹ, יִשָּׂשכָר. 
18 Et Léa dit "Le Seigneur m'a récompensée d'avoir donné mon esclave à mon époux." Et elle lui donna le nom d'Issakhar.
יט וַתַּהַר עוֹד לֵאָה, וַתֵּלֶד בֵּן-שִׁשִּׁי לְיַעֲקֹב. 
19 Léa conçut de nouveau et donna un sixième fils à Ya’akov.
כ וַתֹּאמֶר לֵאָה, זְבָדַנִי אֱלֹקִים אֹתִי זֵבֶד טוֹב--הַפַּעַם יִזְבְּלֵנִי אִישִׁי, כִּי-יָלַדְתִּי לוֹ שִׁשָּׁה בָנִים; וַתִּקְרָא אֶת-שְׁמוֹ, זְבֻלוּן. 
20 Et Léa dit: "Le Seigneur m'a accordée, moi, comme un don précieux; désormais mon époux fera de moi sa compagne, car je lui ai enfanté six fils." Et elle appela celui ci Zabulon.
כא וְאַחַר, יָלְדָה בַּת; וַתִּקְרָא אֶת-שְׁמָהּ, דִּינָה. 
21 Plus tard elle enfanta une fille et elle la nomma Dina.
כב וַיִּזְכֹּר אֱלֹקִים, אֶת-רָחֵל; וַיִּשְׁמַע אֵלֶיהָ אֱלֹקִים, וַיִּפְתַּח אֶת-רַחְמָהּ. 
22 Le Seigneur se souvint de Ra’hel: il l'exauça et donna la fécondité à son sein.
כג וַתַּהַר, וַתֵּלֶד בֵּן; וַתֹּאמֶר, אָסַף אֱלֹקִים אֶת-חֶרְפָּתִי. 
23 Elle conçut et enfanta un fils; et elle dit: "D.ieu a effacé ma honte."
כד וַתִּקְרָא אֶת-שְׁמוֹ יוֹסֵף, לֵאמֹר:  יֹסֵף יְהוָה לִי, בֵּן אַחֵר. 
24 Elle énonça son nom Yossef, en disant "D.ieu veuille me donner encore un second fils!"




Annexe 2 – Jérémie fait référence à d’autres événements de la vie de Yossef


Il semble de Jérémie fasse référence à d’autres évènements de la vie de Yossef, d’autres occasions où Ra’hel aurait pu pleurer si elle y avait assisté….

Référence à un autre évènement

En effet, les mots : « קוֹל בְּרָמָה נִשְׁמָע » rappellent le moment où Yossef se révèle à ses frères.
Lisons ces quelques versets relatant la révélation de Yossef à ses frères (Béréchit 45) :
א וְלֹא-יָכֹל יוֹסֵף לְהִתְאַפֵּק, לְכֹל הַנִּצָּבִים עָלָיו, וַיִּקְרָא, הוֹצִיאוּ כָל-אִישׁ מֵעָלָי; וְלֹא-עָמַד אִישׁ אִתּוֹ, בְּהִתְוַדַּע יוֹסֵף אֶל-אֶחָיו. 
1Yossef ne put se contenir, malgré tous ceux qui l'entouraient. Il s'écria: "Faites sortir tout le monde d'ici!" Et nul homme ne fut présent lorsque Yossef se fit connaître à ses frères.
ב וַיִּתֵּן אֶת-קֹלוֹ, בִּבְכִי; וַיִּשְׁמְעוּ מִצְרַיִם, וַיִּשְׁמַע בֵּית פַּרְעֹה. 
2 Il éleva la voix en pleurant. Les Égyptiens l'entendirent, la maison de Pharaon l'entendit,
ג וַיֹּאמֶר יוֹסֵף אֶל-אֶחָיו אֲנִי יוֹסֵף, הַעוֹד אָבִי חָי; וְלֹא-יָכְלוּ אֶחָיו לַעֲנוֹת אֹתוֹ, כִּי נִבְהֲלוּ מִפָּנָיו. 
3 et il dit à ses frères: "Je suis Yossef; mon père vit-il encore?" Mais ses frères ne purent lui répondre, car il les avait frappés de stupeur.
ד וַיֹּאמֶר יוֹסֵף אֶל-אֶחָיו גְּשׁוּ-נָא אֵלַי, וַיִּגָּשׁוּ; וַיֹּאמֶר, אֲנִי יוֹסֵף אֲחִיכֶם, אֲשֶׁר-מְכַרְתֶּם אֹתִי, מִצְרָיְמָה. 
4Yossef dit à ses frères: "Approchez-vous de moi, je vous prie." Et ils s'approchèrent. Il reprit: "Je suis Yossef, votre frère que vous avez vendu pour l'Égypte.

Les mots de Jérémie : « קוֹלבְּרָמָהנִשְׁמָע נְהִי בְּכִי תַמְרוּרִים » sont à mettre en parallèle avec : « וַיִּתֵּן אֶת-קֹלוֹ, בִּבְכִי; וַיִּשְׁמְעוּ מִצְרַיִם, וַיִּשְׁמַע בֵּית פַּרְעֹה ». Et plus loin (Béréchit 45) :
טזוְהַקֹּלנִשְׁמַע, בֵּית פַּרְעֹה לֵאמֹר, בָּאוּ, אֲחֵי יוֹסֵף; וַיִּיטַב בְּעֵינֵי פַרְעֹה, וּבְעֵינֵי עֲבָדָיו. 
16 Or, le bruit s'était répandu à la cour de Pharaon, savoir: les frères de Yossef sont venus; ce qui avait plu à Pharaon et à ses serviteurs.
Le mot « בְּכִי » n’apparaît que deux fois dans le ’Houmach, ce sont ces deux fois là. Nous avons là les trois mots essentiels de cet extrait de la prophétie.
Il manque cependant le mot « רָמָה », « dans les hauteurs ». On peut cependant dire que la notion de « hauteur » se trouve également dans le récit de la révélation de Yossef. Il s’agirait d’un parallèle conceptuel.
Analysons un peu cet épisode. Pourquoi Yossef tient-il à faire sortir tout le monde ? Pour ne pas embarrasser ses frères, et surtout, pour ne pas être embarrassé lui-même. En effet, il s’agit là d’un moment familial très privé, et Yossef, comme haut gradé qu’il est, ne tient pas à ce que toute la courÉgyptienne apprenne son passé torturé… On ne mélange pas vie privée et vie professionnelle !
Et pourtant, sa tentative de garder cet épisode privé échoue (Béréchit 45:2): « וַיִּשְׁמְעוּ מִצְרַיִם, וַיִּשְׁמַע בֵּית פַּרְעֹה », les pleurs sont entendus dans les hauteurs, dans les plus hautes sphères de l’Égypte. Voilà le « רָמָה  » de notre histoire.

Petite analyse annexe de l’épisode

Continuons. Après s’être révélé à ses frères, Yossef leur dit la chose suivante (Béréchit 45) :
יג וְהִגַּדְתֶּם לְאָבִי, אֶת-כָּל-כְּבוֹדִי בְּמִצְרַיִם, וְאֵת, כָּל-אֲשֶׁר רְאִיתֶם; וּמִהַרְתֶּם וְהוֹרַדְתֶּם אֶת-אָבִי, הֵנָּה. 
13 Faites part à mon père des honneurs qui m’entourent en Égypte et de tout ce que vous avez vu et hâtez vous d’amener ici mon père."
Pourquoi Yossef tient-il à ce qu’on rapporte ces propos à son père ?
Si c’était pour rassurer son père et lui dire de ne pas avoir peur de descendre en Égypte, il aurait dit quelque chose comme : « J’ai ici le pouvoir de prendre soin de lui, qu’il n’ait crainte ». Mais il ne dit pas ça. Il semblerait plutôt qu’il cherche à donner à son père un peu de sérénité : « Regarde ce que je suis devenu en Égypte ».
Lisons la suite :
יד וַיִּפֹּל עַל-צַוְּארֵי בִנְיָמִן-אָחִיו, וַיֵּבְךְּ; וּבִנְיָמִן--בָּכָה, עַל-צַוָּארָיו. 
14 Il se jeta au cou de Benjamin son frère et pleura; et Benjamin aussi pleura dans ses bras.
טו וַיְנַשֵּׁק לְכָל-אֶחָיו, וַיֵּבְךְּ עֲלֵהֶם; וְאַחֲרֵי כֵן, דִּבְּרוּ אֶחָיו אִתּוֹ. 
15 Il embrassa tous ses frères et les baigna de ses larmes; alors seulement ses frères lui parlèrent.
Yossef à nouveau pleure, Benjamin aussi, Yossef embrasse tous ses frères.
Quand avons-nous également des larmes et des pleurs simultanés ?
·         Lorsque Ya’akov retrouve ’Essav, au moment où ils se réconcilient (Béréchit 33:4).
·         Lorsque Ya’akov rencontre Rahel pour la première fois : il l’embrasse et pleure en même temps (Béréchit 29:11). Cet évènement se passe chronologiquement avant le précédent.
Rachi, sur ce dernier point dit que Ya’akov pleure pour deux raisons possibles :
·         Parce qu’il voit qu’il ne sera pas enterré au même endroit qu’elle.
·         A cause de l’histoire d’Éliphaz[29].

Dans le premier épisode de « larmes et baiser », Ya’akov craint de perdre Rahel. Dans le dernier épisode, c’est Yossef, incarnant Rahel, qui revient.

Retour à Jérémie


Jérémie semble dire ici qu’à part le moment avec la femme de Potiphar, et le moment de Yossef dans le puits, il y a encore un autre moment où Ra’hel aurait pleuré. Cependant, il ne s’agirait pas là de pleurs de tristesse, mais de pleurs de joie, lorsque Yossef se révèle à ses frères et que la famille se reconstitue. D.ieu dirait à Ra’hel : « Tu veux une preuve que tes enfants reviendront un jour ? Tu l’as déjà vu avec Yossef au niveau individuel, tu peux donc me faire confiance que ça se reproduira au niveau national ».

Le passage « קוֹל בְּרָמָה נִשְׁמָע » fait clairement référence à ces deux épisodes : celui de la femme de Potiphar, et celui de la révélation de Yossef. Il se décline en ces deux épisodes. Que peut-on en dire ?

Il semblerait que Jérémie fait un parallèle entre ces deux histoires de la Torah.

Quelle est la grandeur de l’épisode avec la femme de Potiphar ?
La grandeur de Yossef, c’est d’avoir volontairement laissé son manteau par souci de véritable loyauté envers son maître, et d’avoir accepté de faire face au « puits »[30].
L’histoire de la vente de Potiphar pourrait être vue de deux manières :
La manière la plus simple est de voir cet épisode comme le pire de la vie de Yossef : non seulement il a été trahi par sa famille et jeté dans le puits, mais là, c’est le moment des pleurs amers, d’une double amertume, parce que les Égyptiens aussi l’ont trahi et jeté dans un trou.
En même temps, cet épisode peut être vu comme le plus merveilleux de la vie de Yossef. Parce que c’est là que sa grandeur s’exprime en acceptant d’être jeté prison par souci de loyauté.
Jérémie montre que ce moment révèle la grandeur de Yossef en le liant textuellement à celui de la révélation de Yossef à ses frères où non seulement l’Égypte l’a rétabli, mais il refait à nouveau un avec ses frères et sa famille. Pourquoi Yossef tient-il à ce que les frères disent à son père ce qu’il est devenu ? Parce que la grandeur n’est agréable à vivre que quand elle est partagée.

Il semblerait que le pire moment – l’épisode avec la femme de Potiphar – a  permis l’avènement du meilleur – révélation de Yossef à ses frères.

À propos de l’épisode de la femme de Potiphar, Rahel aurait donc pleuré deux sortes de larmes. Parce que ce moment est affreux pour Yossef. Mais pour sa mère, qui voit qu’il a été capable de résister à cette tentation alors qu’il était esseulé[31], qu’il a été capable de véritable loyauté et d’ainsi faire germer les retrouvailles de tous ses enfants, ce moment crée aussi des larmes de joie[32].




Annexe 3 – Les « דוּדָאִים  » dans Chir Hachirim


Le mot « דוּדָאִים » apparaît dans Chir Hachirim et semble là-bas faire référence à une potion aphrodisiaque. Il y a deux objections à cette interprétation :
1.       Qui de Ra’hel ou Léa avait le plus besoin de potion aphrodisiaque ? C’est Léa ; Qui demande les Doudayim ? C’est Ra’hel, qui avait déjà l’amour de son mari, et n’avait donc nulle besoin de ce type de potion. Cette interprétation ne paraît donc pas cohérente avec le déroulement des évènements.
2.       Jusqu’à Chlomo, comment le mot « דוּדָאִים  » de Béréchit était-il compris ? Et comment Chlomo a su qu’il s’agissait de fleurs aphrodisiaques ?
Lisons un peu le texte (Chir Hachirim 7) :
יא אֲנִי לְדוֹדִי, וְעָלַי תְּשׁוּקָתוֹ.  {ס}
11 Je suis à mon bien-aimé, et lui, il est épris de moi.
יב לְכָה דוֹדִי נֵצֵא הַשָּׂדֶה, נָלִינָה בַּכְּפָרִים. 
12 Viens, mon bien-aimé, sortons dans les champs, passons la nuit dans les hameaux.
יג נַשְׁכִּימָה, לַכְּרָמִים--נִרְאֶה אִם-פָּרְחָה הַגֶּפֶן פִּתַּח הַסְּמָדַר, הֵנֵצוּ הָרִמּוֹנִים; שָׁם אֶתֵּן אֶת-דֹּדַי, לָךְ. 
13 De bon matin, nous irons dans les vignes, nous verrons si les ceps fleurissent, si les bourgeons ont éclaté, si les grenades sont en fleurs. Là je te prodiguerai mes caresses.
ידהַדּוּדָאִים נָתְנוּ-רֵיחַ, וְעַל-פְּתָחֵינוּ כָּל-מְגָדִים--חֲדָשִׁים, גַּם-יְשָׁנִים; דּוֹדִי, צָפַנְתִּי לָךְ. 
14 Les mandragores répandent leur parfum; à nos portes se montrent les plus beaux fruits, nouveaux et anciens, que j'ai réservés pour toi, mon bien-aimé!
Nous n’avons là que la fin du chapitre. Mais on peut voir que le mot « דּוֹדִי », « bien-aimé » est récurrent.
Le mot « דוּדָאִים  » qui fait clairement référence ici à une sorte de fleurs ressemble beaucoup au mot « דּוֹדִי  ».
Il est clair pour moi que ce n’est pas Chir Hachirim qui montre le sens du mot « דוּדָאִים   » de Béréchit, mais le contraire, c’est le sens du mot « דוּדָאִים   » de Béréchit qui donne le sens de ce même mot dans Chir Hachirim.
Les Doudayim sont réputées pour être des « fleurs d’amour » de part ce qui s’est passé entre Ra’hel et Léa, à savoir, une réconciliation suite à cet échange de Doudayim.
Les Doudayim seraient donc plus précisément le symbole d’un amour ‘réconcilié’, ou d’un amour retrouvé, ce qui correspond bien à ce qui se passe dans Chir Hachirim où les deux amants sont séparés et cherchent à se retrouver.




Annexe 4 – Le chiasme de la vie de Ya’akov et l’histoire des Mandragores


Sans tout détailler ici, on peut voir que la vie de Ya’akov est écrite en chiasme[33].
Un des éléments de ce chiasme[34] se voit dans le fait que le début de la Paracha Vayétsé est à mettre en parallèle avec la fin de la Paracha Vayétsé.
Par exemple, on voit que Ya’akov quitte un endroit au début dela Paracha(Béréchit 28:10) :
יוַיֵּצֵא יַעֲקֹב, מִבְּאֵר שָׁבַע; וַיֵּלֶךְ, חָרָנָה. 
10Ya’akov sortit de Beer Shava et se dirigea vers Haran.
Et à la fin (Béréchit 32:2) :
ב וְיַעֲקֹב, הָלַךְ לְדַרְכּוֹ
2 Jacob poursuivit son voyage

On trouve aussi le mot « וַיִּפְגַּע » au début de la paracha (Béréchit 28:11) :
יאוַיִּפְגַּע בַּמָּקוֹם וַיָּלֶן שָׁם, כִּי-בָא הַשֶּׁמֶשׁ, וַיִּקַּח מֵאַבְנֵי הַמָּקוֹם, וַיָּשֶׂם מְרַאֲשֹׁתָיו; וַיִּשְׁכַּב, בַּמָּקוֹם הַהוּא. 
11 Il arriva dans un endroit où il établit son gîte, parce que le soleil était couché. Il prit une des pierres de l'endroit, en fit son chevet et passa la nuit dans ce lieu.
Et à la fin (Béréchit32:2) :
ב וְיַעֲקֹב, הָלַךְ לְדַרְכּוֹ; וַיִּפְגְּעוּ-בוֹ, מַלְאֲכֵי אֱלֹקִים. 
2 Pour Jacob, il poursuivit son voyage; des envoyés du Seigneur se trouvèrent sur ses pas.

Le 8ème élément du chiasme est le mot « אָסַף ». Ra’hel, en donnant naissance à Yossef dit (Béréchit 30:23) :
כג וַתַּהַר, וַתֵּלֶד בֵּן; וַתֹּאמֶר, אָסַף אֱלֹקִים אֶת-חֶרְפָּתִי. 
23 Elle conçut et enfanta un fils; et elle dit: "D.ieu a effacé ma honte."
Pourquoi Ra’hel parle-t-elle de honte ? C’est vrai, Léa a des enfants, elle non. Mais ce n’est pas une honte ?! On peut dire que c’est difficile à supporter, mais pas que c’est une honte. En fait, ce mot « אָסַף » est directement relié au même mot qui se trouve en même 8ème position en partant du début du chiasme (Béréchit 29:22) :
כבוַיֶּאֱסֹף לָבָן אֶת-כָּל-אַנְשֵׁי הַמָּקוֹם, וַיַּעַשׂ מִשְׁתֶּה. 
22 Laban réunit tous les habitants du lieu et donna un festin.
En réalité, la honte dont Ra’hel parle, c’est celle qui a été causée par son père Lavan en organisant un festin pour son mariage avec Ya’akov, et en mettant au dernier moment Léa sous la ’houpa à sa place.
Ra’hel pense donc : « Mon Père qui est aux Cieux a, par cet enfant qu’Il me donne, effacé la honte que j’ai ressenti ce soir là à cause mon père ».

Aux deux extrémités du chiasme on voit que Ya’akov est nommé.
Au début du chiasme, Ya’akov est nommé lors de sa naissance (Béréhit 25) :
כו וְאַחֲרֵי-כֵן יָצָא אָחִיו, וְיָדוֹ אֹחֶזֶת בַּעֲקֵב עֵשָׂו, וַיִּקְרָא שְׁמוֹ, יַעֲקֹב; וְיִצְחָק בֶּן-שִׁשִּׁים שָׁנָה, בְּלֶדֶת אֹתָם. 
26 Ensuite naquit son frère tenant de la main le talon d'Ésaü et on le nomma Jacob. Isaac avait soixante ans lors de leur naissance.
L’épisode de la fin est celui où l’ange d’Essav nomme Ya’akov Israël (Béréchit 32) :
כט וַיֹּאמֶר, לֹא יַעֲקֹב יֵאָמֵר עוֹד שִׁמְךָ--כִּי, אִם-יִשְׂרָאֵל 
29 Il reprit: "Jacob ne sera plus désormais ton nom, mais bien Israël"
 Les éléments du chiasme disparaissent entre la naissance de Zévouloun et la naissance de Lévi (en miroir l’une de l’autre).

Le centre du chiasme

L’histoire des Mandragores, qui n’a a priori rien à voir avec Ya’akov se trouve au centre du chiasme qui compose la vie de Ya’akov.
On peut trouver un parallèle conceptuel entre le début et la fin de l’histoire des Mandragores, ce qui indiquerait que même cette histoire est écrite en chiasme.
En effet, au début, on voit que (Béréchit 30:1) : « וַתְּקַנֵּא רָחֵל, בַּאֲחֹתָהּ », « Ra’hel conçut de l'envie contre sa sœur », et plus tard, Léa dit (Béréchit 30:15) : « הַמְעַט קַחְתֵּךְ אֶת-אִישִׁי », « N'est ce pas assez que tu te sois emparée de mon époux », c’est Léa qui jalouse Ra’hel.
Quoi qu’il en soit, au centre du chiasme, on voitla naissance des enfants des servantes et l’histoire des mandragores. Et, alors que chaque élément du chiasme explique son élément miroir, le centre du chiasme peut être expliqué par les éléments extrêmes du chiasme.

Naphtali et l’Ange

Voyons.
Les mots utilisés pour raconter la naissance de Naphtali sont similaires à ceux utilisés dans l’épisode de la lutte entre Ya’akov et l’ange.
Pour la naissance de Naphtali, on peut lire (Béréchit 30:8) :
ח וַתֹּאמֶר רָחֵל, נַפְתּוּלֵי אֱלֹקִיםנִפְתַּלְתִּי עִם-אֲחֹתִי--גַּם-יָכֹלְתִּי; וַתִּקְרָא שְׁמוֹ, נַפְתָּלִי
8 Et Ra’hel dit: "C'est une lutte de D.ieu que j'ai entreprise contre ma sœur et pourtant je triomphe!" Et elle le nomma Nephtali.
Dans l’épisode de Ya’akov avec l’ange, on peut lire (Béréchit 32) :
כח וַיֹּאמֶר אֵלָיו, מַה-שְּׁמֶךָ; וַיֹּאמֶר, יַעֲקֹב. 
28 Il lui dit alors: "Quel est ton nom?" Il répondit: "Ya’akov."
כט וַיֹּאמֶר, לֹא יַעֲקֹב יֵאָמֵר עוֹד שִׁמְךָ--כִּי, אִם-יִשְׂרָאֵל:  כִּי-שָׂרִיתָ עִם-אֱלֹקִיםוְעִם-אֲנָשִׁים, וַתּוּכָל
29 Il reprit: "Ya’akov ne sera plus désormais ton nom, mais bien Israël; car tu as jouté contre des puissances célestes et humaines et tu es resté fort."
On retrouve dans ces deux passages les quatre éléments suivants :
1.       Lutte divine
2.       Lutte avec humain
3.       Victoire
4.       Nomination

Ya’akov, ’Essav, et les Doudayim

Quels autres éléments dans la lutte entre les sœurs rappellent la lutte entre les frères Ya’akov et ’Essav ?
Lorsque Ra’hel demande à Léa des Mandragores, Léa lui dit (Béréchit 30:15) :
טו וַתֹּאמֶר לָהּ, הַמְעַט קַחְתֵּךְ אֶת-אִישִׁי, וְלָקַחַת, גַּם אֶת-דּוּדָאֵי בְּנִי; 
15 Elle lui répondit: "N'est ce pas assez que tu te sois emparée de mon époux, sans prendre encore les mandragores de mon fils?"
 Non seulement tu m’as pris mon mari, mais en plus, tu veux me prendre les fleurs de mon fils !
’Essav, lorsqu’il apprend que Ya’akov lui a pris la bénédiction de son père dit (Béréchit 27:36) :
לו אֶת-בְּכֹרָתִי לָקָח, וְהִנֵּה עַתָּה לָקַח בִּרְכָתִי;
36 Il m'a enlevé mon droit d'aînesse et voici que maintenant il m'enlève ma bénédiction !
Non seulement il m’a pris mon droit d’aînesse, mais en plus, il m’a pris ma bénédiction !
L’histoire des Doudayimserait-elle un replay de l’histoire des Berakhot ?[35]
Où Réouven a-t-il trouvé les Doudayim? Dans les champs. Lisons (Béréchit 30:14) :
יד וַיֵּלֶךְ רְאוּבֵן בִּימֵי קְצִיר-חִטִּים, וַיִּמְצָא דוּדָאִים בַּשָּׂדֶה, וַיָּבֵא אֹתָם, אֶל-לֵאָה אִמּוֹ.
14 Or, Réouvenétant allé aux champs à l'époque de la récolte du froment, y trouva des mandragores et les apporta à Léa sa mère.
Dans l’épisode de la bénédiction de Ya’akov et ’Essav, qu’avons-nous ? Lisons (Béréchit 25) :
Its’hak dit à ’Essav : 
ג וְעַתָּה שָׂא-נָא כֵלֶיךָ, תֶּלְיְךָ וְקַשְׁתֶּךָ; וְצֵא, הַשָּׂדֶה, וְצוּדָה לִּי, צידה (צָיִד). 
3 Et maintenant, je te prie, prends tes armes, ton carquois et ton arc; va aux champs et prends du gibier pour moi.
En voyant Ya’akov (qui se fait passer pour ’Essav) arriver, Its’hak lui dit :
כ וַיֹּאמֶר יִצְחָק אֶל-בְּנוֹ, מַה-זֶּה מִהַרְתָּ לִמְצֹא בְּנִי; וַיֹּאמֶר, כִּי הִקְרָה יְהוָה אֱלֹהֶיךָ לְפָנָי. 
20 Isaac dit à son fils: "Qu'est ceci? tu as été prompt à faire capture mon fils!" Il répondit: "C’est que l’Éternel ton D.ieu m’a donné bonne chance."
Après sa chasse, ’Essav va vers son père :
לא וַיַּעַשׂ גַּם-הוּא מַטְעַמִּים, וַיָּבֵא לְאָבִיו; וַיֹּאמֶר לְאָבִיו, יָקֻם אָבִי וְיֹאכַל מִצֵּיד בְּנוֹ--בַּעֲבֻר, תְּבָרְכַנִּי נַפְשֶׁךָ. 
31 Il apprêta, lui aussi, un ragoût et le présenta à son père en lui disant: "Que mon père se dispose à manger de la chasse de son fils, afin que ton cœur me bénisse.
Il y a non seulement des parallèles dans les mots, mais une similitude de situation évidente :
Its’hak demande à son aîné de lui apporter quelque chose. Ceci procurerait de la joie à Its’hak, parent.
Réouven, l’aîné de Léa, lui apporte les Doudayim. Ceci procure de la joie à Léa, parent.

La lutte entre Ya’akov et ’Essav à ce moment-là peut aussi être vue comme le miroir de la lutte qui s’opère entre Ra’hel et Léa dans l’histoire des דוּדָאִים : 
Qui des deux enfants gagnera la faveur du père ?
Qui des deux mères gagnera la faveur de l’enfant ? 

Après avoir appris que Ya’akov lui a subtilisé sa bénédiction, ’Essav demande à plusieurs reprises une autre bénédiction à son père (Béréchit 27) :
לד כִּשְׁמֹעַ עֵשָׂו, אֶת-דִּבְרֵי אָבִיו, וַיִּצְעַק צְעָקָה, גְּדֹלָה וּמָרָה עַד-מְאֹד; וַיֹּאמֶר לְאָבִיו, בָּרְכֵנִי גַם-אָנִי אָבִי
34’Essav, entendant les paroles de son père, poussa des cris bruyants et douloureux et il dit à son père "Moi aussi bénis-moi, mon père!"
לה וַיֹּאמֶר, בָּא אָחִיךָ בְּמִרְמָה; וַיִּקַּח, בִּרְכָתֶךָ. 
35 Il répondit: "Ton frère a usé de ruse et il a enlevé ta bénédiction."
לו וַיֹּאמֶר הֲכִי קָרָא שְׁמוֹ יַעֲקֹב, וַיַּעְקְבֵנִי זֶה פַעֲמַיִם--אֶת-בְּכֹרָתִי לָקָח, וְהִנֵּה עַתָּה לָקַח בִּרְכָתִי; וַיֹּאמַר, הֲלֹא-אָצַלְתָּ לִּי בְּרָכָה. 
36’Essav dit alors: "Est ce parce qu'on l'a nommé Ya’akov qu'il m'a supplanté deux fois déjà? Il m'a enlevé mon droit d'aînesse et voici que maintenant il m'enlève ma bénédiction!" Et il ajouta: "N'as tu pas réservé une bénédiction pour moi?"
לז וַיַּעַן יִצְחָק וַיֹּאמֶר לְעֵשָׂו, הֵן גְּבִיר שַׂמְתִּיו לָךְ וְאֶת-כָּל-אֶחָיו נָתַתִּי לוֹ לַעֲבָדִים, וְדָגָן וְתִירֹשׁ, סְמַכְתִּיו; וּלְכָה אֵפוֹא, מָה אֶעֱשֶׂה בְּנִי. 
37 Isaac répondit en ces termes à ’Essav: "Certes! je l'ai institué ton supérieur, j'ai fait de tous ses frères ses serviteurs, je lai gratifié de la moisson et de la vendange: pour toi, dès lors, que puis je faire, mon fils?"
לח וַיֹּאמֶר עֵשָׂו אֶל-אָבִיו, הַבְרָכָה אַחַת הִוא-לְךָ אָבִי--בָּרְכֵנִי גַם-אָנִי, אָבִי; וַיִּשָּׂא עֵשָׂו קֹלוֹ, וַיֵּבְךְּ. 
38’Essav dit à son père: "Ne possèdes-tu qu'une seule bénédiction, mon père? Mon père, bénis moi aussi!" Et Esaü éclata en pleurs.
’Essav cherche absolument à ce que la bénédiction soit partagée. Exactement comme Ra’hel qui cherche à partager les Doudayim: « תְּנִי-נָא לִי, מִדּוּדָאֵי בְּנֵךְ », « Donne-moi, s’il te plaît, quelques-unes des mandragores de ton fils ». La différence, c’est que Ra’hel et Léa finissent par se mettre d’accord pour partager les mandragores. Ya’akov et ’Essav, non.

Les deux sœurs // Les deux frères…

Nous avons donc trois blocs qui sont en parallèle :

Épisode de la Berakha
Début du chiasme

Épisode de l’ange
Fin du chiasme

Épisode des Mandragores
Centre du chiasme

הַמְעַט

נַפְתָּלִי
 








Le « הַמְעַט » du centre du chiasme est en parallèle avec l’épisode de le bera’ha, et la naissance de Naphtali le centre du chiasme est en parallèle avec l’épisode de Ya’akov avec l’ange. Notons que le « הַמְעַט » se passe chronologiquement après la naissance de נַפְתָּלִי.
Détaillons un peu plus.
Il y a trois épisodes clés dans ce grand chiasme qui marquent la relation entre Ya’akov et ’Essav :
·         ‘Ya’akov& ’Essav ①’ : L’épisode du droit d’aînesse
·         ‘Ya’akov& ’Essav ②’ : L’épisode de la tromperie avec la bénédiction de Its’hak
·         ‘Ya’akov& ’Essav ③’ : L’épisode avec l’ange qui a conduit à la réconciliation de Ya’akov et ’Essav.
Nous avons vu que dans l’histoire des mandragores, il y a des passages miroirs de ‘Ya’akov& ’Essav ②’ et de ‘Ya’akov& ’Essav ③’. Notons cela sur un schéma avec des flèches pour indiquer la chronologie des évènements :

?

הַמְעַט


נַפְתָּלִי


Yaacov & ’Essav ①
בְּכוֹרָה



Yaacov & ’Essav ②
בְּרַכָה

Yaacov & ’Essav ③
L’ange
 






Si on continue dans la logique, on devrait trouver dans l’histoire des mandragores un élément miroitant l’épisode de la בְּכוֹרָה. Et cet élément devrait tout aussi logiquement se trouver à la suite du « הַמְעַט ». Cherchons.
Après son échange avec Ra’hel, Léa va à la rencontre de Ya’akov. Et on peut lire (Béréchit 30) :
טזוַיָּבֹא יַעֲקֹב מִן-הַשָּׂדֶה, בָּעֶרֶב, וַתֵּצֵא לֵאָה לִקְרָאתוֹ וַתֹּאמֶר אֵלַי תָּבוֹא, כִּי שָׂכֹר שְׂכַרְתִּיךָ בְּדוּדָאֵי בְּנִי; וַיִּשְׁכַּב עִמָּהּ, בַּלַּיְלָה הוּא. 
16Ya’akov revenant des champs, le soir, Léa sortit à sa rencontre et dit: "C'est à mes côtés que tu viendras, car je t'ai retenu pour les mandragores de mon fils." Et il reposa près d'elle cette nuit là.
Ya’akov revient des champs, Léa va à sa rencontre. A mettre en parallèle avec (Béréchit 25) :
כט וַיָּזֶד יַעֲקֹב, נָזִיד; וַיָּבֹא עֵשָׂו מִן-הַשָּׂדֶה, וְהוּא עָיֵף. 
29 Un jour Ya’akov faisait cuire un potage quand ’Essav revint des champs, fatigué.
’Essav revient des champs, Ya’akov l’accueille.
Un autre parallèle conceptuel peut être établi entre ces deux passages. En effet, les Doudayim sont les premiers fruits que la בְּכוֹרָה a donnés à Léa. Quand Léa dit à Ya’akov : « Je t’ai acheté pour des Doudayim », elle lui dit : « J’ai vendu le fruit de la בְּכוֹרָה et je t’ai obtenu, toi, Ya’akov ».
Face à cela, Ya’akov, lui, donne du potage et obtient, en échange, le droit d’aînesse.[36]
La scène qui s’est produite entre les deux frères se reproduit d’une certaine manière entre les deux sœurs. Ce qu’il est important de noter, par contre, c’est que l’histoire des Doudayim va en sens inverse de celle de Ya’akov et ’Essav : quand on avance dans l’histoire des Doudayim, on remonte l’histoire de Ya’akov et ’Essav. Quel est le message d’un tel phénomène ?
L’idée, quand on remonte une histoire, c’est celle d’une réparation.
Alors que la souffrance grandit entre les frères quand on avance dans le temps, les sœurs, elles, effacent les douleurs au fur et à mesure de l’histoire des Doudayim. L’histoire de Ra’hel et Léa est une version réussie de l’histoire de Ya’akov et ’Essav.

Jérémie dit que le salaire de Ra’hel pour ça, c’est que ses enfants reviendront. Analysons.
Que se passe-t-il juste après la tromperie de la bénédiction qui génère la colère de ’Essav envers Ya’akov ? 
Ya’akov s’exile… Et pas pour quelques jours, car alors sa mère risquerait de le perdre. Elle lui dit (Béréchit 27, 45) : « לָמָה אֶשְׁכַּל גַּם-שְׁנֵיכֶם », « pourquoi m'exposer à vous perdre tous deux ». Ya’akov s’exile pour 21 ans.
Et, alors que la discorde fraternelle cause l’exil, le salaire de la réconciliation au sein de la famille est le retour des exilés.





Annexe 5 – La naissance de Yossef et le départ de Ya’akov


Contexte des retrouvailles entre Ya’akov et ’Essav

Concernant les retrouvailles entre Ya’akov et ’Essav, nous avons parfois en tête une histoire un peu simplette : Ya’akov était tout tranquille, quand soudain, ’Essav vient armé avec 400 hommes. Ya’akov, très surpris, prie Hachem, et finalement, grâce à D.ieu, tout se passe bien…
Revoyons le texte. Il est écrit (Béréchit 32) :
ד וַיִּשְׁלַח יַעֲקֹב מַלְאָכִים לְפָנָיו, אֶל-עֵשָׂו אָחִיו, אַרְצָה שֵׂעִיר, שְׂדֵה אֱדוֹם. 
4Ya’akov envoya des messagers en avant, vers ’Essav son frère, au pays de Séir, dans la campagne d'Édom.
Qui a cherché l’autre ? C’est bien Ya’akov. Jusque là, chacun était dans son petit patelin, avant le téléphone, le fax ou internet, avant le train, le métro ou le TGV, aucun d’eux n’avait de chance de tomber sur l’autrepar hasard. C’est ici consciemment que Ya’akov va à la rencontre de ’Essav. 
En effet, après la naissance de Yossef, Ya’akov veut retourner chez lui (Béréchit 30) :
כה וַיְהִי, כַּאֲשֶׁר יָלְדָה רָחֵל אֶת-יוֹסֵף; וַיֹּאמֶר יַעֲקֹב, אֶל-לָבָן, שַׁלְּחֵנִי וְאֵלְכָה, אֶל-מְקוֹמִי וּלְאַרְצִי. 
25 Or, après que Ra’hel eut donné le jour à Yossef, Ya’akov dit à Laban: "Laisse moi partir, que je retourne chez moi, dans mon pays.
Seulement, Ya’akov ne veut pas rentrer sans s’être auparavant réconcilié avec ’Essav. Il prend donc un grand risque en envoyant ces messagers vers ’Essav car il ne sait pas ce que ça va déclencher. Il espère peut-être se réconcilier par correspondance… Mais en apprenant qu’’Essav arrive avec 400 hommes, il doit se dire qu’’Essav est encore fou de rage et qu’il ne veut vraiment pas se réconcilier. Voyant ça, il prend des mesures face au danger. Et finalement, les deux frères se réconcilient – peut-être pas complètement, mais en tout cas, il y a une démarche de réconciliation.
La question maintenant est : Pourquoi Ya’akov cherche-t-il à se réconcilier avec ’Essav maintenant ? Pourquoi juste à ce moment-là ? A priori, cela aurait pu être n’importe quand, mais la Torah précise que c’est la naissance de Yossef qui a déclenché ce désir chez Ya’akov de s’en retourner chez lui. Pourquoi ?
Le Rav J.D. Soloveitchik donne une explication à cela en disant que Ya’akov voyait en la naissance de Yossef la réalisation de la promesse de D.ieu à Avraham.
Personnellement, je pense qu’il y a un élément supplémentaire à ajouter à cela. Je pense qu’avec la naissance de Yossef, quelque chose a changé. Et c’est à cause de ce changement que Ya’akov a senti que c’était le moment d’aller à la rencontre de ’Essav.

Contexte de la naissance de Yossef

Après l’histoire des Doudayim, Léa enfanteIssakhar, puis Zévouloun. Ensuite, elle enfante une fille, Dina[37]. Le nom Dina, en hébreu, דִּינָה, rappelle le nom de Dan, en hébreu, דָּן. « Dan » est une expression de l’état d’esprit de Ra’hel avant les Doudayim. « Dina » serait une réparation du « Dan ».
Nos sages disent qu’à la place de Dina, Léa était censée avoir un garçon mais voulait laisser deux tribus à sa sœur. Elle aurait donc prié pour avoir une fille. Le nom de Dina pourrait venir d’une pensée de Léa : « Je me suis ‘auto-jugée’ (juger – « דָּן »), et je ne peux pas faire ça à ma sœur, je dois lui laisser deux tribus ». Dina serait donc le cadeau retour de Léa à Ra’hel pour lui avoir donné Issakhar.
Après la naissance de Dina, Ra’hel enfante Yossef. Donc Yossef naît après Issakhar, Zévouloun et Dina, trois enfants de Léa. On pourrait penser que Yossef aurait pu naître à la place de Issakhar, puisque la nuit des Doudayim, c’est Ra’hel qui aurait dûêtre avec Ya’akov. Mais ce n’est pas si sûr…
Pourquoi a-t-il fallu que toutes les Imaot fussent infertiles ? On dit qu’Hachem a fait les  Imaot infertiles parce qu’Il voulait leur Téfilot, parce qu’Il aime les Téfilot des Tsadikim[38]
Mais essayons de regarder la situation avec des notions de psychologie moderne. Si on pense à toute la tension qui régnait entre les deux sœurs à cause de cette fameuse nuit de mariage raté, ça pourrait suffire à rendre Ra’hel infertile… Et est-ce une simple coïncidence que Ra’hel a un enfant une fois seulement cette histoirerésolue et la tension,disparue ?

Chacun doit faire ce qu’il peut pour réparer la situation, MOI en premier

C’est après avoir trouvé un moyen de réparer sa propre contribution à la tension qui régnait entre elle et sa sœur que Ra’hel a pu avoir un enfant. Elle n’aurait pas pu avoir Yossef avant. Il fallait qu’elle ait donné Issakhar à Léa avant de pouvoir avoir Yossef. Et regardons pourquoi Ra’hel nomme son fils Yossef (Béréchit 30) :
כג וַתַּהַר, וַתֵּלֶד בֵּן; וַתֹּאמֶר, אָסַף אֱלֹקִים אֶת-חֶרְפָּתִי. 
23 Elle conçut et enfanta un fils; et elle dit: "D.ieu a effacé ma honte."
Nous avons déjà vu plus haut (Annexe 4) que Ra’hel fait référence ici à la honte que son père Lavan lui a causé en mettant Léa à sa place sous la ’Houpa. Ra’hel dit ici que c’est D.ieu lui-même qui, en lui donnant Yossef, a réparé le tort causé par son père. Que s’est-il passé ?
Ra’hel, en donnant Issakhar à Léa, a réparé sa propre contribution au terrible malaise causé par cette nuit empoisonnée. Mais si toutefois il reste, pour Ra’hel, un ressentiment à propos de cette nuit-là, quel est-il ? Elle doit probablement encore avoir du ressentiment à l’égard de son père : « Après tout, tout est de sa faute. Moi, j’ai fait ce que j’ai pu pour rétablir la situation entre ma sœur et moi, mais il n’en reste pas moins que mon père m’a trahie, et je l’ai encore en travers de la gorge… ». C’est là que D.ieu intervient et dit : « Laisse-moi réparer la faute causée par ton père. Je suis aussi ton Père, je suis ton Père qui est aux Cieux. Malheureusement, ton père est un roublard, et il ne viendra jamais s’excuser. Mais Je ne veux pas que tu restes avec un ressentiment constant à l’égard du ‘père’ toute ta vie. Ton père a fait ce qu’aucun père n’aurait fait à sa fille. À mon tour, je vais te donner ce qu’aucune fille ne pourrait espérer que son père lui donne. Tu es infertile, mais je vais te donner un enfant et racheter ainsi l’acte oD.ieux de ton père ».
‘Yossef’ ne devient possible qu’une fois que Ra’hel a fait sa propre part du travail pour rétablir la situation entre elle et Léa. Il y a donc, dans cette histoire, deux actions à mener pour que Ra’hel retrouve sa sérénité : Il faut que :
·         Ra’hel répare ce qu’elle a pu faire, qui soit à l’origine du malaise présent.
·         Son père répare ce qu’il lui a fait.
Par quoi commencer ?
On commence par soi-même. Tu te sens victime ? Alors trouve un moyen de te défaire de ce sentiment de victimisation. Le seul moyen de le faire est de revivre la scène de manière proactive. Alors, tu ne te sentiras plus victime. Une fois que TU as fais ce travail, D.ieu va sortir des nuages et réparer la part de responsabilité de ton père dans ce qui se passe.  Tu ne peux pas contrôler ton père, tu ne peux pas réparer ce qu’il a fait, mais D.ieu, lui, peut le faire, Il est Le Père. Mais D.ieu ne le fera qu’après que tu auras fait ta part du travail, qu’après que tu auras fait ce qu’il fallait pour perdre ce sentiment de victimisation.

Petite parenthèse – Yossef  a appris de sa mère

Yossef, quand il se trouve dans le puits, pense qu’il a été trahi par son père et par ses frères.[39]
Il se trouve dans la même situation que sa mère :
·         Trahi(e) par ses frères (sa sœur) ; et
·         Trahi par son père Ya’akov (Lavan).
 Tout comme Ra’hel dans cette situation, Yossef doit se sentir très vulnérable. Mais Ra’hel a eu la force de trouver une issue positive et de rétablir la situation. Yossef est le fils de cette rédemption. Il a, lui aussi, cette force de réparation.
Quand il se trouve face à la femme de Potiphar, alors qu’avec ses frères il a été victime quand on lui a pris son manteau, là, il choisit activement de laisser son manteau, et de se faire volontairement jeter dans le trou. Et, au lieu d’être victime du puits, il devient maître du puits. Il fait sa part du travail pour se défaire de ce sentiment de victimisationqu’il ressent à l’encontre de ses frères[40].
Alors vient la question de la responsabilité du père. C’est lui qui l’a envoyé voir ses frères. S’il ne l’avait pas envoyé, ils ne l’auraient pas jeté dans le puits. Mais bien avant que Ya’akov puisse revoir Yossef pour lui expliquer qu’il n’y était pour rien, pour s’expliquer etc, vient un homme qui le sort du trou, qui lui donne un nouveau manteau, qui le nomme, qui lui donne une épouse. C’est Par’o, le père de ses rêves.

Départ immédiat de Ya’akov

On a vu que l’histoire entre Ra’hel et Léa est une réplique, à de nombreux égards, de celle entre Ya’akov et ’Essav. 
À travers l’histoire des Doudayim, ces femmes ont enseigné à Ya’akov comment faire pour se réconcilier entre frères et sœurs.
La naissance de Yossef marque la fin de l’épisode douloureux qui tourmentait Ra’hel et Léa. En effet, Dina est le cadeau de Léa à Ra’hel, et Yossef indique la réparation du Père dans ce qui s’est passé. [41]
Et là, quand Yossef naît, Ya’akov s’éveille : « Je dois faire pareil. Je dois aller me réconcilier avec mon frère ».  C’est ça qui le pousse à aller à la rencontre de ’Essav.








[1] Il y a plusieurs manières possibles de voir ces versets : soit il s’agit d’une vision que Jérémie a eue à propos de Ra’hel, soit il s’agit de ce que Jérémie pense réellement, soit un mélange des deux. On ne sait pas.
[2] Tous les textes utiles se trouvent en Annexe 1.
[3] « בְּרָמָה » peut signifier « dans Rama », où Rama serait le nom d’un endroit, il peut aussi signifier « dans les Hauteurs », donc dans les Cieux.
[4] Le mot « מְבַכָּה » est la forme פִּעֵל du verbe « בַּכָה », « pleurer ». Or la forme פִּעֵל exprime une accentuation de l’action. Ici, cela signifie que les pleurs sont intenses. La forme simple, פַּעָל, du verbe aurait donné : « רָחֵלבֹּכָה ».
[5]Ra’hel ne pleure pas parce qu’elle est entrain de supplier D.ieu de faire revenir ses enfants. Elle pleure parce que ses enfants ne sont plus là. Ce sont des larmes de deuil, pas des larmes de supplication. D.ieu, en réponse à ces pleurs de deuil, dit à Ra’hel que ses enfants vont revenir.
[6] On pourrait suggérer qu’elle mérite un salaire pour avoir transmis les ‘Simanim’ – les signes – à Léa avant qu’elle ne se marie avec Ya’akov. Mais cette histoire ne se trouve que dans le Midrash, pas dans le Texte. On pourrait dire que c’est par ce qu’elle a permis la naissance de Issakhar et Zévouloun chez Léa. On pourrait dire que c’est pour l’histoire des Térafim– idoles – qu’elle a volées. Quoi que soit la réponse, Jérémie doit forcément nous donner un indice sur ce qu’elle a fait de si extraordinaire. 
[7] Notons que Mme Potiphar a effectivement une preuve époustouflante, mais ce à quoi il faut faire attention, c’est qu’il y a plus qu’une interprétation de cet objet qu’elle a entre les mains, et elle fait croire à la plus simple. De même que quand je vous montre mes travaux, les preuves textuelles sont là et irréfutables, mais restez critiques quant aux interprétations que j’en donne, parce qu’il y en a peut-être d’autres.
[8] Ce mot « מרר » apparaît dans Chemot 1:14 : « וַיְמָרְרוּ אֶת-חַיֵּיהֶם », « Ils leur rendirent la vie amère ». Mais la première fois que ce mot apparaît est dans Béréchit, dans la Paracha Vaye’hi.
[9] N.d.T. Les mots de la prophétie de Jérémie sont dans l’ordre inversement chronologique des évènements relatés : Potiphar, Pleurs de Ya’akov, Refus d’être consolé.
[10] Toutes les fois où le mot « אֵינֶנּוּ » signifie « n’est plus là » dans tous les cinq Livres du ’Houmach, il s’agit de Yossef : La première fois, c’est Réouven qui constate au puits que Yossef n’est plus là, la deuxième fois, c’est quand les frères disent au Prince d’Égypte qu’ils ignorent être Yossef (Béréchit 42:13): « וְהָאֶחָד אֵינֶנּוּ », « et l’autre n’est plus » ; la troisième fois, c’est quand les frères racontent ce dernier épisode àleur père (Béréchit 42:32) : « הָאֶחָד אֵינֶנּוּ », « l’un est perdu » ; et enfin, la dernière fois, c’est quand Ya’acov dit (Béréchit 42:36) : « יוֹסֵף אֵינֶנּוּ, וְשִׁמְעוֹן אֵינֶנּוּ », « Yossef a disparu, et Shimon a disparu ». Le mot « אֵינֶנּוּ  » s’apparente donc à Yossef.
[11] Pourquoi Jérémie n’aurait-il choisi que ces deux évènements de la vie de Yossef, à savoir, l’épisode avec la femme de Potiphar, et celui avec ses frères qui le jettent dans le puits ? Toute sa vie est dramatique ! Il semblerait en fait que Jérémie fasse référence de manière subtile à d’autres évènements de la vie de Yossef (cf. Annexe 2).
[12] Nous avons ici un parallèle inversé chronologiquement ce qui suggère l’idée d’un processus de rédemption, quelque chose qui a été brisé est entrain de se réparer. Les mots de Jérémie présentent la rédemption des pleurs de Ra’hel : toutes les blessures qu’elle a eues vont se cicatriser l’une après l’autre (de la plus superficielle à la plus profonde), avec la promesse de D.ieu.
[13] Il y a là aussi un parallèle avec les mots de Jérémie, où D.ieu a écouté la voix de Ra’hel. Jérémie semble dire : Ra’hel, tu penses que D.ieu t’a fait justice en te donnant Dan ? Tu te trompes. Justice te sera rendue quand tes enfants reviendront tu terrain ennemi, ce sera là, la justice : « כִּי יֵשׁ שָׂכָר לִפְעֻלָּתֵךְ ».
[14] Cette situation de deux sœurs en ‘lutte divine’ et en particulier le mot « יָכֹלְתִּי » rappelle la lutte de Ya’akov avec l’ange (Béréchit 32:29) : « כִּי-שָׂרִיתָ עִם-אֱלֹקִיםוְעִם-אֲנָשִׁים, וַתּוּכָל. », « car tu as jouté contre des puissances célestes et humaines et tu es resté fort. ». Ra’hel se trouve, ou se voit, dans une position parallèle à celle de Ya’akov qui a vaincu.
[15] N.d.T – Parker Brothers – Créateurs du Monopoly®
[16] C’est un peu comme chercher à savoir ce qu’était ‘l’arbre de la connaissance du bien et du mal’ : un figuier ? un pommier ? des gerbes de blé ? Peu importe. L’essence de l’histoire n’est pas là du tout. Il ne faut pas se tromper de question.
[17] Le mot « דוּדָאִים » apparaît dans Chir Hachirim écrit par le roi Salomon, et semble, là-bas, faire référence à une potion aphrodisiaque. Il y a cependant deux objections sur ce point. Voir Annexe 3. 
[18] La Torah précise que c’est Réouven, qui les apporte, c’est que c’est important qu’on le sache. « Premier-né » se dit « בְּכוֹר », qui donne naissance au mot « בִּכּוּרִים », voir plus loin. (N.d.T – C’est le premier cadeau de l’aîné, le tout premier que la mère reçoit de ses enfants, c’est quelque chose de très particulier.)  
[19] Cette interprétation n’est pas très connue parce qu’elle n’est pas très aguichante…
[20] N.d.T – Traduction française communément admise pour דוּדָאִים. Rav Fohrman disait en anglais « wildflowers », « fleurs sauvages » ou « fleurs des champs », il disait aussi « dandelions », « pissenlits ».
[21] Il s’agit là, à ce moment précis, d’un moment classique du type « הַדַעַתעֵץ ». Les règles du « הַדַעַתעֵץ », c’est qu’on n’a jamais la vision de Parker de ce qui se passe sur le plateau de jeu, on n’est que la petite chaussure ou le petit chapeau. Et la clef pour atteindre la paix, c’est de comprendre qu’on n’a pas la perspective de Parker. Ra’hel ici a compris – après avoir pensé que D.ieu était de son côté quand Naphtali est né – qu’elle ne détenait pas, à elle seule, l’unique vérité de ce qui se tramait jusqu’alors.
[22]Ya’akov savait pourquoi Lavan organisait une fête, Ra’hel aussi savait. Enfin… Elle croyait que c’était pour son mariage. Seule Léa ne comprenait pas pourquoi son père organisait une fête jusqu’au moment où il vient vers elle, rayonnant, et lui dit : « Ma fille adorée, j’ai une excellent nouvelle pour toi. Ce soir, c’est ton mariage. Voilà une robe blanche, demande à Zilpa de t’aider à l’enfiler ». Imaginez la déception de Léa quand le lendemain matin, Ya’akov lui annonce qu’elle n’est pas la femme avec qui il était censé se marier.
[23] Le commentaire de Ramban sur les mots « הַמְעַט קַחְתֵּךְ אֶת-אִישִׁי » va dans ce sens.
[24] Même si on considère que Ra’hel avait donné les simanim à Léa, elle devait quand même avoir le cœur lourd de ce qui s’était passé malgré elle.
[25] L’histoire des Mandragores se trouve au centre d’un grand chiasme qui relate la vie de Ya’akov. Voir Annexe 4.
[26] Léa ne voit pas dans l’enfant qui naît de cette nuit un  cadeau de Ra’hel. Elle dit (Béréchit 30) :
יח וַתֹּאמֶר לֵאָה, נָתַן אֱלֹקִים שְׂכָרִי, אֲשֶׁר-נָתַתִּי שִׁפְחָתִי, לְאִישִׁי; וַתִּקְרָא שְׁמוֹ, יִשָּׂשכָר. 
18 Et Léa dit "Le Seigneur m'a récompensée d'avoir donné mon esclave à mon époux." Et elle lui donna le nom d'Issakhar.
Quel rapport ? On dirait qu’elle n’a rien compris… (N.d.T – Personnellement, je dirais que cette nuit avec Ya’akov lui permet de reprendre sa place à elle, et c’est avec la naissance de Dina que Léa commence à donner de la place à Ra’hel. Avant de donner de la place à l’autre, s’assurer qu’on a la nôtre. Voir Annexe 5)
[27] N.d.T – Je serais tentée de dire que Ya’akov avait aussi un travail à faire sur la nuit empoisonnée, car elle a provoqué en lui une certaine manière de voir Léa et Ra’hel. Et la nuit des Doudayim lui aurait permis de le faire, à lui aussi. En fait, ce serait une rédemption à trois…
[28] Il est intéressant de noter que c’est seulement après cet épisode que Yossef naît. Voir Annexe 5.
[29] Vous trouverez plus de détails sur cette explication dans le livre « Un éléphant dans la pièce » - éd. Lichma, p. 62 et suivantes.
[30] N.d.T – Je vous renvoie au cours : La vente de Yossef 6 – La femme de Potiphar où tout est détaillé.
[31] L’épreuve avec la femme de Potiphar ressemble à l’épreuve de ‘l’arbre de la connaissance’ : « J’ai droit à tout, sauf à une chose, et c’est ça qui fait que je ne suis pas le Maître ».
[32] Notons que les retrouvailles de Yossef avec ses frères se font dans un contexte de famine. Ces retrouvailles sont donc une double bonne nouvelle : reconstitution de la famille, et accès à des vivres. Ceci double l’intensité de l’émotion de Ra’hel.
[33] Vous trouverez une présentation de quelques éléments de ce chiasme dans le livre « Un éléphant dans la pièce » - éd. Lichma, p. 169 et suivantes.
[34] Pour approfondir la notion de chiasme et la manière de les interpréter dans la Torah, je vous renvoie  au livre Un Éléphant dans la Pièce, Ed. Lichma, dans l’Introduction à la Méthodologie.
[35] Remarquons que ces mots douloureux « non seulement tu m’as pris …, mais en plus, tu veux me prendre… », Léa les dit à Ra’hel directement. ’Essav, lui, s’adresse non pas à son frère rival, mais à son père. L’histoire aurait été tellement différente s’il s’était adressé directement à Ya’akov, parce qu’alors, ils auraient eu la possibilité de trouver un moyen de se réconcilier sans avoir à attendre 21 ans. Léa a été très courageuse de dire ces mots durs à Ra’hel. En effet, elle aurait très bien pu donner quelques Doudayimà Ra’hel sans rien dire, mais pleine de rage intérieurement, et aller, le soir, s’épancher à Zilpa qui l’aurait embaumée. Et, après ces mots coléreux de Léa, Ra’hel, répond héroïquement par des mots de réconciliation. Et, alors que le marché entre les frères initie la mésentente entre eux, celui qui est conclu entre Ra’hel et Léa met fin à leur dissension. 
[36] Les lettres du mot « מִדּוּדָאֵי » sont les mêmes que celles du mot « אָדֹם », mais à l’envers. Le double « ד » de « דוּדָאִים » viendrait de la répétition du mot « אָדֹם  » dans le verset (Béréchit 25:30) : « הַלְעִיטֵנִי נָאמִן-הָאָדֹם הָאָדֹם הַזֶּה » (Ceci va bien avec l’idée qu’une double consone renforce le sens du mot). D’où la question : les « דוּדָאִים » seraient-elles des fleurs rouges ?...
Ce verset est en parallèle avec (Béréchit 30:14) : « תְּנִי-נָא לִי, מִדּוּדָאֵי בְּנֵךְ ». Les expressions « הַלְעִיטֵנִי נָא » et « תְּנִי-נָא לִי » sont consonantes, ce qui renforce le rapprochement.
[37] N.d.T – Il est curieux de noter que pour Dina, le texte n’explique pas pourquoi Léa la nomme ainsi. 
[38] N.d.T – Vu comme ça, sans explication plus approfondie, cette manière de faire paraît un peu sadique…
[40] C’est une raison supplémentaire qui fait que Ra’hel aurait pleuré de joie à ce moment-là.
[41] N.d.T – D’abord, Rachel donne de la place à Léa en lui offrant la nuit avec Ya’akov. Ensuite, Léa donne de la place à Rachel, plus tard, quand elle prie pour avoir une fille et donne naissance à Dina. Enfin, le Père donne de la place à Rachel en lui donnant Yossef. Question : le père a aussi causé du tort à Léa, et à Ya’akov. Quand cela est-il réparé ?

1 commentaire:

  1. Quelle vision magnifique de cette épisode ! Merci pour la rédaction exceptionnelle, j'avais manqué ce cours à Paris, je suis heureuse de pouvoir le retrouver si bien retranscrit!

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