dimanche 11 décembre 2011

La Vente de Yossef - Episode 1 - Qu'avaient-ils en tête?

Il est naturel de vouloir comprendre ce qui a poussé Ya’akov à montrer un amour plus important vis-à-vis de Yossef, ce qui a poussé les frères de Yossef à tant de le haïr, ce qui a poussé Ya’akov à l’envoyer à la rencontre de ses frères alors qu’il connaissait le contexte dangereux de cette rencontre. Bref, il est naturel de se demander : « Mais comment cela a-t-il pu arriver ? Qu’avaient-ils en tête lors de cet épisode tragique ? ».

Voilà une lecture intéressante que propose Rav Fohrman se basant principalement sur plusieurs Rachi sur l’épisode de la vente de Yossef.


Lisons le prologue de la vente de Yossef au début de la Paracha Yayéchev et soulevons les premières questions/remarques que le texte suggère.

     Préliminaires au drame

א וַיֵּשֶׁב יַעֲקֹב, בְּאֶרֶץ מְגוּרֵי אָבִיו--בְּאֶרֶץ, כְּנָעַן.
1 Ya’akov s’installa dans le pays des pérégrinations de son père, dans le pays de Cana’an.
Ce premier verset ne véhicule a priori aucun message spécial. Nous verrons plus tard l’importance qu’il revêt.
ב אֵלֶּה תֹּלְדוֹת יַעֲקֹב, יוֹסֵף בֶּן-שְׁבַע-עֶשְׂרֵה שָׁנָה הָיָה רֹעֶה אֶת-אֶחָיו בַּצֹּאן, וְהוּא נַעַר אֶת-בְּנֵי בִלְהָה וְאֶת-בְּנֵי זִלְפָּה, נְשֵׁי אָבִיו; וַיָּבֵא יוֹסֵף אֶת-דִּבָּתָם רָעָה, אֶל-אֲבִיהֶם.
2 Voici l'histoire de la descendance de Ya’akov. Yossef, âgé de dix-sept ans, menait paître les brebis avec ses frères[1]. Passant son enfance avec les fils de Bilha et ceux de Zilpa, épouses de son père, Yossef débitait sur leur compte des médisances à leur père.
Voilà le premier verset qui nous introduit au personnage de Yossef. Il a alors dix-sept ans, il fait paître les troupeaux avec ses frères. Et on nous dit qu’il rapportait d’eux du mal à son père.
Il y a, dans ce verset, une question qui saute aux yeux: Où sont les frères ? La descendance de Ya’akov se résumerait-elle à Yossef ?

ג וְיִשְׂרָאֵל, אָהַב אֶת-יוֹסֵף מִכָּל-בָּנָיו--כִּי-בֶן-זְקֻנִים הוּא, לוֹ; וְעָשָׂה לוֹ, כְּתֹנֶת פַּסִּים.
3 Or Israël (autre nom de Ya’akov) préférait Yossef à ses autres enfants parce qu'il était le fils de sa vieillesse; et il lui avait fait une tunique à rayures.
Ya’akov aime son fils Yossef ; il l’aime plus que ses autres fils parce qu’il est un « בֶן-זְקֻנִים » pour lui. Cette expression est difficile à traduire. Littéralement, cela signifie que c’est le « fils de sa vieillesse », mais Ya’akov n’était pas tellement vieux puisque des années plus tard il enfanta Binyamin. C’est pour cela que Rachi rapporte deux autres explications du terme « בֶן-זְקֻנִים » :

-          « שֶׁהָיָה זִיו אִקּוּנִין שֶׁלּוֹ דּוֹמֶה לוֹ » - Les traits de son visage ressemblaient aux siens
-          « בַּר חַכִּים הוּא לֵיהּ כָּל מַה שֶּׁלָּמַד מִשֵּׁם וְעֵבֶר מָסַר לוֹ » - Il était le fils à qui il avait transmis tout le savoir qu’il avait appris à la Yéchiva de Chem et ’Ever.

Et Ya’akov lui offre une tunique colorée : « וְעָשָׂה לוֹ, כְּתֹנֶת פַּסִּים ». Quel est le lien avec le début du verset ? Il est clair, il y a un lien de cause à effet. Ya’akov aime ; donc il exprime son amour au travers d’un cadeau. C’est une émotion qui se transforme en action.

ד וַיִּרְאוּ אֶחָיו, כִּי-אֹתוֹ אָהַב אֲבִיהֶם מִכָּל-אֶחָיו--וַיִּשְׂנְאוּ, אֹתוֹ; וְלֹא יָכְלוּ, דַּבְּרוֹ לְשָׁלֹם.
4 Ses frères, voyant que leur père l'aimait de préférence à eux tous, le prirent en haine et ne purent se résoudre à lui parler amicalement.
L’émotion des frères est opposée à celle du père. Eux ont de la haine, lui a de l’amour. Plus que cela, c’est l’amour de leur père qui a déclenché chez eux ce sentiment de haine.
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Au passage, il est intéressant de noter ce que dit le Seforno. Il apprend d’ici qu’il est mauvais de montrer un amour supérieur pour un enfant que pour les autres. Ceci est a priori étonnant car le Seforno ne semble pas condamner l’idée qu’un parent puisse préférer un enfant dans son cœur, il dit simplement que cet amour ne doit pas être extériorisé.
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La haine des frères envers Yossef fait que « לֹא יָכְלוּ דַּבְּרוֹ לְשָׁלֹם » – ils n’arrivaient pas à lui parler amicalement.

Rachi explique, sur ce comportement, la chose suivante :
מִתּוֹךְ גְּנוּתָם לָמַדְנוּ שִׁבְחָם שֶׁלֹּא דִּבְּרוּ אַחַת בַּפֶּה וְאַחַת בַּלֵּב
Du récit de leur honte, nous apprenons quelque chose à leur avantage : ce qui sortait de leur bouche ne contredisait pas ce qu’ils avaient dans leur cœur
En fait, il s’est opéré, chez les frères de Yossef, exactement le même cheminement psychologique que chez leur père « Emotion → Action ».

ה וַיַּחֲלֹם יוֹסֵף חֲלוֹם, וַיַּגֵּד לְאֶחָיו; וַיּוֹסִפוּ עוֹד, שְׂנֹא אֹתוֹ.
5 Yossef fit un rêve et le raconta à ses frères et leur haine pour lui s'en accrut encore.
Yossef fait une expérience mentale. Mais il ne garde pas ce rêve pour lui, il veut le raconter, l’extérioriser. Alors il s’exprime, il raconte son rêve à ses frères qui, en conséquence, le haïssent encore plus. Il ressort de ce verset que ce n’est pas le rêve de Yossef en lui-même qui a causé à accroissement[2] de haine chez ses frères, mais bien le fait qu’il l’ait exprimé[3].

ו וַיֹּאמֶר, אֲלֵיהֶם: שִׁמְעוּ-נָא, הַחֲלוֹם הַזֶּה אֲשֶׁר חָלָמְתִּי.
6 Il leur dit: "Écoutez, je vous prie, ce rêve que j'ai fait.
ז וְהִנֵּה אֲנַחְנוּ מְאַלְּמִים אֲלֻמִּים, בְּתוֹךְ הַשָּׂדֶה, וְהִנֵּה קָמָה אֲלֻמָּתִי, וְגַם-נִצָּבָה; וְהִנֵּה תְסֻבֶּינָה אֲלֻמֹּתֵיכֶם, וַתִּשְׁתַּחֲוֶיןָ לַאֲלֻמָּתִי.
7 Nous composions des gerbes dans le champ, soudain ma gerbe se dressa; elle resta debout et les vôtres se rangèrent autour d’elle et s'inclinèrent devant la mienne."
ח וַיֹּאמְרוּ לוֹ, אֶחָיו, הֲמָלֹךְ תִּמְלֹךְ עָלֵינוּ, אִם-מָשׁוֹל תִּמְשֹׁל בָּנוּ; וַיּוֹסִפוּ עוֹד שְׂנֹא אֹתוֹ, עַל-חֲלֹמֹתָיו וְעַל-דְּבָרָיו.
8 Ses frères lui dirent: "Quoi! Régnerais-tu sur nous? Deviendrais-tu notre maître?" Et ils le haïrent plus encore, pour ses rêves et pour ses propos.
Résumons : pour l’instant, les frères de Yossef ont trois raisons de le haïr :
1)      Il rapporte des mauvaises choses à son père
2)      Il a droit à un amour particulier de la part de leur père
3)      Il rêve qu’il est maître sur toute la fratrie
Il y a maintenant une autre raison : il fait un deuxième rêve.
ט וַיַּחֲלֹם עוֹד חֲלוֹם אַחֵר, וַיְסַפֵּר אֹתוֹ לְאֶחָיו; וַיֹּאמֶר, הִנֵּה חָלַמְתִּי חֲלוֹם עוֹד, וְהִנֵּה הַשֶּׁמֶשׁ וְהַיָּרֵחַ וְאַחַד עָשָׂר כּוֹכָבִים, מִשְׁתַּחֲוִים לִי.
9 Il eut encore un autre rêve et le raconta à ses frères en dit: "J'ai fait encore un rêve où j'ai vu le soleil, la lune et onze étoiles se prosterner devant moi."
Quelle différence marquante entre les deux rêves ? La présence du père et de la mère qui étaient absents lors du premier rêve font désormais partie de la ‘photo’[4].

Le père de Yossef qu’on n’avait pas vu réagir après le premier rêve, a une réaction très forte lorsqu’il entend le second rêve.
י וַיְסַפֵּר אֶל-אָבִיו, וְאֶל-אֶחָיו, וַיִּגְעַר-בּוֹ אָבִיו, וַיֹּאמֶר לוֹ מָה הַחֲלוֹם הַזֶּה אֲשֶׁר חָלָמְתָּ: הֲבוֹא נָבוֹא, אֲנִי וְאִמְּךָ וְאַחֶיךָ, לְהִשְׁתַּחֲוֹת לְךָ, אָרְצָה.
10 Il le répéta à son père et à ses frères. Son père le blâma et lui dit: "Qu'est ce qu'un rêve pareil ? Eh quoi! Nous viendrions, moi et ta mère et tes frères, nous prosterner à terre à tes pieds!"
יא וַיְקַנְאוּ-בוֹ, אֶחָיו; וְאָבִיו, שָׁמַר אֶת-הַדָּבָר.
11 Les frères de Yossef le jalousèrent; mais son père retint l’affaire.
Remarquons que la jalousie des frères ne naît que suite au deuxième rêve. Lorsque Ya’akov avait offert une belle tunique à Yossef, les frères n’étaient pas jaloux, ils étaient haineux. Que se passe-t-il avec ce deuxième rêve ? Pourquoi transforme-t-il la haine des frères en  jalousie ?

En fait, si l’on fait bien attention, ils n’ont pas été jaloux suite au deuxième rêve, mais suite à la réaction très forte de leur père après ce même rêve. Pourquoi ?
Une explication serait que cette réaction virulente du père valide en quelques sortes le rêve de Yossef. En effet, tant que les signes d’attention du père pour Yossef n’étaient qu’extérieurs, les frères pouvaient encore se dire que Ya’akov cherchait simplement à gâter le petit dernier, sans forcément ressentir de préférence profonde. Mais à partir du moment où Ya’akov prend au sérieux cette éventualité que Yossef soit au dessus de ses frères, si Ya’akov donne de l’importance aux rêves de Yossef, c’est que jusqu’à présent les signes extérieurs (l’amour, la tunique, les rêves) n’étaient peut-être pas qu’extérieurs, et à la haine s’ajoute la jalousie…

     Que pensait Ya’akov ?

Alors, Ya’akov « שָׁמַר אֶת-הַדָּבָר ». Comment traduire cela ? Le sens simple (Pchat) serait que tente de gérer les tensions familiales palpables auxquelles il a contribué en s’énervant (« וַיִּגְעַר-בּוֹ אָבִיו »), de faire en sorte que la situation ne dégénère pas davantage. Rachi, se basant sur des exemples similaires, explique « הָיָה מַמְתִּין וּמְצַפֶּה מָתַי יָבוֹא » que Ya’akov a gardé l’affaire, c’est-à-dire qu’il attendait, il espérait que ces rêves de Yossef se réalisent.

Ces deux explications de « שָׁמַר אֶת-הַדָּבָר » prêtent à Ya’akov une certaine ambivalence. D’un côté, il réprime Yossef et cherche à tout faire pour que la situation ne dégénère pas (Pchat) ; d’un autre côté, il espère que les rêves se réalisent (Midrash cité par Rachi).

Comment cela est-il possible qu’il espère que cela se réalise s’il réprimande Yossef ? Il est possible que le Midrash ait senti que Ya’akov veut vraiment que les rêves se réalisent mais, afin que la situation ne dégénère pas, il réprimande Yossef publiquement. Cependant, il y a une autre alternative pour comprendre cette ambivalence de Ya’akov : Peut-être que Ya’akov est réellement, profondément énervé, mais il espère quand même que cela se réalise. Cela est-il possible ?

Quoiqu’il en soit, Ya’akov prend très au sérieux les rêves de Yossef. Du coup, la haine des frères devient jalousie. Quelque part, maintenant, Ya’akov a donné une réalité à ce qui n’était pour eux que des rêves d’enfant ambitieux.

Continuons à lire l’histoire de Yossef…

יב וַיֵּלְכוּ, אֶחָיו, לִרְעוֹת אֶת-צֹאן אֲבִיהֶם, בִּשְׁכֶם.
12 Un jour ses frères étaient allés conduire les troupeaux de leur père à Chekhem.
יג וַיֹּאמֶר יִשְׂרָאֵל אֶל-יוֹסֵף, הֲלוֹא אַחֶיךָ רֹעִים בִּשְׁכֶם--לְכָה, וְאֶשְׁלָחֲךָ אֲלֵיהֶם; וַיֹּאמֶר לוֹ, הִנֵּנִי.
13 Israël dit à Yossef: "Tes frères font paître les troupeaux à Chekhem, n’est-ce pas ? Viens donc, je veux t'envoyer auprès d'eux." Il lui répondit: "Me voici."
יד וַיֹּאמֶר לוֹ, לֶךְ-נָא רְאֵה אֶת-שְׁלוֹם אַחֶיךָ וְאֶת-שְׁלוֹם הַצֹּאן, וַהֲשִׁבֵנִי, דָּבָר; וַיִּשְׁלָחֵהוּ מֵעֵמֶק חֶבְרוֹן, וַיָּבֹא שְׁכֶמָה.
14 Il reprit: "Va voir, je te prie, comment se portent tes frères, comment se porte le bétail et rapporte m'en des nouvelles." Il l'envoya ainsi de la vallée d'Hébron et Yossef se rendit à Chekhem.

Ces quelques versets soulèvent un certain nombre de questions.

La première chose que l’on puisse se dire, c’est que le moment pour une telle mission a l’air bien mal choisi. Ya’akov envoie Yossef, seul, à la rencontre de ses frères dans le contexte que l’on connaît et alors que Ya’akov vient à peine de prendre toute la mesure des tensions familiales. Pourquoi a-t-il choisi un moment si inopportun pour l’envoyer ?

Ensuite, si l’on lit attentivement le texte, Ya’akov a l’air de vouloir l’envoyer sans avoir une mission précise en tête.  Ya’akov dit « לְכָה, וְאֶשְׁלָחֲךָ אֲלֵיהֶם » sans ne donner aucun objectif à cette demande. Comme si l’envoyer est une fin en soi. On a l’impression que cette mission est juste une excuse…

Alors Yossef a une réponse étrange. Pourquoi dit-il « הִנֵּנִי » - « Me voici » ? Il n’a jamais été interrogé à propos de lui. Ya’akov venait de lui parler de ses frères ! Et puis d’ailleurs, quelle est cette curieuse question rhétorique de Ya’akov au sujet de ses fils « הֲלוֹא אַחֶיךָ רֹעִים בִּשְׁכֶם » - « Tes frères font paître les troupeaux à Chekhem, n’est-ce pas ? » ? Question à laquelle Yossef répond « Me voici ». Curieux.

Ya’akov, donc, veut envoyer son fils Yossef à Chekhem pour une mission, qui est pour le moins dangereuse. En effet, tous les éléments de cette mission évoquent le danger. Certes, Ya’akov n’avait pas suspecté que ses frères auraient voulu sa mort, mais observons tous les signes de danger que comportent la mission :

1)      Chekhem est une ville dangereuse. Rachi rapporte que trois évènements terribles pour les Bnei Israël ont eu lieu dans cette ville : la vente de Yossef, le viol de Dina et la division du royaume en Israël.
מָקוֹם מוּכָן לְפוּרְעֲנוּת שָׁם קִלְקְלוּ הַשְּׁבָטִים שָׁם עִנּוּ אֶת דִּינָה שָׁם נֶחְלְקָה מַלְכוּת בֵּית דָּוִד שֶׁנֶּאֱמַר וַיֵּלֶךְ רְחַבְעָם שְׁכֶמָה
C’est un lieu prédestiné aux catastrophes. C’est là que les fils ont failli [en vendant Yossef], c’est là qu’on avait violé Dina, et c’est là que sera divisé le royaume de David, ainsi qu’il est écrit : «Re‘hov’am alla à Chekhem... » (Sanhedrin 102a)
Cherchons un point commun entre ces trois histoires terribles. Il s’agit, à chaque fois, non seulement de violence, mais d’une tension dans la famille[5].
2)      Il lui demande d’aller vérifier si tout va bien pour ses frères. En hébreu : « אֶת-שְׁלוֹם אַחֶיךָ ». Alors qu’on a appris quelques versets plus tôt que justement ses frères ne peuvent pas parler en paix avec lui « וְלֹא יָכְלוּ דַּבְּרוֹ לְשָׁלֹם ».

3)      Il lui demande de lui ramener des nouvelles de ses frères : « וַהֲשִׁבֵנִי דָּבָר » alors que c’est justement pour ce genre de comportement qu’ils le haïssaient. Ils le détestaient parce qu’il rapporté leurs faits et actes à leur pères !

Alors, pourquoi donc Ya’akov engage-t-il Yossef dans une mission aussi dangereuse ?

Terminons le prologue :
טו וַיִּמְצָאֵהוּ אִישׁ, וְהִנֵּה תֹעֶה בַּשָּׂדֶה; וַיִּשְׁאָלֵהוּ הָאִישׁ לֵאמֹר, מַה-תְּבַקֵּשׁ.
15 Un homme le rencontra errant dans la campagne; cet homme lui demanda: "Que cherches-tu?"
טז וַיֹּאמֶר, אֶת-אַחַי אָנֹכִי מְבַקֵּשׁ; הַגִּידָה-נָּא לִי, אֵיפֹה הֵם רֹעִים.
16 Il répondit: "Ce sont mes frères que je cherche. Dis-moi s’il te plait où ils font paître leur bétail."
יז וַיֹּאמֶר הָאִישׁ, נָסְעוּ מִזֶּה--כִּי שָׁמַעְתִּי אֹמְרִים, נֵלְכָה דֹּתָיְנָה; וַיֵּלֶךְ יוֹסֵף אַחַר אֶחָיו, וַיִּמְצָאֵם בְּדֹתָן.
17 L'homme dit: "Ils sont partis d'ici, car je les ai entendus dire: ‘Allons à Dothan’." Yossef s'en alla sur les pas de ses frères et il les trouva à Dothan.
Finalement, Yossef accepte la mission de son père et s’en va à Chekhem pour rencontrer ses frères, mais il ne les y trouve pas, ils sont en fait à Dothan. Yossef l’apprend grâce à un passant qui a vu ses frères. Quel est l’intérêt de cette digression géographique ? Qu’est-ce-que cela change qu’ils soient à Chekhem ou à Dothan ?

De même, quel est l’intérêt de cette discussion sans intérêt entre cet homme inconnu et Yossef ? Pourquoi la Torah nous la raconte ? Nos sages disent que cet homme est en fait l’ange Gabriel. Pourquoi disent-ils cela ? On a l’impression qu’ils veulent dire par là que D.ieu voulait être sûr que Yossef allait rencontrer ses frères. Pourquoi passer par un ange? D.ieu a bien d’autres cordes à son arc !

Nous nous sommes posés des questions sur ce qui a pu se passer dans la tête de Ya’akov lors des rêves, lorsqu’il missionne Yossef etc. Avant de répondre à ces questions, intéressons-nous aux frères…

     Pourquoi les frères haïssaient-ils vraiment Yossef ?

Nous avons vu, jusqu’à présent, quatre raisons explicites pour la haine des frères envers Yossef :

1)      Il rapporte des mauvaises choses à leur père
2)      Il a droit à un amour supérieur de la part de leur père : en particulier il en reçoit une belle tunique
3)      Il rêve qu’il est maître sur toute la fratrie
4)      Il rêve qu’il est maître sur toute la fratrie et sur ses parents

Il y a en fait une cinquième raison – celle-ci est implicite et regroupe, en quelque sorte, l’ensemble des quatre raisons citées ci-dessus[6].

La tunique est un élément central dans la vente de Yossef. D’une part, c’est elle qui matérialise la haine des frères. D’autre part, c’est elle que les frères retireront de Yossef avant de le jeter dans le puits ; ils la tremperont dans du sang d’animal avant de la rapporter à leur père.

Lorsque les frères retirent la tunique de Yossef, le texte dédouble le terme « tunique » (37:23) : « וַיַּפְשִׁיטוּ אֶת-יוֹסֵף אֶת-כֻּתָּנְתּוֹ אֶת-כְּתֹנֶת הַפַּסִּים אֲשֶׁר עָלָיוֹ » - « ils dépouillèrent Yossef de sa tunique, la tunique colorée qu’il avait sur lui ». Rachi s’en étonne et donne l’explication suivante :
אֶת כֻּתָּנְתּוֹ. זֶה חָלוּק:
אֶת כְּתֹנֶת הַפַּסִּים. הוּא שֶׁהוֹסִיף לוֹ אָבִיו יוֹתֵר עַל אֶחָיו:
Sa tunique : De son linge de corps.
La tunique colorée : De celle que son père lui avait offerte en plus de ses frères (Beréchith raba 84, 16).
Rachi explique que chaque frère avait sa tunique, c’est-à-dire son linge de corps, mais que Yossef avait deux tuniques : la première – « חָלוּק » – comme tous ses frères, et la seconde – « כְּתֹנֶת הַפַּסִּים » – la tunique colorée.

Rachi vient nous dire ici que Yossef a reçu une double part. Si tous les frères ont eu droit à une tunique, Yossef en a eu deux. Qu’est-ce que cela nous rappelle ? Lorsque chaque frère obtient une part et que l’un d’entre eux en reçoit une double…

Vous allez me dire : « Les lois concernant l’ainé - békhor » ! Et vous avez raison[7].

Qu’est-ce que cela signifierait ? Que Ya’akov traitait Yossef comme son békhor. Nous pouvons d’ailleurs trouver d’autres indices soutenant cette hypothèse.

Regardons par exemple le premier Rachi sur notre passage (37:1) qui répond à une question que nous avions évoquée plus haut :

תָּלָה הַכָּתוּב תּוֹלְדוֹת יַעֲקֹב בְּיוֹסֵף מִפְּנֵי כַּמָּה דְּבָרִים אַחַת שֶׁכָּל עַצְמוֹ שֶׁל יַעֲקֹב לֹא עָבַד אֵצֶל לָבָן אֶלָּא בְּרָחֵל. וְשֶׁהָיָה זִיו אִקּוּנִין שֶׁל יוֹסֵף דּוֹמֶה לוֹ. וְכָל מַה שֶּׁאֵרַע לְיַעֲקֹב אֵרַע לְיוֹסֵף. זֶה נִשְׂטָם וְזֶה נִשְׂטָם זֶה אָחִיו מְבַקֵּשׁ לְהָרְגוֹ וְזֶה אֶחָיו מְבַקְּשִׁים לְהָרְגוֹ וְכֵן הַרְבֵּה בִּב״ר
La Torah a lié l’histoire de Ya‘akov à celle de Yossef pour diverses raisons. En premier lieu, le seul but qu’avait Ya‘akov, lorsqu’il a travaillé pour Lavan, était d’épouser Ra‘hel, [la mère de Yossef, la naissance de ses autres enfants ne constituant qu’une conséquence de cette intention première]. En deuxième lieu, Yossef avait les mêmes traits de visage que Ya‘akov. Enfin, tout ce qui est arrivé à Ya‘akov est arrivé à Yossef : Le premier a été haï, le second aussi. Le frère du premier a voulu le tuer, les frères du second aussi. Et l’on trouve bien d’autres similarités dans Beréchith Raba (chap. 84).
La descendance de Ya’akov ne se résume pas à Yossef et pourtant la Torah choisit de ne citer que lui « אֵלֶּה תֹּלְדוֹת יַעֲקֹב, יוֹסֵף ». Rachi donne plusieurs raisons qui convergent finalement vers une même notion : Ya’akov se retrouvait dans Yossef ; Ya’akov se comportait avec Yossef comme avec le fils qui reprendra et continuera à perpétuer l’héritage spirituel, qui sera le leader de la famille après lui…

Bref, tous ces indices nous amènent à penser que Ya’akov considérait Yossef comme son fils ainé, celui qui allait prendre la relève.

Cependant, Ya’akov avait-il raison ? Yossef était-il vraiment le békhor ? En première réponse, vous allez tous dire : ‘Bien sûr que non ! Puisqu’il est né en onzième position dans la fratrie !’. Certes, mais était-il, d’une certaine manière, premier né ? Bien sûr que oui ! Il était le premier-né de Ra’hel ! Et rappelez-vous que Ya’akov voulait se marier avec Ra’hel uniquement; ce sont les circonstances qui l’ont amené à se marier aussi avec Léa. D’ailleurs, seule Ra’hel est appelée « אֵשֶׁת יַעֲקֹב »[8] - « l’épouse de Ya’akov » dans la Torah. Alors, êtes-vous toujours aussi sûrs que Yossef n’était pas le békhor ?

Toujours est-il que les frères devaient très mal vivre cette situation. Mettez-vous à leur place : en choisissant Yossef comme békhor, Ya’akov avait tout simplement déclaré que les enfants qu’il a eus avec Léa ne comptent pour rien. Quelle injure pour les frères ! Voilà une réelle source de tension dans la famille, et voilà la raison pour laquelle les frères haïrent leur frère.

Mais, direz-vous, tout ceci n’est que supposition, uniquement basé sur des illusions. Quelle est la preuve que cette hypothèse est la bonne ? Quelle est la preuve que Ya’akov a considéré Yossef comme le békhor et que c’est ce qui a causé la haine de ses frères ?

La Torah elle-même nous éclaire sur ce sujet. En effet, Ya’akov était un homme marié avec deux femmes ; il avait une préférence claire pour l’une des deux ; une question de droit de premier né etc. A quoi cela vous fait-il penser ?

Regardez le passage suivant tiré de Dévarim (21:15-17) à propos de l’homme aux deux femmes:
טו כִּי-תִהְיֶיןָ לְאִישׁ שְׁתֵּי נָשִׁים, הָאַחַת אֲהוּבָה וְהָאַחַת שְׂנוּאָה, וְיָלְדוּ-לוֹ בָנִים, הָאֲהוּבָה וְהַשְּׂנוּאָה; וְהָיָה הַבֵּן הַבְּכֹר, לַשְּׂנִיאָה.
15 Si un homme est marié à deux femmes, l'une qu'il aime, l'autre qu'il dédaigne; si l'une et l'autre lui donnent des enfants, et que le fils premier-né se trouve appartenir à la femme dédaignée,
טז וְהָיָה, בְּיוֹם הַנְחִילוֹ אֶת-בָּנָיו, אֵת אֲשֶׁר-יִהְיֶה, לוֹ--לֹא יוּכַל, לְבַכֵּר אֶת-בֶּן-הָאֲהוּבָה, עַל-פְּנֵי בֶן-הַשְּׂנוּאָה, הַבְּכֹר.
16 alors, le jour où il partagera entre ses fils l'héritage de ce qu'il possède, il ne pourra point conférer le droit d'aînesse au fils de la femme préférée, aux dépens du fils de la dédaignée qui est l'aîné.
יז כִּי אֶת-הַבְּכֹר בֶּן-הַשְּׂנוּאָה יַכִּיר, לָתֶת לוֹ פִּי שְׁנַיִם, בְּכֹל אֲשֶׁר-יִמָּצֵא, לוֹ: כִּי-הוּא רֵאשִׁית אֹנוֹ, לוֹ מִשְׁפַּט הַבְּכֹרָה. {ס}
17 Car c'est le fils aîné de la dédaignée qu'il doit reconnaître pour tel, lui attribuant une part double dans tout son avoir; car c'est lui qui est le premier fruit de sa force, à lui appartient le droit d'aînesse.

Ce passage législatif, long de trois versets seulement, ne comporte pas moins que quatre mots suscitant le questionnement :
1)       « שְׂנוּאָה » - Bizarre… Un homme se serait-il marié avec une femme qu’il déteste ? Nous aurions pu comprendre qu’il préfère l’une à l’autre (c’est d’ailleurs le sens simple), alors pourquoi utiliser ce terme dur ?
2)       « יַכִּיר » - Ce mot paraît superflu. Qu’est-ce-que cela signifie de « reconnaître » ? Il suffisait de demander au père de « donner » ; A quoi cela sert-il de « reconnaître » avant de « donner » ?
3)      « יִמָּצֵא » - Pourquoi utiliser un mot non commun pour un article de loi ? Si c’est pour dire « tout ce qui est en sa possession » alors on aurait pu utiliser le verbe « posséder » ou « avoir » ; pourquoi employer le verbe « trouver » ?[9]
4)      « רֵאשִׁית אֹנוֹ » - On a l’impression que la Torah fait de la poésie alors qu’elle énonce un article de loi. Pourquoi passer par une image (« premier fruit de sa force ») au lieu d’être simple (« premier né ») ?

En réalité, tous les éléments de cet article de ce petit passage de Dévarim nous ramènent à l’histoire de Ya’akov et Yossef.
Regardez-bien, savez-vous quelle est l’unique femme de la Torah qualifiée de  « שְׂנוּאָה » ? Eh bien, c’est Léa (« וַיַּרְא ה׳ כִּי-שְׂנוּאָה לֵאָה »). La Torah veut nous mettre la puce à l’oreille. Qui serait l’homme aux deux femmes ? Ya’akov. Quelle est la femme qu’il aime ? Ra’hel. Celle qui « déteste » ? Léa. Les deux femmes ont des enfants, mais le premier-né est celui de la « dédaignée ». De qui s’agirait-il ? De Réouven, fils de Léa. Ca se tient bien, puisque Réouven est qualifié par Ya’akov lui-même de « רֵאשִׁית אֹנוֹ » (Béréchit 49:3 « רְאוּבֵן בְּכֹרִי אַתָּה, כֹּחִי וְרֵאשִׁית אוֹנִי »).
Et puis, où retrouve-t-on les termes  « יַכִּיר » et « יִמָּצֵא » dans l’histoire de Ya’akov et Yossef ? Cherchez bien et vous trouverez que c’est exactement les termes qu’ont utilisés les frères en ramenant la tunique pleine de sang à leur père : « זֹאת מָצָאנוּ: הַכֶּר-נָא, הַכְּתֹנֶת בִּנְךָ הִוא--אִם-לֹא » - « Voici [la tunique] que nous avons trouvé, reconnais, s’il te plait, s’il s’agit de la tunique de ton fils ou non ».

Il apparaît que le passage de Dévarim joue un rôle de commentaire sur l’histoire de la vente de Yossef. Alors transposons de Dévarim à Béréchit et nous comprendrons ce que les frères disaient « réellement » à leur père en lui montrant la tunique…

« זֹאת מָצָאנוּ: הַכֶּר-נָא, הַכְּתֹנֶת בִּנְךָ הִוא--אִם-לֹא » devient ainsi « Nous avons trouvé une chose qui vient de ta propriété ; est-ce bien à ton fils Yossef qu’il fallait la léguer ? Ou bien faut-il plutôt que tu la donnes en héritage au fils que tu dois reconnaître, c’est-à-dire Réouven, le vrai békhor ? ».

Pour les frères, la vérité est travestie. Yossef n’est pas békhor car le vrai békhor est bien Réouven ! Il faut rendre à Réouven ce qui appartient à Réouven !
Les frères réagissent face au comportement de leur père.  Et la haine qu’ils ont face à ce comportement, se déverse sur leur frère Yossef…[10]

     Le test de Loyauté

Nous avons compris ce qui s’est passé dans la tête des frères et ce qui a généré chez eux ce sentiment de haine puis de jalousie : Ya’akov considérait son fils Yossef comme son békhor. Revenons maintenant à Ya’akov et essayons de comprendre son comportement.

Après le premier rêve, Ya’akov ne réagit pas. Et c’est normal : ce rêve présente Yossef comme un leader de ses frères et ne fait donc que conforter son choix de Yossef comme békhor. Mais le second rêve fait apparaître le père et la mère se prosternant devant Yossef. Qu’est-ce que cela signifie ? Ya’akov ne comprend pas cela et se trouve dans un dilemme. D’une part, ce rêve va dans le même sens que le premier rêve – un peu comme si Hachem appuyait Ya’akov dans sa décision de voir Yossef comme békhor – mais d’autre part, ce second rêve ne montre-t-il pas une perversion du rôle de békhor chez Yossef ? Le békhor est censé reprendre la suite du père, de continuer à développer le patrimoine du père, mais pas de promouvoir le sien. Ce second rêve introduit le doute chez Ya’akov : il a besoin de se rassurer des intentions de son fils ; Ya’akov veut alors tester sa loyauté de Yossef.

Comment teste-t-on une loyauté ? Quel exemple Ya’akov a-t-il ? Qui avant lui a-t-il été testé sur sa loyauté ? Eh bien, c’était Avraham son grand-père que Hachem a testé lors de la Akeida. Ya’akov veut donc recommencer avec son fils. C’est pour cela qu’il lui donne une mission : qu’il aille à Chekhem. Si cela se trouve, Ya’akov connaissait l’itinéraire des frères et savaient qu’ils ne seraient pas à Chekhem mais à Dothan. Bien sûr, il ne veut qu’aucun mal n’arrive à son fils, mais il a besoin de savoir s’il est prêt à se sacrifier pour son père. C’est exactement le concept de la Akeida !

D’ailleurs, de nombreux parallèles existent entre ce passage et celui de la Akeida. Vous êtes invités à comparer les deux textes par vous-même (la Akeida se trouve dans Béréchit 22:1-19) et à trouver les liens. Vous verrez qu’ils sont nombreux et en voici quelques uns :

-          Tout d’abord le « הִנֵּנִי » de Yossef à son père est une citation du « הִנֵּנִי » d’Avraham à Hachem (Béréchit 22:1) alors qu’Il va lui demander de sacrifier son fils. C’est probablement cela que veut dire Yossef à son père : « je suis prêt à relever le défi de ta mission, quelle qu’elle soit ! »[11].
-          De plus, à la fois les frères et Avraham voient une chose de loin « מֵרָחֹק ».
-          Ensuite, Réouven dit (Béréchit 37:22) « וְיָד אַל-תִּשְׁלְחוּ-בוֹ » afin de sauver son frère. Ceci rappelle fortement ce que l’ange dit à Avraham (Béréchit 22:12): « אַל-תִּשְׁלַח יָדְךָ אֶל-הַנַּעַר ».
-          Puis, les frères sont assis et (Béréchit 37:25) « וַיִּשְׂאוּ עֵינֵיהֶם וַיִּרְאוּ, וְהִנֵּה ». Ceci est une presque citation évidente du (Béréchit 37:25) « וַיִּשָּׂא אַבְרָהָם אֶת-עֵינָיו וַיַּרְא, וְהִנֵּה » de la Akeida.
-          Enfin, dans les deux cas, bien qu’on souhaite les tuer, Its’hak et Yossef sont épargnés. Le premier est remplacé par un mouton, le second est vendu.

Bref, Ya’akov avait prévu une Akeida parfaite pour Yossef, mais elle se termine terriblement mal.  Pourquoi ? Quel est le grain de sable qui bloque l’engrenage si bien préparé ? C’est l’ange ! Yossef n’aurait jamais dû rencontrer ses frères et tout aurait dû bien se terminer. Mais alors qu’il arrive à Chekhem, un ange lui montre comment rejoindre ses frères…

Nous avons vu ce que les frères pensaient : « Nous ne voulons pas que Yossef soit békhor à la place du békhor ». Nous avons vu ce que Ya’akov pensait : « Est-ce que Yossef est loyal envers moi ? Je dois le tester ! ». Mais qu’est-ce-que Hachem « pensait » ?

Hachem voit ce qui se passe et se dit : « Oh ! On est train de jouer une scène de Akeida. Allons-y à fond alors ; toute bonne histoire de Akeida fait apparaître un ange… ». Quel est le rôle de l’ange dans une Akeida ? Dans la Akeida de Its’hak, l’ange vient changer les plans d’Avraham. Ici aussi, Ya’akov pensait que Yossef allait revenir rapidement, sans problème ; l’ange change les plans et Yossef se retrouve piégé, vendu par ses frères…

Quand et comment cette Akeida se termine-t-elle? Vous allez me dire qu’elle se termine avec la vente de Yossef – il a été vendu au lieu d’être tué. C’est vrai, mais seulement dans la perspective des frères. Pour Ya’akov, la Akeida est encore loin d’être terminée… Elle ne prendra fin que lorsqu’il prendra conscience que Yossef n’est pas mort, lorsqu’il s’écriera (presque neuf chapitres plus tard, Béréchit 45:28) : « עוֹד-יוֹסֵף בְּנִי חָי ».



[1] NdT. L’expression « רֹעֶה אֶת » revêt un caractère de supériorité : Yossef faisait paître ses frères dans le troupeau, il surveillait ses frères dans le troupeau.
[2] Intéressant : la Torah fait un jeu de mot. « וַיּוֹסִפוּ » est de la même racine que le mot Yossef – « יוֹסֵף ».
[3] Voir par exemple Ramban sur (37:8) qui va dans ce sens
[4] Au passage : vous êtes-vous déjà demandé comment une étoile ou la lune peut se prosterner ?
[5] Si, pour les histoires de la vente de Yossef et de la division du Royaume d’Israël, ce point commun est clair, il nécessite quelques explications pour l’histoire de Dina. En fait, le massacre de Checkhem par Chim’on et Levi est né d’une tension dans la maison de Ya’akov. Dina est présenté, dans cette histoire, comme « Dina la fille de Léa ». Lorsque Ya’akov apprend le viol, il reste silencieux jusqu’à l’arrivée de ses fils. Il semble clair que la violence des frères est à la hauteur de l’absence de réaction de la part de leur père. Ils lui rétorquent : « Notre sœur serait-elle traitée comme une prostituée ? » - comme s’ils lui reprochaient : « Comment aurais-tu réagi s’il s’agissait de la fille de Ra’hel ? As-tu été silencieux parce que Dina n’est ‘que’ la fille de Léa ? ».
Il est également intéressant de noter une gradation dans les tensions familiales ayant dégénéré lors de ces trois évènements (deux frères, tous les frères, tout le peuple d’Israël).
[6] Avant de continuer la lecture de cet exposé, il est fortement conseillé de relire la fin du chapitre 37
[7] NdT. Seforno sur 37:3 relève dans cette tunique un signe que Ya’akov a choisi en Yossef le futur leader…
[8] Béréchit 46:19
[9] Le Talmud (traité Baba Batra) trouve ces éléments de langage tellement bizarres que ne nombreuses Halakhot en sont déduites.
[10] Cela rappelle la réaction de Chim’on et Levi après le viol de Dina leur sœur. La violence qui s’était abattue sur la ville de Chekhem était la conséquence du silence de leur père ; les frères avaient alors rétorqué à leur père : « הַכְזוֹנָה, יַעֲשֶׂה אֶת-אֲחוֹתֵנוּ » - « Allons-nous traiter notre sœur comme une prostituée ? ».
[11] Ceci corrobore l’explication de cet étrange « הִנֵּנִי » par Rachi sur place :
 « לָשׁוֹן עֲנָוָה וּזְרִיזוּת נִזְדָרֵז לְמִצְוַת אָבִיו וְאַף עַל פִּי שֶׁהָיָה יוֹדֵעַ בְּאֶחָיו שֶׁשּׂוֹנְאִין אוֹתוֹ » - « Expression d’humilité et de zèle. Il était impatient d’obéir à l’ordre de son père, bien qu’il sût que ses frères le haïssaient, [et donc qu’il courait un danger en allant les rejoindre] ».


Traduit librement par Naty à partir d’une série de conférences données par Rav Fohrman en Novembre et Décembre 2008. Le titre original de la série est : « The Sale of Joseph ».

7 commentaires:

  1. Salut naty
    Hazak pour la synchro avec la paracha à venir.
    Quelques questions et remarques
    1) je n'ai pas saisi dans le test de la loyauté qu'espérait Yaacov comme scénario entre Chekhem et Dothan
    2) la remarque du sforno est en fait une guemara qui déclare qu'on a pas le fort de gâter un enfant plus que l'autre
    3) les siftei hahamim ou le gour arieh sur rachi expliquent que l'insistance sur le halouk est pour montrer que ce n'est pas la jalousie de la tunique qui les meut mais bien leur mission d'en finir avec cet imposteur
    4)le Ben hassénoua est joli en terme d'intertextualité mais rachi déclare que c'est l'enfant de icha yefat toar (passage qui précède)
    5) peut on prolonger le "yakir" avec celui de Tamar à Yéhouda: "haker na"?

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  2. Salut Ludo,

    Merci pour tes encouragements...

    1) Ya'akov n'attendait peut etre rien de cette mission. Simplement voir que Yossef l'accepte malgré les dangers. Le Rav Fohrman evoque meme l'hypothèse que Ya'akov savait tres bien que les freres etaient a Dotan et non a Chekhem: auquel cas Yossef serait rentré bredouille et l'histoire aurait été terminée. C'est là que l'ange entre en jeu et change tous les plans!
    2) oui, je l'ai lu hier (Chabbat 10b)
    3) hazak ca rentre dans l'explication de Rav Fohrman. En effet, ils n'etaient pas jaloux de la tunique mais de la reaction de leur pere apres le 2 eme reve et puis... Il faut attendre le 2 eme episode ou on va reparler de ce halouk... (suspense)
    4) ok.
    5) oui, exactement. Et pas seulement le Hacker na de tamar mais toute l'histoire de Tamar et Yéhouda est une répétition de la vente de Yossef... Il va falloir te montrer patient (c'est l'épisode 5 ou 6)...
    Naty

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  3. J'ai réfléchi de nouveau à sa démonstration.
    Je suis d'accord sur le fait que: ils sont passé de la haine à la jalousie (de sinea à kinea); et tu dis augmentation, je pense que au contraire c'est une diminution en atteste de mémoire un rachi sur Rachel devant la fertilité insolente de Léa (quatre garçons rapprochés) le texte dit: "vatékané Rahel baahota" et rachi traduit qu'elle étais jalouse de SES BONNES ACTIONS en disant si elle réussi c'est qu'elle le mérite.
    Si j'intertextualise rachi alors la les frères ont carrément fait téchouva tout en le tuant ce qui confirme la thèse de complément de minian par Hachem.

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  4. Bonjour,
    En termes psychologiques, il faut normalement faire la différence entre "être jaloux" qui signifie avoir peur de perdre quelque chose que l'on possède déjà et "être envieux" qui signifie désirer une chose que l'on ne possède pas.
    Je pense que le terme "kinea" devrait plutôt se traduire par "envie" que par "jalousie".
    Ceci étant dit, il y a une envie qui peut être positive, envie de ressembler à quelqu'un que l'on admire (c'est le cas du sentiment de Rahel cité par Avraham juste au dessus), et dans ce cas, le sentiment pour la personne enviée est positif, on lui souhaite des bonnes choses, si l'on peut dire. Et il y a l'envie négative où on chercherait à détruire l'autre pour obtenir ce qu'il a et que l'on n'a pas. Dans ce deuxième cas, on ne souhaite à la personne enviée "pas que des bonnes choses"... Et c'est le cas je pense du sentiment des frères de Yossef qui les pousse à agir.
    Dans ce cas, alors que la haine reste au niveau de sentiment intériorisé, cette envie qui les ronge les pousse à l'action, et c'est peut-être là que se situe la gradation.

    I. R.

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  5. Shavoua tov,

    Très belle démonstration, c'est un travail admirable de traduction, de clarté et de mise en page! Merci Naty!

    Petite question: pourquoi le deuxième rêve laisse penser à une perversion du rôle de bekhor?

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  6. Bonjour Moïse,
    Merci pour ton message. C'est gentil.

    Alors que dans le premier rêve, seuls les frères se prosternaient à Yossef, le deuxième rêve met en scène les parents qui se prosternent aussi. Ya'akov est embêté par ce rêve. Cela signifierait-il que Yossef a des rêves de grandeurs tels qu'il veut être au dessus de ses parents? Si c'est le cas, ce n'est plus au Békhor qu'il joue, car le Békhor est censé prendre la relève, pas remplacer les parents!
    Si ce n'est toujours pas clair, n'hésites pas à réagir.
    Naty

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  7. Bonsoir
    Réponse à Itala.
    J'entend ta volonté de scinder deux types de jalousie l'une positive (Rahel) et l'autre nocive le frères de Yossef.
    Cependant si on "calcule" le déroulement des évènements chez Rahel il me semble que la jalousie "kina" a toujours quelquechose de negatif:
    1) Rachel est jalouse de lafertilité insolente de sa soeur Lea; mais rachi attenue cette dimension en disant que c'est un tremplin pour grandir.
    2) Donc Rachel grandit et malgré cela zero resultat donc elle s'adresse a Yaacov "amène moi des enfants sans quoi je meurt" C'est à dire si j ai evolué et malgré cela il n'y a pas de réussite c donc que ca coince chez Yaakov.
    3) Réponse de Yaacov" Je suis pas à la place de Hachem qui T'a empeché le fruit de tes entrailles:cad retour "smatché" de Yaacov : le problème est chez toi."
    4) Contre toute attente Rachel ne renvoie pas un "upper cut" mais propose une sorte de grand écart: non seulement elle admet que le problème est chez elle mais qui plus est, elle fait rentrer une rivale dans son couple qui est un acte qui va a rebours du principe même de la jalousie( d'après le kli yakar). En d'autres termes, Yaacov lui dévoile que derrère cette dimension doppante de la jalousie consciente se cache une jalousie"inconsciente" qui est d'ailleurs mentionnée de facon directe par la torah Vatekané beahota elle est jalouse un point c'est tout.
    Donc la Kina a toujours quelquechose de malsain même si enfouit dans des couches profonde de notre inconscient et que au niveau conscience on et doppé pa elle.

    Pour ce qui concerne les frères, je pense qu' ils restent dans la dimension consciente de la jalousie doppante qui, issue d'une haine, s'est canalisée dans un service divin tout en décrétant l'élimination de l'usurpateur que représente Yossef .
    A.Drai

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