jeudi 30 janvier 2014

Le 2ème Acte : L'Idole de Mikha

Ce cours fait suite à notre étude sur le mékalel intitulée « La ColèreAveugle – L’homme qui avait maudit D.ieu ». Nous étions restés sur un air d’inachevé. En effet, s’il est vrai que le mékalel a eu un comportement inacceptable, celui de Moché et de la tribu de Dan soulèvent au moins un questionnement.

Nous avions demandé : Moché, ne pouvait-il rien pour cet homme ? Ne pouvait-il pas lui trouver un arrangement ? Moché a été dur de lui donner la sentence froide sans lui proposer de l’aider, non ?

De même pour cet homme de la tribu de Dan, la tribu de Dan dans son ensemble, en tant que société, ne pouvaient-ils pas trouver une solution à ce problème, autre que le conflit et les tribunaux ?


Nous avions également justifié le fait que la parfaite accusation contre Moché provenait de son propre beau-père, Yitro. Celui-ci avait accueilli Moché l’étranger à Midiane, et l’avait inséré dans la société. De plus, alors que Yitro ne fait pas partie du peuple d’Israël, Moché avait insisté pour qu’il reste avec eux dans le camp : il lui avait bien trouvé une place. Alors pourquoi pas pour le mékalel ?

Mais je vous avais rassurés en vous annonçant qu’il y avait une sorte de deuxième acte à cette histoire de mékalel qui se déroule plusieurs dizaines d’années plus tard. C’est histoire de l’Idole de Mikha (Choftim, 17-18) que je vous avais demandé de lire attentivement en gardant en tête les histoires du mékalel ainsi que celle de Moché chez Yitro (Chémot 2:11-22). Nous allons à présent relire ce passage et relever tout ce qui nous rappelle le mékalel.

Des résonnances de blasphème


Nous allons lire l’histoire dans son ensemble (Choftim, 17-18).

Mikha et son idole

Analysons les premiers versets de cette histoire de l’Idole de Mikha (Choftim 17:1-6).

א וַיְהִי-אִישׁ מֵהַר-אֶפְרָיִם, וּשְׁמוֹ מִיכָיְהוּ
1 Il y avait dans la montagne d’Ephraïm un homme nommé Mikha.

Le nom de Mikha lorsqu’il est présenté pour la première fois est quelque peu modifié. La différence entre « מִיכָיְהוּ » et « מִיכָה » sont les lettres qui composent une partie du nom de D.ieu.

ב וַיֹּאמֶר לְאִמּוֹ אֶלֶף וּמֵאָה הַכֶּסֶף אֲשֶׁר לֻקַּח-לָךְ, ואתי (וְאַתְּ) אָלִית וְגַם אָמַרְתְּ בְּאָזְנַי, הִנֵּה-הַכֶּסֶף אִתִּי, אֲנִי לְקַחְתִּיו; וַתֹּאמֶר אִמּוֹ, בָּרוּךְ בְּנִי לַה׳
2 Il dit un jour à sa mère : "Les mille-cents pièces d’argent qu’on t’a dérobées, vol dont tu as maudit l’auteur, et cela en ma présence, sache que cet argent est en ma possession ; c’est moi qui l’ai pris." La mère répondit : "Que mon fils soit béni de D.ieu!"

Mikha avoue à sa mère qu’il est le voleur qu’elle avait maudit. Quelqu’un lui avait dérobé son argent, mais elle ne savait pas que c’était son fils, et elle avait maudit son voleur. Alors sa mère, immédiatement, le bénit. Elle souhaite, par cela, effacer l’effet de la malédiction qu’elle avait proférée – la malédiction et la bénédiction étant des antagonistes.

Elle lui dit donc, en quelques sortes : « Non, non, toi, tu n’es pas maudit ; toi, tu es bénit ». Mais, lui, dans ces mots, fait penser le contraire, comme on va le voir tout de suite. En effet, nous avons à faire dans ce verset à ce qu’on appelle un keri/ketiv. Il s’agit de mots qui sont écrits d’une certaine manière mais qui sont prononcés différemment, ce qui leur donne parfois un autre sens.

Dans notre verset, on lit : « וְאַתְּ אָלִית » qui signifie « tu as maudit ». Or, il est écrit « ואתי אָלִית » qui veut dire « tu m’as maudit ». Peut-être que c’est un double sens dans la bouche de Mikha, comme s’il disait à sa mère : « tu voulais maudire le voleur, en pensant que ce n’était pas moi, mais c’est moi le voleur, c’est donc moi que tu as maudit ».

ג וַיָּשֶׁב אֶת-אֶלֶף-וּמֵאָה הַכֶּסֶף, לְאִמּוֹ; וַתֹּאמֶר אִמּוֹ הַקְדֵּשׁ הִקְדַּשְׁתִּי אֶת-הַכֶּסֶף לַה׳ מִיָּדִי לִבְנִי, לַעֲשׂוֹת פֶּסֶל וּמַסֵּכָה, וְעַתָּה, אֲשִׁיבֶנּוּ לָךְ
3 Il rendit les onze cents pièces d’argent à sa mère, qui lui dit : "J’avais destiné cet argent à D.ieu, voulant le remettre à mon fils pour qu’on en fît une idole en métal ; je te prie donc de le reprendre."

A ce moment là, elle lui annonce autre chose : elle avait promis d’offrir une idole en l’honneur de D.ieu[1] avec cet argent. Elle lui propose de reprendre l’argent afin de concrétiser sa promesse.

Marquons déjà une pause ici. La mère de Mikha dit deux choses :
-          Elle bénit son fils afin d’annuler la malédiction qu’elle avait proféré
-          Elle lui propose de construire une idole.

Ces deux choses sont intimement liées à ce qu’elle avait promis lorsqu’elle avait perdu son argent, à savoir :
-          Elle a maudit son voleur
-          Elle a promis qu’elle construirait une idole avec l’argent si elle le retrouvait.

Finalement, est-ce que la malédiction a eu un effet ? Bien sûr que oui, il n’y a qu’à continuer la lecture de ce passage et voir la déchéance de Mikha. C’est d’ailleurs une des leçons de cette histoire : on ne s’amuse pas avec des malédictions, ce sont des choses sérieuses. Mais comment cette déchéance est-elle arrivée ? A travers l’idole qu’elle s’était promis de fabriquer si elle retrouvait l’argent… Ironiquement, c’est parce qu’elle a pu réaliser sa promesse que la malédiction a pu se réaliser.

ד וַיָּשֶׁב אֶת-הַכֶּסֶף, לְאִמּוֹ; וַתִּקַּח אִמּוֹ מָאתַיִם כֶּסֶף וַתִּתְּנֵהוּ לַצּוֹרֵף, וַיַּעֲשֵׂהוּ פֶּסֶל וּמַסֵּכָה, וַיְהִי, בְּבֵית מִיכָיְהוּ
4 Il restitua l’argent à sa mère. Celle-ci prit deux cents pièces d’argent et les donna à l’orfèvre, qui en fit une idole en métal, laquelle fut placée dans la maison de Mikha.

Le projet se concrétise, et la maison de Mikha devient un lieu de culte idôlatre.

ה וְהָאִישׁ מִיכָה, לוֹ בֵּית אֱלֹהִים; וַיַּעַשׂ אֵפוֹד, וּתְרָפִים, וַיְמַלֵּא אֶת-יַד אַחַד מִבָּנָיו, וַיְהִי-לוֹ לְכֹהֵן
5 Cet homme, Mikha, possédant une maison de dieux, fit aussi fabriquer un éphod et des idoles ; puis il consacra l’un de ses fils et l’employa comme prêtre.

Tout culte qui se respecte a un prêtre à sa tête. C’est désormais chose faite pour Mikha qui nomme un de ses fils à cette place.

ו בַּיָּמִים הָהֵם, אֵין מֶלֶךְ בְּיִשְׂרָאֵלאִישׁ הַיָּשָׁר בְּעֵינָיו, יַעֲשֶׂה.  {פ}
6 En ce temps-là, il n’y avait point de roi en Israël, et chacun agissait à sa guise.

Ainsi se termine le premier paragraphe. Cette phrase se répète deux fois, tel un refrain, dans l’histoire. Elle a l’air justement de séparer les paragraphes.
Quel intérêt a-t-on de savoir absolument qu’il n’y avait pas de roi en Israël et que chacun faisait ce que bon lui semblait ? Je ne sais pas trop, mais peut-être est-ce un rappel de l’épisode du mékalel dont on mentionne uniquement la mère, et pas le père, et où il n’y avait donc qu’une figure maternelle,  et pas de figure paternelle. Ici aussi, on ne connaît pas le père de Mikha, seule sa mère est présentée. Et au niveau du royaume d’Israël dans son ensemble, il n’y a pas de roi, i.e. il n’y a pas de figure paternelle.

Un Lévi comme Cohen

Continuons notre analyse des versets suivants (Choftim 17:7-18:1).

ז וַיְהִי-נַעַר, מִבֵּית לֶחֶם יְהוּדָה, מִמִּשְׁפַּחַת, יְהוּדָה; וְהוּא לֵוִי, וְהוּא גָר-שָׁם
7 Il y avait alors un jeune homme de Beth-Le’hem-Yéhouda, de la famille de Yéhouda ; il était un Lévi et habitait là-bas.

Voici un nouveau personnage. C’est un Lévi, et on nous dit « וְהוּא גָר-שָׁם » que l’on traduit par « il séjournait là-bas ». A qui fait penser ce personnage ? Si vous avez lu attentivement le passage qui traite du passage de Moché chez Yitro (Chémot 2:11-22) alors ces mots doivent résonner en vous… Comment s’appelait le fils de Moché ? Il s’appelait Guershom. Que signifie ce nom ? Voici la réponse (Chémot 2:22) :
וַתֵּלֶד בֵּן, וַיִּקְרָא אֶת-שְׁמוֹ גֵּרְשֹׁםכִּי אָמַר--גֵּר הָיִיתִי, בְּאֶרֶץ נָכְרִיָּה
Elle eut un enfant, et il l’appela Guershom, car il dit : "J’ai été étranger dans une terre étrangère".
Ce personnage fait bel et bien penser à Moché. Il est issu de la tribu de Lévi mais ne séjourne pas avec la tribu de Lévi, il vit en terre étrangère. Où vit-il ? Dans le territoire de Yéhouda, dont il est aussi originaire. Comment est-ce possible de provenir de deux tribus ? Il s’agit forcément du fruit d’un mariage mixte entre deux tribus : Lévi et Yéhouda. Son père est un Lévi et sa mère appartient à la tribu de Yéhouda.

Tiens, un mariage mixte. Cela ne vous rappelle-t-il rien ?
Mais oui, le mékalel. Ce Lévi est en train de rejouer le rôle du mékalel. Lui aussi est issu d’un mariage mixte. Et vous savez quoi ? Lui aussi n’a pas de territoire où s’installer, comme il le dit dans les versets suivants.

ח וַיֵּלֶךְ הָאִישׁ מֵהָעִיר, מִבֵּית לֶחֶם יְהוּדָה, לָגוּר, בַּאֲשֶׁר יִמְצָא; וַיָּבֹא הַר-אֶפְרַיִם עַד-בֵּית מִיכָה, לַעֲשׂוֹת דַּרְכּוֹ
8 Cet homme quitta sa ville, Beth-Le’hem-Yéhouda, pour s’établir là où il pourrait ; dans le cours de son voyage, il arriva à la montagne d’Ephraïm, près de la maison de Mikha.
ט וַיֹּאמֶר-לוֹ מִיכָה, מֵאַיִן תָּבוֹא; וַיֹּאמֶר אֵלָיו לֵוִי אָנֹכִי, מִבֵּית לֶחֶם יְהוּדָה, וְאָנֹכִי הֹלֵךְ, לָגוּר בַּאֲשֶׁר אֶמְצָא
9 Mikha lui demanda : "D’où viens-tu?" Il répondit : "Je suis un Lévi, de Beth-Le’hem-Yéhouda, et je voyage pour m’établir où je pourrai."

Il n’a pas où habiter. Puisque son père n’est pas de Yéhouda, il a été renvoyé par la tribu de Yéhouda. Et comme la tribu de Lévi est la seule tribu qui n’a pas vraiment de territoire[2], ce pauvre homme se retrouve sans endroit où s’installer.

Cet homme rencontre Mikha, et ils établissent une relation, comme suit.

י וַיֹּאמֶר לוֹ מִיכָה שְׁבָה עִמָּדִי, וֶהְיֵה-לִי לְאָב וּלְכֹהֵן, וְאָנֹכִי אֶתֶּן-לְךָ עֲשֶׂרֶת כֶּסֶף לַיָּמִים, וְעֵרֶךְ בְּגָדִים וּמִחְיָתֶךָ; וַיֵּלֶךְ, הַלֵּוִי
10 "Eh bien ! lui dit Mikha, demeure avec moi, sers-moi de père et de prêtre, et je te donnerai dix pièces d’argent par an, l’habillement complet et la nourriture." Et le Lévi y alla.
יא וַיּוֹאֶל הַלֵּוִי, לָשֶׁבֶת אֶת-הָאִישׁ; וַיְהִי הַנַּעַר לוֹ, כְּאַחַד מִבָּנָיו
11 Il consentit donc à demeurer chez cet homme, qui traita le jeune homme comme un de ses enfants.
יב וַיְמַלֵּא מִיכָה אֶת-יַד הַלֵּוִי, וַיְהִי-לוֹ הַנַּעַר לְכֹהֵן; וַיְהִי, בְּבֵית מִיכָה
12 Mikha installa le Lévi, de sorte que ce jeune homme lui servît de prêtre ; et il resta dans la maison de Mikha.
יג וַיֹּאמֶר מִיכָה--עַתָּה יָדַעְתִּי, כִּי-יֵיטִיב ה׳ לִיכִּי הָיָה-לִי הַלֵּוִי, לְכֹהֵן.  {פ}
13 Alors Mikha dit : "Je suis assuré maintenant que D.ieu  me fera du bien, puisque j’ai pu avoir un Lévi pour prêtre."

Comment décrire ou qualifier la relation entre Mikha et ce Lévi ?

Il y a quelque chose de contradictoire dans cette relation. D’un côté, Mikha considère le Lévi comme son « père » et son « prêtre ». Mais d’un autre côté, c’est lui qui le nourrit, qui s’occupe de lui, il a donc une relation de supériorité sur ce prêtre qui, dit le texte, fut traité « comme l’un de ses enfants »…

Résumons. Ce Lévi est un homme qui est parti de là où il habitait, qui ne sait pas où aller, il est étranger. Et là, une personne, Mikha, l’accueille, lui donne un endroit où s’installer, un travail, une place dans la société…

Qu’est-ce que cela vous rappelle ?

Eh bien, c’est Moché et Yitro. Moché aussi n’avait pas où aller, il était en fuite de son pays, l’Egypte. Et là, Yitro l’a accueilli, lui a donné du travail, une femme, une place…

Mais les ressemblances ne s’arrêtent pas là. La manière dont le texte exprime le consentement du Lévi à rester auprès de Mikha est plutôt rare (Choftim 17:11) :
וַיּוֹאֶל הַלֵּוִי לָשֶׁבֶת אֶת-הָאִישׁ; וַיְהִי הַנַּעַר לוֹ, כְּאַחַד מִבָּנָיו.
Le Lévi consentit à demeurer chez cet homme ; le jeune Lévi fut pour lui comme l’un de ses enfants.
Cette manière d’indiquer le consentement n’apparaît qu’une seule autre fois dans le Tanakh. L’autre fois, c’est lorsque Moché consent à rester chez son beau-père (Chémot 2:21) :
וַיּוֹאֶל מֹשֶׁה לָשֶׁבֶת אֶת-הָאִישׁ; וַיִּתֵּן אֶת-צִפֹּרָה בִתּוֹ, לְמֹשֶׁה.
Moché consentit à demeurer chez cet homme ; il donna [en mariage] Tsipora sa fille à Moché.
Quelle est la relation entre Moché et Yitro ? Qui joue le rôle du père, et qui joue celui de l’enfant ?
On retrouve aussi une ambivalence dans la relation entre Moché et Yitro. En effet, d’un côté, c’est Yitro qui accueille, nourrit, s’occupe de Moché. Mais d’un autre côté, c’est Moché qui reçoit la révélation divine, c’est lui qui devient le "prêtre", en quelques sortes, de D.ieu. En ce sens, il a une position de supériorité vis-à-vis de Yitro.

En conclusion, l’épisode de Lévi avec Mikha est une sorte de ‘remake’ de l’histoire de Moché chez Yitro.

Ce paragraphe se termine aussi par le même « refrain » :

א בַּיָּמִים הָהֵם, אֵין מֶלֶךְ בְּיִשְׂרָאֵל (...)
1 En ce temps-là, Israël n’avait point de roi (…)

Si l’on fait une petite rétrospective, le premier paragraphe avait mis en scène une malédiction devenue blasphème, le deuxième paragraphe a mis en scène des sortes de ‘remake’ de Moché et du mékalel. Qui manque-t-il à l’appel ?

La tribu de Dan entre en scène

Il ne manquait plus qu’eux pour compléter le tableau, voici l’apparition de la tribu de Dan dans cette histoire (Choftim 18:1) :

א (...) וּבַיָּמִים הָהֵם, שֵׁבֶט הַדָּנִי מְבַקֶּשׁ-לוֹ נַחֲלָה לָשֶׁבֶת--כִּי לֹא-נָפְלָה לּוֹ עַד-הַיּוֹם הַהוּא בְּתוֹךְ-שִׁבְטֵי יִשְׂרָאֵל, בְּנַחֲלָה.  {פ}
1 (…) et en ce même temps, la tribu des Dan se mettait en quête d’une possession pour s’y établir, car jusque-là elle n’avait pas obtenu en partage un territoire, comme les autres tribus d’Israël.

Tiens, tiens, la tribu de Dan n’a pas de territoire où s’installer. Toutes les autres tribus ont déjà hérité de leur territoire, mais celui de la tribu de Dan était difficile à conquérir ; la tribu entière est donc sans endroit où habiter… Ce que les gens de Dan avaient causé à un individu lors de l’épisode du mékalel retombe sur eux ; c’est maintenant eux, à l’échelle de la tribu, qui font l’expérience de l’absence de patrie.

Voici la suite du passage en résumé.
La tribu de Dan envoie des explorateurs dans la terre qu’ils doivent conquérir. En chemin, ils se retrouvent chez Mikha. Ils demandent alors au prêtre, le Lévi, si leur mission réussira. Celui-ci fait appel à ses idoles et leur confirme que tout se passera bien pour eux. Ils proposent alors au Lévi de les suivre en prenant avec lui l’idole de Mikha et de devenir le prêtre de toute la tribu de Dan, ce qu’il accepte. Plus tard, ils conquerront leur territoire et ils serviront cette idole pendant des centaines d’années.

L’histoire se termine comme suit (Choftim 18:30-31) :

ל וַיָּקִימוּ לָהֶם בְּנֵי-דָן, אֶת-הַפָּסֶל; וִיהוֹנָתָן בֶּן-גֵּרְשֹׁם בֶּן-מְנַשֶּׁה הוּא וּבָנָיו, הָיוּ כֹהֲנִים לְשֵׁבֶט הַדָּנִי, עַד-יוֹם, גְּלוֹת הָאָרֶץ
30 Les enfants de Dan érigèrent l’idole à leur usage ; et Yonathan, fils de Gershom, fils de Ménaché, ainsi que ses descendants, servirent de prêtres à cette tribu jusqu’au jour où elle fut exilée du pays.
לא וַיָּשִׂימוּ לָהֶם, אֶת-פֶּסֶל מִיכָה אֲשֶׁר עָשָׂה, כָּל-יְמֵי הֱיוֹת בֵּית-הָאֱלֹקִים, בְּשִׁלֹה.
31 Ils conservèrent donc l’idole fabriquée par Mikha, tout le temps que la maison de D.ieu resta à Silo.

Le mékalel était resté anonyme jusqu’au bout. Le nom du Lévi, par contre, est dévoilé à la toute fin de l’histoire. Il s’agit de Yéhonathan, fils de Guershom, fils de Ménaché.
On connaît un certain Guershom, dont on a parlé plus haut. Il s’agit du fils de Moché. Est-ce de lui dont il s’agit ici ? En tout cas, le père de ce Guershom s’appelle Ménaché et non Moché…

Pourtant, si vous prenez la version massorétique du texte, le mot « Ménaché » est écrit bizarrement, la lettre noun paraît être en l’air, comme si elle n’appartenait pas au mot : « מְנַשֶּׁה »… Si on enlève cette lettre étrange, il reste le mot « מֹשֶׁה » - Moché !

En réalité, nos Sages[3] disent qu’il s’agit véritablement de Moché, mais que, pour préserver l’image de Moché, le scribe à rajouter une lettre, Moché devenant ainsi Ménaché… Le Lévi, prêtre idolâtre était le petit-fils de Moché !

Conclusion


Cette histoire de l’idole de Mikha est un véritable acte II, une suite de l’histoire du mékalel.

Mikha et son idole

En effet, rappelez-vous la suite d’évènements dans l’histoire du mékalel :
1.     La tribu de Dan ne veut pas donner de place au mékalel
2.    Moché ne trouve pas ou ne propose pas de solution et le laisse dans son désarroi
3.    Le mékalel blasphème

Dans l’histoire de l’idole de Mikha, la tribu de Dan et le petit-fils de Moché se retrouvent dans la même situation que le mékalel :
1.     Le petit-fils de Moché n’a pas où habiter car la tribu de Yéhouda ne lui donne pas de place
2.    La tribu de Dan n’a pas de territoire où s’installer
3.    Tous : la tribu de Dan avec à leur tête le petit-fils de Moché vont blasphémer pendant des centaines d’années.

La question qui reste est : que fait-on de tout cela ? Qu’est-ce que cela nous apprend ?


Une question de degré

Je ne suis pas tout à fait sûr de ce que j’avance maintenant. Cependant, je pense que si le blasphémateur a été condamné à mort par D.ieu, c’est qu’il le méritait, c’est qu’il aurait pu agir autrement. Moché et la tribu de Dan, à la limite, ont été complices de ce qui s’est passé.

Reprenons l’exemple de l’école de Columbine où des adolescents se sentant rejetés par leur classe ont perpétré un massacre, tuant des dizaines de personnes se trouvant dans l’école.
A la question : « Qui est responsable ? », il y a eu des tas de réponses, des débats interminables. Certains pensaient que c’était lié à la violence des jeux vidéos, d’autres au manque d’intégration de ces adolescants dans leur classe, remettant en cause le chef d’établissement, d’autres encore ont voulu accuser les médias, les films etc.
Pour ma part, je crois qu’ils avaient tous raison. Tout le monde est responsable de ce qui s’est passé. Mais tout le monde n’est pas responsable au même degré. Et c’est cette question de degré qui change tout, qui fait qu’on ne pourra pas envoyer Hollywood en prison. D’un autre côté, le fait qu’Hollywood n’aille pas en prison ne signifie pas pour autant qu’il n’avait aucune responsabilité…

Du libre arbitre

J’aimerais présenter le problème selon un autre point de vue. Comment peut-on encore croire aujourd’hui au libre arbitre ? En effet, nous sommes tous conditionnés par nos parents, notre société, notre entourage, les médias etc.

Nos Sages disent que, quarante jours avant la naissance, une voix céleste déclare : « Cet enfant sera pauvre ou riche, patient ou nerveux, beau ou laid etc. ». Mais la seule chose que la voix céleste ne décide pas est : sera-t-il un homme tsaddik – juste ou un homme racha’ – mauvais ? Ce choix là reste entre les mains de chacun.

Je crois que ce que les Sages veulent dire, c’est que tout le monde vit dans un contexte, avec des données prédéfinies, que l’on pourrait appeler dans un langage moderne : les gènes. Mais cela n’a rien à voir avec le libre arbitre. Le libre arbitre s’exerce justement par-dessus ces données prédéfinies, c’est là l’espace où l’homme jouit de sa liberté d’agir.

En somme, chacun a ses problèmes, chacun a ses situations où il se doit d’exercer son libre arbitre afin d’être un homme juste et non un homme mauvais.

Quelle leçon en tirer ?

Je crois que si quelqu’un rate le coche et fait le mauvais choix et en vient à rater sa vie, alors, il pourra s’en vouloir et ce sera tant pis pour lui. Mais si j’ai participé de quelque manière que ce soit à ce que sa vie soit un cauchemar, alors se présentera à moi, ou à ma descendance, une situation similaire, avec le même type d’épreuve que celle que cet homme a vécue.

D’un autre côté, quel comportement le mékalel aurait-il dû avoir ? Lorsqu’on lit le Midrash, on a l’impression qu’il n’y avait aucune alternative, aucune solution pour que cet homme ait une place dans la société, ait un endroit pour vivre. Y-avait-il une solution ? Comment aurait-il dû s’y prendre ?

C’est pour cela que je voudrais étudier avec vous deux autres histoires du Tanakh où des personnes ont eu des épreuves semblables à celles du mékalel mais qui, elles, ont trouvé d’autres solutions.

Ces deux histoires, que j’aimerais que vous prépariez pour la prochaine fois, sont :
-          Les filles de Tsélof’’had (Bamidbar 27:1-11)
-          La naissance de Shmouel (Shmouel I 1)

A la prochaine !




Traduit librement par Naty à partir d’une série de conférences données par Rav Fohrman. Le titre original de la série est : « Is it Kosher to argue ? ».


[1] Il peut paraître étonnant de vouloir montrer son attachement à D.ieu en construisant des idoles. Disons qu’en ces temps là, il y avait quelques confusions dans le service de D.ieu.
[2] Lors du partage de la terre d’Israël, la tribu de Lévi n’a pas eu un territoire comme les autres tribus. Elle a seulement eu droit à certaines villes.
[3] N.d.T – cf. Baba Batra 99b. Si vous y jetez un coup d’oeil, vous verrez que toutes les histories dont nous avons parlé sont citées (mékalel, Yitro, Mikha) ! Il faut croire que nous ne sommes pas les premiers à avoir noté les parallèles entre ces histoires…

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